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    30/06/2010

    StreetPress tente l'expérience kibboutz avec les jeunes alters israéliens

    Au kibboutz Pelekh, la gauche radicale ne croit plus au grand soir

    Par Johan Weisz

    Avec la déconfiture du kibboutz – village collectiviste des années 1950 – les jeunes de la gauche israélienne doivent reconstruire autre chose. StreetPress t'emmène sur une colline de Haute Galilée à Pelekh vivre l'expérience du kibb

    En même temps que notre voiture grimpe la côte qui doit nous amener au kibboutz Pelekh, et avant de commencer ce reportage, quelques rappels :

    1 – La société israélienne a été construite par des vagues de pionniers majoritairement socialistes, de la fin du XIXe siècle aux années 1950. Ils ont créé des centaines de kiboutzim à travers le pays – des villages collectifs d’inspiration socialiste romantique avec une salle à manger partagée, une rotation des tâches et une égalité parfaite entre tous les membres.

    2 – De la même manière que le milieu des années 1990, avec les privatisations, a sonné le glas d’une société qui figurait parmi les plus égalitaires des pays développés, les kiboutzim ont connu une crise profonde , qui s’est soldée par un abandon des principes fondateurs.

    3 – La gauche israélienne mobilisée sur les combats pour la paix a mis de côté les questions sociales, parfois devenues l’apanage de partis religieux.

    Et nous voici donc à Pelekh. Le kibboutz, perdu au sommet d’une colline de Haute Galilée, est à 3 heures de voiture de Tel Aviv – autrement dit très loin dans la cambrousse. Quelques bâtiments en préfabriqué et une yourte entourent une salle à manger en dur. A la fin des années 1970, le gouvernement israélien avait incité à la création de villages juifs dans la zone, pour bloquer le développement de l’agglomération arabe à proximité. C’est sur cette base – ambiguë – qu’est né Pelekh.

    Pelekh: l’alternative au kibboutz de papa

    Il y a 10 ans, alors que le kibboutz tombe à l’abandon, une dizaine de jeunes qui terminent leur service militaire décident de s’installer à Pelekh. Mais pas pour reconstruire le kibboutz de papa.

    « On a vu nos anciens kiboutzim se casser la gueule », raconte Halely, une rouquine de 23 ans qui a grandi au kiboutz Ga’ash : « Du coup, on a voulu construire quelque chose de différent ». « C’est vrai que le modèle du kiboutz a représenté le plus grand mouvement radical concret au monde », reprend Itaï, un éducateur de 29 ans : « 360 kiboutzim et plus de 200.000 membres, dans un pays de quelques millions d’habitants, ça n’est pas rien ». Mais « les habitants des kiboutzim ne se voient plus comme des pionniers. Ils s’y installent pour l’herbe verte, l’aspect village agréable pour les enfants, l’éloignement des problèmes des grands centres urbains… peut-être un peu aussi pour les idées, mais ça vient après ».

    Largement libéralisé, le kibboutz de papa ne serait pas très loin d’un Center Parcs où la volonté de changement radical de la société serait égale à celles de bobos parisiens réunis pour un pic-nic – le sentiment d’appartenir à une communauté de valeurs en moins.

    Laura, Yoni et Youval: alters à la sauce israélienne

    A Pelekh, se retrouve l’avant-garde du mouvement alter à la sauce israélienne. Laura, une grande brune de 26 ans, a immigré de France il y a un peu plus de dix ans par idéal sioniste. Depuis, elle est passée par la case prison pour refus d’effectuer son service militaire et a enchaîné les missions de travail social dans les banlieues israéliennes. Aujourd’hui, elle a créé son entreprise d’éducation informelle et vend des activités éducatives aux écoles comme… à l’armée.

    Yoni a lui monté une société coopérative de sonorisation événementielle avec une poignée d’autres jeunes. Le nom de la structure Shom’im Khazak (littéralement « on entend fort ») est un jeu de mot qui renvoie à “l’Hashomer Hatzaïr”:http://en.wikipedia.org/wiki/Hashomer_Hatzair , un mouvement de jeunesse sioniste socialiste, dont la plupart des membres de Pelekh sont issus. Le temps qu’il lui reste, il travaille avec des jeunes dans un pensionnat.

    Youval, 29 ans, termine son master d’économie à l’université de Haïfa . Là-bas, il a créé avec d’autres étudiants l’académie d’économie sociale, « pour prendre le temps de réfléchir sur les textes et réaliser qu’il n’y a pas que le modèle néo-classique dans la vraie vie ». Il y fait intervenir et débattre des économistes ou des acteurs de la société civile devant une trentaine d’étudiants. En parallèle, Youval gagne sa vie en écrivant pour Daf hayarok (la feuille verte), le journal des kibboutzim : « C’est plus alimentaire qu’autre chose. Mais même si c’est un job étudiant sympa, je ne serai pas journaliste plus tard ».

    Le kibboutz de 2010 est un kibboutz-réseau

    Pelekh, loin du kibboutz de papa, est un kibboutz-réseau. « Nous sommes un kibboutz de groupes », avertit Halely : « Il y a 6 groupes dans le kibboutz, avec à chaque fois une dizaine de membres. Chacun travaille ou étudie, la plupart en dehors de Pelekh ».

    «Alors que la société extérieure rend chacun plus individualiste, on résiste en partageant et en nous construisant ensemble» Itaï

    « Dans chaque groupe, on se retrouve une fois par semaine », explique Itaï : « On parle de nos projets et on étudie… Marcuse, Buber , Gordon … Alors que la société extérieure rend chacun plus individualiste, on résiste en partageant et en nous construisant ensemble».

    Mais le kibboutz 2.0 évite l’écueil de l’individu à la merci du groupe, comme dans « le kibboutz où je suis né, Azoréa, où nous étions 800 personnes », nous explique Youval. « Même si dans le kibboutz traditionnel les décisions sont collectives, on va faire des arbitrages budgétaires en zappant l’humain: Est-ce qu’untel peut aller dans une université chère ? Les gens qui vont décider ne connaissent même pas le jeune en question», s’agace Halely.

    Un kibboutz recentré sur l’individu

    Partant, chaque groupe définit ses propres règles et peut même décider… d’habiter hors de Pelekh. Comme l’a fait le groupe de Meirav, 28 ans et Hadass, 29 ans qui se sont installées « à 10 dans une villa de Mishmar Hashiva. C’est à un quart d’heure de Tel Aviv », précisent-elles. Meirav et Hadass n’ont pas étudié à l’université (« ce sera pour plus tard ») et vivent de petits boulots depuis maintenant 9 ans. La première est aujourd’hui guide au musée de la révolte du ghetto de Varsovie, l’autre travaille dans le secteur éducatif. « Ici, on a un impact sur la société, tout en vivant selon les valeurs qu’on a choisies ».

    La plupart des groupes mettent en commun chaque shekel gagné et redistribuent l’argent collecté en fonction des besoins de chacun. Mais dans le groupe d’Halely « ce sont pour l’instant uniquement la nourriture, le loyer, l’électricité et peut-être bientôt le budget loisir qui sont mis en commun », nous explique-t-elle. Dans son groupe, les membres partagent « une salle à manger, une salle d’ordinateurs, une salle télé mais à part ça chacun a sa chambre individuelle. C’est important que chacun se retrouve par choix avec les autres ».

    « On change la société autour de nous, mais on sait qu’il n’y aura pas de révolution ici »

    Laura, Itaï, Yoni ou Youval pensent d’abord groupe et ensuite engagement dans la société, bien avant parti ou syndicat. Certes Tom, 28 ans, qui travaille dans une boîte de logiciels milite dans Koakh laOvdim (littéralement « la force aux travailleurs »), le syndicat qui s’est créé il y a deux ans et demi pour prendre la place abandonnée sur la gauche de la Histadrout , la centrale syndicale historique. « Mais si avoir un horizon politique est important, ce qui est essentiel, c’est le travail de terrain ».

    Pas de grand soir donc. « Je ne vois pas venir de changement radical », reprend Itaï – sandales, barbichette et cheveux blonds : « Vous avez remarqué qu’ici la plupart des gens travaillent dans l’éducation, souvent l’éducation informelle, sur des territoires abandonnés depuis longtemps par les politiques. On crée de l’échange, on a le souci de l’autre, on fait se poser des questions aux gens sur la société capitaliste ». « On vit avec peu d’argent, mais on a un autre but que d’avoir une grosse voiture dans la vie. La révolution, on la vit déjà en nous-même et c’est déjà pas mal », lâche Meirav. « On change la société autour de nous, mais on sait qu’il n’y aura pas de révolution ici. Peu importe, c’est mon pays ».

    Encore plus éloigné que le grand soir, marqué par la désillusion des années Oslo et des logiques d’appareil qui voient un Parti travailliste allié au Likoud et à l’extrême droite, le retour au processus de paix. On passera 24 heures à Pelekh, mais pas un mot sur Netanyahou, Abbas ou Obama. Ici, les alters préfèrent construire leur kibboutz que d’attendre un miracle.

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