20 heures – Pigalle à Paris, un dimanche soir. A l’heure où la nuit tombe et où la frénésie du week-end laisse place au blues de la gueule de bois, une foule étrange se presse devant « le Caroussel » dans le 9e. Ce vieux cabaret, dressé entre un kebab et une boutique de massages asiatiques, essaye de dominer la rue avec son énorme façade bleue et ses lampions dorés. Ambiance freaks pour l’élection de Miss Cougar 2013. Des jeunes filles couvertes de fond de teint en robes à paillettes squattent l’entrée. Venue pour l’élection de miss cougar, je crois me tromper d’événement. J’approche l’une des bimbos, sosie de Nabilla, les sourcils ultra noircis en plus. « Ca ne fait pas trop vulgaire? » Comment dire…
En fait, l’élection de Miss Cougar aura bien lieu, mais en même temps que celle de Miss Exclusive, à laquelle la presque Nabilla participe (une énième déclinaison de Miss Nationale), et celle de Miss Petite (pour les moins d’1,70m). Les amis et amoureux de ces belles attendent sagement devant la porte du cabaret, du cash à la main. C’est 70 euros pour manger un morceau et voir les idoles d’un soir défiler.
Testostérone 20h30 – Trois femmes, plus âgées et moins sages que cette foule, s’extirpent de la porte du cabaret et prennent place sur le trottoir, visiblement énervées. Ces dames enchaînent clope sur clope. Elles se plaignent d’une « organisation catastrophique » et du manque de moyens de la cérémonie. A peine une mini-loge et des toilettes pour se changer, à partager avec les 77 candidates présentes sur les trois compétitions. Il n’y a qu’un coiffeur et qu’une maquilleuse pour toutes les filles. Et surtout on ne leur a servi qu’une petite salade et une glace. Marylou, 63 ans, petite brune tristounette, les lèvres botoxées, s’exclame: « Il faut être végétarien ». « En même temps, nous on ne paye pas, donc c’est normal qu’on n’ait pas le même repas que les clients » relativise Anna, 48 ans, une brune piquante et sexy aux yeux rieurs.
Autre déception pour les miss : l’annulation de l’élection de « Mister lionceau », prévue le même soir. D’après Marylou, la plus déçue, la presse en serait responsable. « Elle a comparé l’opération à un club de rencontres ». Du plus mauvais effet pour les organisateurs. « Ca manque de testostérone ici ! » plaisante Anna. « On nous a remplacé les lionceaux par des mini-miss, c’est nul», lâche la jeune femme dépitée par cette concurrence déloyale.
Ca manque de testostérone ici !
Mister beauf 21h30 – Les portes ouvrent enfin. L’intérieur du cabaret respire les bouges des 70’s. Une petite salle carrée, recouverte de miroirs triangulaires, et de tentures rouges à strass. Rouge, strass, reflet de rouge, reflet de strass. On a le tournis. Une fois les spectateurs installés, serrés comme des sardines, face à leur entrée Picard, le show peut commencer. Un travesti sosie de Dalida, sans doute presque aussi vieux que le cabaret et assorti à ses rideaux, présente la cérémonie, visiblement blasé.
22 heures – Les membres du jury attaquent le saumon, tandis que le rideau s’ouvre. Parmi eux, un « producteur de cinéma venu spécialement de Cannes » (plutôt spécialisé dans les pubs Optic 2000, en fait), Miss France 1996, les Miss Cougar 2011 et 2012, et enfin un « photographe », avec qui on n’oserait pas rester en tête à tête plus d’une minute dans le même wagon de métro. Les « Exclusive » et mini miss entament leurs défilés en robe puis en bikini, les cougars passeront après, en robe du soir. L’organisateur de l’évènement, Michel Leparmentier, un sympathique sexagénaire, commente leurs passages avec à peu près autant de classe qu’un routier exhibitionniste sur l’autoroute A6. A une candidate, chauffeur de bus de profession, il lance « Ah ! J’aimerais bien être un bus », le sourire ivre et l’air satisfait. « Messieurs les membres du jury, choisissez-la bien. Je passe deux semaines avec elle à Izmir pour le concours de Miss Exclusive monde ». Classe !
Messieurs les membres du jury, choisissez-la bien. Je passe deux semaines avec elle à Izmir pour le concours de miss exclusive monde!
Catho-versaillaise 22h45 – Après une vingtaine de blagues graveleuses, de nombreux prénoms écorchés et des commentaires du type « c’est la banlieue en force ce soir », ou « elle représente le soleil des îles » à propos d’une black des Yvelines, les cougars peuvent enfin entrer sur scène. Elles ne sont que sept, âgées de 41 à 63 ans. L’expérience sans doute, elles sont beaucoup plus détendues que leurs jeunes camarades de compèt’. Claire, la plus âgée, aussi ridée que bronzée, a tenté un look type « catho versaillaise » tout à fait dans l’air du temps. Mais dès son entrée, elle se lâche sur Billie Jean de Michael Jackson. Les jeunes spectateurs s’enflamment. La soirée commence vraiment. Place à la concurrente suivante.
22h55 – France, 62 ans, blonde, entre en scène. Un sourire bêta mais sympathique lui barre le visage. Avec son look de jeune mamie dynamique, on se demande comment elle s’est retrouvée dans un tel traquenard. Elle paraît même ne pas être très au courant de la définition de la femme cougar : « Non, je ne suis pas intéressée par les jeunes hommes. Enfin, l’occasion ne s’est jamais présentée. » Marylou, la candidate d’après, vêtue d’une simple nuisette, serait cougar à l’insu de son plein gré : « Ce n’est pas ma faute, sans-même le vouloir, j’attire les hommes plus jeunes ! »
« Ce n’est pas ma faute, sans-même le vouloir, j’attire les hommes plus jeunes ! »
Trash-tv 23h05 – Au tour de Caroline, 45 ans, blonde (sur)maquillée, (sur)décolletée, perchée sur d’immenses talons. Elle est LA cougar de la soirée. Elle se présente au micro comme le ferait une candidate de téléréalité américaine. « Vous m’avez sûrement déjà vue sur M6, NRJ12 ou d’autres chaînes de la TNT ». A son tableau de chasse, à peu près tout ce que la France compte d’émissions de documentaires animaliers en faune humaine. Elle « chasse tout ce qui bouge, en dessous de 25 ans ». Elle hurle avec fierté: « Je suis née cougar ». A cette heure avancée de la soirée, aveuglé par le rouge strassé, on ne cherche même plus à comprendre. On assume le bad-trip, comme sous l’effet d’un carton trop dosé. Quelques secondes plus tard, elle balance qu’elle veut « transformer l’image des cougars, de vulgaire et trash en sexy et glamour ».
23h15 – Et comme si les candidates n’étaient pas suffisamment étonnantes, il a fallu ajouter à la compétition une cougar malentendante. Hébétée, elle défile, sous les commentaires toujours aussi classes de Michel : « Vive les sourds-muets, vive les cougars ». Là, ça vire carrément au gore…
23h35 – Christelle, rencontrée à l’extérieur, monte sur scène avec un petit foulard fin qu’elle frotte sur son body, avant de l’offrir à un jeune homme abasourdi, chargé de l’organisation de l’événement. Elle est secrétaire en recouvrement. « Moi, c’est les jeunes qui me recouvrent ». Classe. Frissons dans le public. Même Michel semble gêné.
Vive les sourds-muets, vive les cougars!
Winner 00h30 – Le moment du palmarès est à l’image de la soirée. Un raté. Christelle confirme son titre de deuxième dauphine. Veronique, la cougar de la télé, prend la seconde place. Et Marylou, la petite brune féminine, chagrinée par l’organisation, est désignée Miss Cougar. Elle ne comprend pas tout de suite ce qui lui arrive. Après quelques secondes, elle sourit enfin. Elle monte avec difficulté sur la plus haute marche du podium, manquant de se casser le col du fémur. A peine quelques flashs ont-ils ébloui ses yeux humides, que Michel balbutie qu’il s’est trompé dans les calculs ! En fait, c’est la cougar de la télé qui arriverait en tête. Marylou n’est que première dauphine. Dégoûtée, elle descend d’une marche. Échange d’écharpes, de couronnes, sourires contre colères. Goût amer, images étranges, créatures blasées.
Il est 1h du matin. Les jeunes rentrent chez eux avec les miss et les déçues. Seules les cougars, le vieux Dalida et quelques membres du staff dansent encore sur scène et posent pour des photos de groupes. Michel, toujours inspiré, hurle dans son micro : « Mieux qu’à Saint-Tropez ! Mieux qu’à Cannes ! Miss Cougar 2013 au Caroussel! »
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER