Cela fait sept heures que chacune des vertèbres des 200 jeunes Géorgiens embarqués à bord des vieux bus de Tbilissi se tasse douloureusement. Les 300 km de route se terminent enfin. Ne restent plus que quelques kilomètres de chemins chaotiques pour atteindre Anaklia.
Au milieu de la friche côtière qui borde la mer Noire, l’enceinte du camp à l’allure de Legoland semble tout droit issue de l’imagination de Mickey. Pourtant non, il s’agit d’un projet « à l’initiative du Président de Géorgie ». Un de plus…
La Biélorussie à l’honneur L’heure est à l’appel. Derrière le bureau placé à l’ombre en raison des 40°C qui sévissent ici, la charmante Anuka, directrice des programmes, accueille les jeunes âgés de 11 à 19 ans avec un grand sourire. Les règles du camp sont énoncées, les équipes sont formées et se voient attribuer un « group leader ». Les « amis biélorusses » font l’objet d’une attention toute particulière, dans la langue de Pouchkine. Ils sont les « étrangers » invités de cette neuvième session.
Anaklia c’est où ?
Alors que les adolescents investissent les bâtiments bleus et rouges alignés face à la mer, les « team leaders » se regroupent autour d’Ucha Varamashvili, directeur du camp, le temps d’un brief. La Géorgie a aussi ses GO.
« Slut » Du 25 mai au 25 octobre, plus de 4.000 jeunes sont attendus sur la côte de la mer Noire pour profiter un peu des palmiers, de la mer et du rêve artificiel qu’offre « Patriote ». Quatorze sessions d’une durée de neuf jours sont organisées, regroupant chacune 180 Géorgiens, 50 Géorgiens dits « ethniques », c’est-à-dire de la diaspora, et 50 étrangers invités par le Président géorgien.
Deux jours d’activités sportives, de baignade et de disco délurée – on retiendra entre autres le titre « I’m a slut » – suffiront à créer des liens. Serrés. Et ce avec la bénédiction présidentielle.
Prends ça Poutine ! Lors de l’inauguration du camp en 2009, Mikheïl Saakachvili avait vanté les nombreuses activités disponibles comme des opportunités offertes aux jeunes désireux d’approfondir les rencontres… Le commentaire avait suscité l’ire de l’opposition qui s’évertuait à condamner le projet « Patriot » depuis son lancement en 2005.
A l’époque, sept camps fonctionnaient en Géorgie, dont celui de Ganmukhuri, ancêtre d’Anaklia situé à trois kilomètres au nord-ouest de ce dernier, que l’invasion des troupes russes en août 2008 avait réduit à néant.
Aujourd’hui, une jeunesse majoritairement post-soviétique vient s’amuser à trois kilomètres de la zone tampon, avec toute l’insouciance de l’âge. Pourtant, un bâtiment des gardes-côtes croise rigoureusement au large de la plage, tandis qu’un hélicoptère militaire survole la zone à intervalles réguliers.
Procédure d’urgence au camp
Reconstruction Entre le camp et l’Abkhazie voisine, la nouvelle cité balnéaire d’Anaklia sort de terre. Depuis trois ans, des travaux colossaux de terrassements et la construction d’un bord de mer suivent leur cours.Le symbole: l’inauguration en août dernier d’un pont piéton enjambant l’Ingouri (fleuve séparant géographiquement l’Abkhazie du reste de la Géorgie, ndlr) et de l’hôtel La Toison d’Or – autoproclamé « cinq étoiles » – en référence à la mythologie qui trouve ses racines dans cette région de Géorgie.
Bref, ni plus ni moins, les « Patriotes » font partie d’un des plans de bataille de la guerre idéologique pacifique qu’a choisi de mener Misha contre l’occupant russe.
We love Georgia Dans le camp, on fait quand même vite la différence entre un Géorgien et un Biélorusse. Parmi tous les « amis biélorusses » interrogés, malgré une peur sensible des intentions du journaliste in fine, l’avis est le même : les Géorgiens sont très bruns et très robustes, parlent fort et rigolent beaucoup. Le petit Denis venu de Moguilev, âgé de 14 ans, se risque même à me glisser, après avoir remercié le président Mikheïl Saakachvili de l’avoir invité ici:Les Géorgiens ils font libres, ils semblent pouvoir dire ce qu’ils veulent.
« Les Géorgiens ils font libres, ils semblent pouvoir dire ce qu’ils veulent. Avec nous ils sont polis, respectueux, ils nous mettent toujours en avant »
De l’avis de tous, les Géorgiens sont vraiment cool. Même les quinquagénaires Olya et Zénaïda, les deux pédagogues biélorusses qui ne quitteront pas leurs bikinis riquiquis, en témoignent : « C’est un grand honneur d’être invitées ici, dans ce pays très ancien. Merci au président Mikheïl Saakachvili et au président du camp (…) Les Géorgiens sont des gens bons. Le plus important dans la vie c’est la gentillesse et il est sûr que les Géorgiens en sont bien dotés. »
Sea, sex and sun Cool, le camp l’est tout autant. L’objectif du projet est d’ailleurs de « renforcer les liens entre jeunes de différentes régions ou pays à travers les nouveaux réseaux sociaux et construire une société civile ».
Cools, c’est aussi le cas des soirées. Guivi, 16 ans, originaire de Kutaïsi, n’en démord pas : « Ici c’est classe, juste classe. Les ‘group leaders’ sont classes, les filles sont classes et la plage est classe » … Pour la critique « militariste » ou « propagandiste », l’opposition devra revoir sa copie. A Anaklia, on vient pour s’amuser et rien que pour s’amuser. Pour les amateurs âgés de 12 à 25 ans, cliquez ici pour vous inscrire l’année prochaine.
La guerre éclair d’août 2008 opposant la Russie à la Géorgie éclate suite au bombardement de Tskhinvali (Ossétie du Sud) par l’armée géorgienne le 7 août, tentant de reprendre le contrôle sur la région. En réponse, les troupes russes envahissent la Géorgie, les chars s’arrêtant à 15 km de Tbilissi après avoir coupé le pays en deux. Elles se retirent finalement quelques jours après la signature de l’accord Sarkozy-Medvedev du 13 août. Depuis, la Russie occupe les territoires sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, dont elle reconnaît les indépendances. 200.000 réfugiés ont fui les deux régions pour s’installer dans des camps en territoire géorgien, et ce jusqu’à aujourd’hui.
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