14 heures – Paris 5e. Le rendez-vous est fixé au 7 rue Cuvier, à quelques encablures seulement de la Seine. Derrière l’imposant portail en fer, le centre de recherche du Muséum d’histoire naturelle. Je passe un coup de fil à James pour qu’il m’ouvre les portes de ce temple de la science. Derrière la bâtisse, les autruches du jardin des plantes contemplent avec mépris les hordes de gamins en goguette. Polo noir, cheveux courts et large sourire. L’étudiant de 25 ans, plutôt beau-gosse, tranche avec les clichés du geek en t-shirt Star Trek, accro à la chimie moléculaire. Désolé pour les fans de Big Bang Theory.
À travers les portes entrebâillées, j’aperçois un décor qui ressemble à ma salle de chimie de lycée : paillasses blanches et verrines. Un silence religieux règne. Nous nous arrêtons dans une petite bibliothèque en longueur. Une large table de bois remplit la pièce. James y dépose son «outil pédagogique», quelques images plastifiées permettant de vulgariser ses recherches. Si une pointe d’accent trahit bien ses origines anglaises, c’est dans un français parfait qu’il évoque ses recherches.
Quel est l’intitulé officiel de ta thèse ?
Je dois avouer que je ne sais même pas. T’as qu’à mettre « les interactions entre les hormones thyroïdiennes, le métabolisme et le vieillissement chez les souris. »
Et tu pourrais nous faire une version « ma thèse pour les nuls » ?
On essaye de démontrer qu’il existe un lien entre le métabolisme – c’est-à-dire comment le corps transforme les graisses, les vitamines…, les hormones thyroïdiennes qui agissent sur plein de choses comme la croissance ou le système nerveux. Et le vieillissement. On essaye de démontrer que si on agit sur l’un, ça influence les deux autres.
Pour mieux comprendre, regardez la vidéo explicative en bas de l’article.
En fait tu cherches le secret de la vie éternelle ?
Pas vraiment. La durée de vie moyenne augmente, les maladies liées à l’âge comme Alzheimer sont de plus en plus courantes. L’objectif c’est de mieux comprendre le vieillissement pour améliorer la qualité de vie.
Après une série de portraits de jeunes maliens, nous avions tenté de prouver à Beigbeder que l’amour pouvait durer plus de trois ans. Pour cette nouvelle série, StreetPress s’intéresse à d’autres incompris : les thésards. Qui sont ces doux allumés, à mi-chemin entre l’éternel étudiant et le salarié précaire, prêt à se donner corps et âme pour décrypter les liens entre poubelles et politique au Cameroun, ou comprendre le fonctionnement de l’hypothalamus ?
Et concrètement tu étudies ça comment ?
On compare deux souches de souris, l’une qui a une durée de vie moyenne, l’autre qui a une durée de vie longue. Cette dernière a par ailleurs une plus forte résistance à l’obésité.
Et tu as tué combien de souris ?
Comme ça je ne peux pas te dire… (visiblement le sujet est tabou, mais James ne se départit pas du flegme british et évite de répondre avec courtoisie.)
Pourquoi avoir choisi de faire ta thèse à Paris ?
J’ai fait mon stage de master 1 en Angleterre. Certains de mes amis l’ont fait à l’étranger. J’ai vu tout ce que ça leur a apporté. J’étais un peu jaloux ! Au collège j’avais fait un échange scolaire avec la France, depuis j’ai gardé un petit kiff pour le pays.
On dit souvent que la recherche française n’est plus ce qu’elle était. Avant de partir quel regard portais-tu sur notre pays ?
James | Le CV universitaire
> 1er janvier 1988 : Naissance à Leeds> 1999 : obtient son « SATS 2 » (test d’entrée au collège) avec un 5 sur 7.
> 2004 : décroche son « GCSE » avec 1 B, 7 A et 1 A-.
> 2006 : valide son « A-Level » avec un B en bio, en chimie et en français.
> 2009 : passe une année en entreprise dans une boîte pharmaceutique.
> 2010 : obtient sa « licence avec expérience industrielle » avec une note moyenne de 2.1 (entre 60 et 70
> 2011 : valide un master 2 en biologie cellulaire, physiologie et pathologie à l’université Paris Descartes, mention assez bien.%
J’avoue que je n’avais pas d’avis particulier. Mais de toute façon je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui la question soit pertinente. La science est internationale. Je suis Anglais, en France pour participer à un programme de recherche financé par l’Europe. Certaines manipulations se font à l’étranger puisqu’on mutualise les moyens avec d’autres projets. Ce sont nos différences qui favorisent la profondeur et l’ouverture. Peut-être qu’on pense différemment et c’est justement ce qui donne de la force au travail en commun.
Les deux précédents thésards qu’on a rencontrés nous ont pas mal parlé de petits moments de solitude, t’as connu ça ?
Non, c’est l’avantage avec mon projet : c’est un travail qu’on fait en équipe. Au total nous sommes cinq (ndlr : il est le seul doctorant du groupe). Ça permet de pas mal échanger et puis je fais mes propres hypothèses. Après, il faut convaincre les autres qu’elles sont pertinentes. Le seul défaut par rapport à une thèse en solo, c’est que les décisions ne te sont jamais totalement propres. Donc tu n’assumes jamais tout seul les conséquences, positives ou négatives, de tes actes.
Côté thune ça se passe comment ?
Je suis arrivé en France fin 2010 pour faire un master 2, déjà dans le cadre de ce projet. Je suis en contrat encore jusqu’à septembre 2013, en gros je gagne un peu plus que le Smic avec un statut d’étudiant. C’est un financement européen. Le défaut c’est qu’il est le même quel que soit le pays. Par exemple j’ai une amie qui travaille sur un projet dans une petite ville du Portugal. On reçoit exactement la même indemnité, mais on n’a pas du tout le même niveau de vie ! Normalement je suis censé toucher des APL, mais j’ai renoncé après avoir envoyé deux fois tous les papiers et être venu une fois les donner en main propre. Ça ne va toujours pas ! Ils veulent un acte de naissance avec un tampon officiel, sauf qu’en Angleterre, il y a juste une signature sur ce document. Sinon mon entreprise me rembourse 50% du pass Navigo, comme tout le monde !
Et la suite ?
Je ne sais pas exactement quand je vais finir ma thèse, sans doute dans un peu plus d’un an puisque mon école doctorale n’aime pas trop qu’on dépasse les 3 ans. Je n’irai pas jusqu’au bout de l’expérimentation puisqu’elle s’étale sur cinq ans, mais je vais tout de même devoir prolonger après la fin de mon contrat. Il va donc falloir trouver un autre financement ! Et après ça, je n’ai pas tellement envie de devenir chercheur, j’aimerais plutôt faire de la vulgarisation scientifique. Soit en tant que journaliste, soit en tant que chargé de com’.
Video – My Science Work explique la thèse de James
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