A la fac de Jussieu c'est la guerre entre la Smerep et la LMDE

Jeudi 8 juillet à l’Université Pierre et Marie Curie – premier jour des inscriptions à la fac. Il est midi et il fait un soleil de plomb sur l’esplanade de Jussieu. L’endroit se prête idéalement à un pic-nic étudiant à base de bière chaude, de sandwich Daunat et de conversations qui se transforment en flirt. Sauf que pour les rabatteurs des mutuelles étudiantes Smerep et LMDE, dix minutes de pause-déjeuner, c’est autant de clients perdus. Leur panini sera dévoré en deux minutes chrono et toujours sur le stand, pour se parer à toute attaque. « Si on bouge du stand, la LMDE vient déchirer nos affiches ! » s’énerve Thomas, nouveau chargé d’information pour la Smerep.

Ici derrière l’ambiance potache se cache un véritable champ de bataille. D’un coté de la cour il y a les stands de la Smerep et de l’autre ceux de la LMDE. Les tranchées sont établies, le combat pour les primes à la vente d’assurance peut commencer.

LMDE VS Smerep: une histoire de sous

La guerre entre les rabatteurs de Jussieu, c’est d’abord une question de fric. Ceux de la Smerep sont payés au Smic, mais touchent une prime de 50€ toutes les 5 mutuelles vendues au-délà d’un seuil de 500. La LMDE fonctionne de la même façon avec un système de commissions-bonus.

En plus de l’effet panier de crabe entre rabatteurs, il y a un esprit ‘corporate’ insufflé pendant les formations pour motiver les troupes. A la Smerep, on leur apprend que les méchants c’est la LMDE, et réciproquement. « La formation de la Smerep consiste à dire : ‘la LMDE ce sont des enculés’. On est le mal incarné en gros », me chuchote Adrien, qui effectue sa première mission pour La Mutuelle Des Étudiants. Même son de cloche de l’autre côté. Pour Jonathan « la formation LMDE » consiste à se baser sur « les arguments de la Smerep pour les casser, étant donné que la LMDE a beaucoup moins d’offres ». Adrien, de plus en plus excité par la tension naissante, part en plein délire parano: «Apparemment, il y a des taupes qui s’infiltrent dans nos formations. C’est la Smerep qui les paye. C’est des enfoirés !»

Des techniques roublardes pour se voler les clients

Mais il y a de quoi devenir parano: chacune des deux mutuelles rivalise de vice et de roublardise pour se piquer des clients. « A la Smerep, ils prennent que des jolies filles pour draguer les étudiants », croit savoir Adrien, le regard toujours à l’affut. « Chez nous, ils aiment bien prendre des sportifs avec l’esprit de compétition. C’est pas pour rien qu’on a des entretiens collectifs: ils voient qui peut se démarquer ». Au même moment un de ses collègues l’interrompt: « Tout à l’heure, une nana de la Smerep est venue me provoquer ». Adrien, en mode karatéka réagit au ¼ de tour: « Je lui aurai rentré dedans moi ! ».

Jonathan qui bosse à l’administration de l’UPMC, en connait un rayon en anecdotes croustillantes: « L’an dernier, les mecs de la Smerep portaient un costume noir et une chemise blanche. Lorsque ceux de la LMDE sont arrivés pour s’installer, les mecs en costume se sont fait passer pour la sécurité et leur ont dit ‘Pas de stand aujourd’hui’ !». Il en rigole encore, mais préfère insister: « C’est la même chose chez la LMDE … en plus balourd ! Ils retirent leur T Shirt LMDE pour se faire passer pour la scolarité et disent à la Smerep qu’ils n’ont pas le droit d’être là !»

Il y a aussi le « coup classique » : se faufiler dans la queue des inscriptions et casser du sucre, de manière innocente, sur le concurrent. « On leur lance des petites phrases du genre ‘cet hiver, je me suis cassé la jambe au ski. La LMDE a mis des mois pour me rembourser‘ », explique fièrement Eddy, qui travaille depuis plusieurs années de la Smerep.

Du côté des autres universités, l’ambiance n’est pas plus calme. « A Paris 3, ils ont été obligés de mettre des barrières entre les deux stands pour qu’ils ne s’entretuent pas ! A Tolbiac, il y a très souvent des bagarres », a pu constater Mélanie, choquée après ses premiers jours de bataille.

« Ne l’écoute pas, c’est une pute! »

Un blondinet – sac-à dos Eastpack et visage poupon ravagé par l’acné - pénètre dans la fac. Paninis et canettes sont lâchés, la course est lancée. Manque de bol, Smerep et LMDE arrivent ex-æquo devant l’étudiant en première année au regard paniqué. « La règle, c’est de ne jamais couper le speech de l’autre et de ne pas s’insulter», avais-je entendu plus tôt dans la journée. Au diable les règles, semblent me dire les rabatteurs. Ici c’est à celui qui sera le plus odieux envers l’autre. Le ton monte: « Ne l’écoute pas, c’est une pute! », s’énerve un garçon qui laisse pantois sa concurrente.

Maintenir la pression sur les saisonniers

Insultes, coups bas, altercations, espionnage… « C’est malsain comme ambiance » se souvient Olivier, ancien employé de la Smerep. « On avait la pression, on savait qu’ils pouvaient rompre notre contrat à tout moment si on n’atteignait pas les objectifs. Avec un job aussi précaire, c’est normal qu’on soit compétitifs ! »

Il semblerait que ces pratiques soient mises en péril par les inscriptions qui s’opèrent de plus en plus via Internet. « Il y a moins d’agressivité maintenant. Avant il fallait être balèze sinon ça partait en couilles », atteste John, grand gaillard prêt à attaquer. Il y aurait même des couples qui se forment entre armées concurrentes. « On est comme les Capulet et les Montaigu » sourit Adrien de la LMDE, ce à quoi Cécile de la Smerep acquiesce: « Oui c’est vrai. Notre amour est impossible, mais au fond on s’adore… ». Avant toutefois de nuancer son propos: « Le grand blond de ton groupe, je peux pas me le voir ! » « Moi c’est la métisse de chez toi que j’arrive pas à blairer », rétorque Adrien.

Alors que c’est la pause, Omar, le responsable LMDE, rappelle à l’ordre son équipe et me montre du doigt: « Ne lui dites rien à elle », lance-t-il avant de me réclamer les photos et témoignages que j’ai recueillis. « Donne-moi ton cahier que je déchire les pages où tu parles de la LMDE ». Il m’avouera quelques instants plus tard m’avoir pris pour une taupe.
 

Source: Lisa Serero | StreetPress