15 heures, rendez-vous est fixé à la station Le Guichet sur la ligne B du RER. Quelques minutes plus tard, Quentin arrive en voiture. Direction l’université d’Orsay. Un bref trajet en voiture à travers les collines et nous entrons dans le campus boisé. Une poignée de jeunes grille une clope sur les marches du bâtiment en béton. Carrelage au sol et murs défraîchis l’intérieur semble au diapason. Le chercheur de 25 piges me guide jusqu’à son bureau qu’il partage avec son directeur de thèse, Jean-Marc Edeline, une pointure en matière de connaissance du système sensoriel animal. C’est d’ailleurs ce qu’étudie Quentin. Plus précisément l’ouïe du rongeur. C’est cool non ?
Quel est l’intitulé officiel de ta thèse ?
Il faut que je réfléchisse… C’est quelque chose comme : « Codage des signaux de communication dans le cortex auditif primaire des cochons d’Inde. Rôle du réseau inhibiteur cortical et de la modulation noradrénergique. »
Et tu pourrais nous faire une version « ma thèse pour les nuls » ?
Si on veut vraiment simplifier : quand le cochon d’Inde entend un son, le signal est transformé en impulsions électriques. C’est un peu comme du morse. Ces impulsions arrivent jusqu’aux neurones qui sont soit excités, soit inhibés. Elles en excitent certains, elles en inhibent d’autres. On perturbe chimiquement les neurones pour voir comment tout ça réagit et ainsi comprendre quels sont, sur les signaux électriques, les marqueurs principaux pour que le cerveau interprète ce que le cochon d’Inde entend !
Après une série de portraits de jeunes maliens, nous avions tenté de prouver à Beigbeder que l’amour pouvait durer plus de trois ans. Pour cette nouvelle série, StreetPress s’intéresse à d’autres incompris : les thésards. Qui sont ces doux allumés, à mi-chemin entre l’éternel étudiant et le salarié précaire, prêt à se donner corps et âme pour décrypter les liens entre poubelles et politique au Cameroun, ou comprendre le fonctionnement de l’hypothalamus ?
Après les dessins de Fanny, place aux cochons d’Inde de Quentin.
Et tout ça au final ça sert à quoi ?
A rien directement ou plutôt si, à comprendre. Après ce sont des recherches qui pourront être utilisées par d’autres chercheurs qui eux travaillent sur le système auditif de l’homme. La finalité ça peut être par exemple d’expliquer un peu mieux aux ingénieurs qui fabriquent des prothèses auditives comment est codé le son. Dans mon labo, certains de mes collègues bossent avec des sociétés qui fabriquent des implants auditifs.
Au quotidien, ça ressemble à quoi ton taff ?
Je n’ai pas vraiment de quotidien. C’est assez varié. Certains jours je fais des manipulations. En clair l’animal est anesthésié. J’entame la chirurgie. Ouvrir, placer des électrodes, parfois envoyer les agents pharmacologiques. Il faut tout de même compter deux ou trois heures pour faire tout ça. Ensuite je recueille les données et à la fin tu sacrifies l’animal. Pour une journée de manip, j’ai environ trois jours d’analyse des données.
Et tu as tué combien de cochons d’Inde ?
Si on additionne les rats et les cobayes, environ une centaine. Au début tu as un pincement, mais j’attache toujours de l’importance à ne pas tuer l’animal pour rien. Et quand les résultats obtenus ne sont pas très intéressant, je suis embêté. Comme si sa mort avait été inutile. Je ne vais pas fondre en larme non-plus, mais disons que c’est comme avoir passé une mauvaise journée. Mais tu sais que chaque protocole expérimental qui implique des animaux doit être validé par un comité d’éthique. Il faut éviter les souffrances inutiles, ce qui est normal et respecter la dignité de l’animal. J’avoue que la dignité de la mouche, ça me laisse un peu songeur…
J’avoue que la dignité de la mouche, ça me laisse un peu songeur…
On parle souvent de la solitude du doctorant, t’as connu ça ?
J’ai vu que c’était un sujet à la mode, qu’il y avait même eu des émissions de radios là-dessus. Mais franchement dans les sciences dures je ne comprends pas trop. Moi je travaille dans un labo, au sein d’une équipe et je suis encadré donc finalement le seul moment où je suis tout seul c’est pendant la période de rédaction. Après ce qui est vrai c’est qu’on te confie un projet, si tu ne vas pas au bout personne ne finira pour toi.
Autre question récurrente : les chercheurs seraient poussés à publier un maximum. Tu le ressens ?
Plus ça va, plus on est jugé sur le nombre de publications, mais aussi dans quelles revues. On calcule « l’impact factor » en fonction du prestige, du nombre de lecteurs du magazine. La position de ton nom dans la liste des auteurs compte aussi. Par exemple en bio le premier auteur est celui qui a dirigé le travail, le dernier c’est un peu la caution scientifique, entre les deux ceux qui ont participé. Ça a certaines conséquences négatives. Par exemple on trouve parfois deux articles qui parlent d’un même résultat à un détail près. Et puis si ton sujet de recherche est plus à la mode tu as plus de chance d’être publié, ce qui a des conséquences sur les recherches de financements. Par contre, ce qui est intéressant c’est qu’on trouve des articles plus spécifiques ce qui est pas mal. De mon côté, je n’ai pas à me plaindre, j’ai déjà eu quatre publications.
Côté thune ça se passe comment ?
J’ai un contrat doctoral. Je gagne 1300 euros net. En plus je donne des cours à la fac ce qui me permet de gagner environ 300 euros de plus. Ce n’est pas énorme mais j’arrive à m’en sortir. Quand je vivais en couple j’étais un peu plus large. Mais je ne suis pas aigri par mon salaire. Je savais dès le départ que ce serait comme ça et finalement ce n’est pas le plus important.
Et la suite ?
Mon contrat court jusqu’au 1er octobre 2013. Je vais essayer de présenter ma thèse au plus tard en décembre. Entre les deux je toucherais le chômage. Ensuite j’aimerais bien repartir à l’étranger, en post doc. Je n’ai pas encore cherché, mais si tu ne veux pas absolument trouver un poste dans Paris intra-muros, ça me semble assez gérable. J’envisage l’Allemagne, les Etats-Unis ou disons de manière générale les pays occidentaux. Tu peux aussi aller dans un pays émergent, tu auras plus de responsabilité et sans doute plus de moyens, mais ça ne me tente pas trop.
Quentin | Le CV universitaire
> 2005 : Bac S mention « admis, dirons-nous… »> 2008 : Termine une licence en biologie humaine et santé à Paris 11 avec « mention assez bien, je crois »
> 2009 : Master 1 à l’université Ludwig Maximilians de Munich
> 2010 : Master 2 en biologie, spécialisation «signalisation cellulaire, neurosciences» obtenu avec mention « 14 ça fait quoi ? » Il fait son stage de fin d’étude au sein du laboratoire où il travaille aujourd’hui : « c’est tellement court 3 ans sur une thèse donc si tu peux gagner six mois comme ça, c’est mieux ».
> 2013 : compte bien soutenir sa thèse d’ici la fin de l’année.
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