Qu’est-ce que la littérature urbaine ? Comment a-t-elle intégré la culture hip-hop ? Faut-il en mettre au programme des 6e ? Pourquoi Booba n’écrit-il pas des polars ? Autant de questions auxquelles les invités de «la matinale» de StreetPress sur Radio Campus, consacrée à la littérature urbaine, ont essayé de répondre lundi soir. Des invités, apôtres de la littérature urbaine, qui avec leurs succès respectifs montrent que les bons romans, façon « street », peuvent un peu bousculer le monde de l’édition.
L’émission était en partenariat avec le festival « Paris Hip Hop 2013 » qui pendant 15 jours propose des concerts, des ateliers et des conférences à Paris sur le thème de la culture urbaine, dont une sur sa littérature.
Pour en parler :
> Le romancier Rachid Santaki, auteur entre autres des polars Les anges s’habillent en caillera et Flic ou Caillera. (Suivre Rachid sur Twitter)
> Estelle Durand, cofondatrice de la maison d’édition Asphalte, spécialisée dans la littérature urbaine. (Suivre Asphalte sur Twitter)
> Jean-Marc Besnier, boss de Indeez, « la première maison d’édition de BD spécialiste de la culture urbaine ». (Suivre Indeez sur Twitter)
1 Retrouvez le podcast de l’émission
2 Les extraits du talk
RACHID SANTAKI – AUTEUR D’UNE TRILOGIE DE ROMANS NOIRS SUR SAINT-DENIS
« La littérature urbaine, ça ne veut rien dire dans l’absolu. Après, l’idée de littérature urbaine c’est de parler de la ville. Si tu fais un polar qui se déroule en campagne, tu n’auras pas la densité de la ville, les transports, le rythme… Il y a une certaine pression. Quand tu écris sur Saint-Denis, c’est 137.000 habitants. Il y a des problématiques, plein de choses relatives à la ville, qui lui donnent une dimension, une ampleur.
Maintenant quand on parle de littérature urbaine, je le vois comme quelque chose qui est un calque de la culture hip-hop. La culture hip-hop est née dans la ville. Ce sont des moyens d’expression comme le graffiti, le rap, le DJing, même les sapes. De la ville peut aussi naître une littérature. C’est aussi prendre tous les codes du street marketing qui vient de la culture hip-hop.
Le monde de l’édition est un monde où les codes sont assez classiques. Ça n’a pas bougé. Tu te dis que toute la richesse et toute la dynamique qu’il y a dans la culture hip-hop, tu peux la mettre aussi bien dans le contenu des fictions – avec de la musique, des personnages – mais aussi dans la forme, dans la manière de faire de la promo avec de l’affichage sauvage, des lectures dans la rue… C’est no-limit ! Pour “Des chiffres et des litres” par exemple, le rappeur Mac Tyer a fait un morceau exclusif qu’on a clipé.
Il faut susciter la curiosité chez les jeunes dans les écoles. Forcément, on peut le faire plus facilement avec de la littérature urbaine parce qu’ils vont s’identifier. On parle d’accrochage scolaire maintenant. Mais attention, c’est pour les accrocher. Car il faut aussi les ouvrir, les amener sur des classiques. Si c’est pour les renfermer sur une culture qui leur est proche, les ghettoïser, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. »
> “« Tes yeux dans une ville grise »”:http://www.amazon.fr/Tes-yeux-dans-ville-grise/dp/291876728X, de Martin Mucha publié chez Asphalte. Un étudiant péruvien trimbale ses désillusions et son mal-être dans les autobus de Lima. Livre culte en puissance.
> “« Scarface : marqué à vie »”:http://www.amazon.fr/livres/dp/295329600X, de John Layman et Dave Crosland chez Indeez. Et si Tony Montana avait survécu à l’attaque de sa mansion de Sosa et son crew ? Un comics qui dépote avec du sang, du sexe, de la drogue et un Tony M. devenu indic pour les keufs.
ESTELLE DURAND – CO-FONDRATRICE DE ASPHALTE EDITION
« D’une façon plus large, chez Asphalte on conçoit la littérature urbaine comme de la fiction qui se passe dans une ville et qui ne pourrait pas se passer ailleurs. Qui est très ancrée dans ce lieu. On parle de grandes villes du monde et quand ça se passe à Buenos Aires ou à Lima, ça ne pourrait pas se passer ailleurs. Les ingrédients d’un bon roman de littérature urbaine ? Tu prends un personnage et tu le montres dans son environnement social. Avec toutes ses inégalités, ses problèmes sociaux et politiques, la vie du quotidien propre à la ville, propre au pays.
La genèse d’Asphalte, ça part d’un rêve d’étudiant. On était à la fac avec mon associée et on se disait : “un jour on sera chez nous, on fera notre maison, on fera découvrir de nouvelles voix”. Quand tu es deux et que tu veux créer ta maison d’édition, il faut trouver ce qui te réunit. Et nos goûts communs c’était la littérature urbaine et la contre-culture. Toute sorte de contre-culture : les hippies, les surfeurs… Les contre-cultures ce n’est pas forcément lié à la ville mais nous on a décidé d’associer les deux dans la maison.
Pour chacun de nos livres, les auteurs nous envoient leur playlist idéale qu’on met à la fin de chaque roman et en écoute sur le site de la maison. Pour nous, littérature et musique ça va ensemble. On avait envie que l’auteur ouvre les perspectives et dise au lecteur : “tiens, moi j’écoute ça et j’ai envie que t’écoutes ça en lisant.”
On a déjà un de nos romans qui est dans un programme scolaire… mais en Australie. C’est un classique contemporain qui s’appelle “Chat sauvage en chute libre”. L’auteur, Mudrooroo, est un des premiers aborigènes à avoir un roman publié. Son héros, un métis blanc-aborigène sort de prison en pleine vague jazz et essaie de trouver sa place dans la société, à Perth.»
Pour nous, littérature et musique ça va ensemble
JEAN-MARC BESNIER – BOSS DE L’EDITEUR DE BD INDEEZ
« L’urbain dans la BD, ce n’est pas forcément lié à un style graphique ou à un type d’auteur mais plus à des sujets qui peuvent plaire à des jeunes qui baignent dans la culture hip-hop. Nos premières BD, c’était autour de Method Man et Tupac. Mais ça peut être tout un tas d’autres sujets qu’on va essayer d’apporter à un public qui n’a pas forcément accès à la BD traditionnelle, qui est toujours un milieu fermé et un peu élitiste. Ça passe par une narration, un vocabulaire, des styles vestimentaires… Et puis ne pas forcément passer par un réseau de librairies traditionnelles. Mais plutôt un magasin de fringues à Châtelet, ce genre de choses. En baignant dans la culture hip-hop, ils peuvent avoir sous les yeux des BD, ce qu’ils ne verraient pas ailleurs. J’ai plein d’histoires géniales où tu croises des jeunes dans des classes qui te disent, “c’est la première BD que j’achète de ma vie”. C’est hyper glorifiant.
On essaie d’aborder toutes les cultures urbaines au sens large. On a par exemple une BD sur le métal : un projet un peu fou, apocalyptique avec des extra-terrestres dans un environnement hard rock. D’ailleurs on aura un stand au HellFest. On a aussi Berthet One qui a écrit et dessiné sa BD en prison où il est resté 5 ans. Il a raconté cet environnement carcéral. »
bqhidden. Nos premières BD, c’était autour de Method Man et Tupac
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER