Tribunal administratif de Moscou, vendredi 15 février – « Voilà, c’est fini ! » lance narquois Sergey Gubanov. Pas tout à fait en réalité, l’audience est simplement reportée au 1er mars. La police n’a pas transmis les pièces du dossier. L’ironie du jeune militant gay n’est pas du goût de la magistrat en charge du dossier, qui lui intime immédiatement l’ordre de garder le silence. Trônant à côté d’un grand drapeau blanc, bleu, rouge – les couleurs de la Russie – la juge ne cesse de lui jeter des regards noirs. Pendant un instant le silence se fait dans la salle, simplement troublé par une mélodie des Spices Girls qui s’échappe d’une pièce voisine. Personne ne semble s’étonner de l’incongruité de la situation. Debout aux côtés de son avocate, devant la cage aux barreaux épais dans laquelle on enferme les prévenus en détention provisoire, Sergey a retrouvé un visage impassible. Si le jeune homme, cheveux longs et gueule d’ange, siège sur le banc des accusés c’est officiellement pour avoir « participé à une bagarre de rue devant le parlement russe ». Une ratonnade, en fait, dont Sergey et ses amis ont été victime le 19 décembre dernier.
Car en Russie, les homosexuels ne sont pas victimes mais coupables. C’est la loi qui le dit. Depuis le début de son nouveau mandat, le président Poutine se sert de l’homophobie pour retrouver une popularité qui s’est effritée. La communauté gay locale en fait les frais. Bien souvent physiquement.
1 Des agressions devant le Parlement
Pour dénoncer l’examen prochain d’une loi visant à « interdire la propagande homosexuelle », quelques activistes avaient organisé un kiss-in devant la Douma ce 19 décembre. Une vingtaine de personnes à peine avait répondu à l’appel. « Ici les homosexuels ont peur et le plus souvent vivent cachés », explique Sergey Ilupin, militant présent ce jour-là. Lui a fait son coming-out depuis longtemps. Une exception dans ce pays ou plus de 85% des gens affirment ne connaître aucun homosexuel .
A peine arrivés devant le parlement, une bande de mastards s’approche des quelques couples et commence à scruter la petite troupe. « On a très vite compris ce qu’il allait nous arriver », raconte Sergey Ilupin. Le ton monte. Les hooligans interpellent les quelques manifestants. En un instant tout bascule. Des œufs commencent à voler. Les agresseurs se jettent sur les couples homosexuels. Les coups pleuvent. L’agression était « d’une rare violence » témoigne Sergey Ilupin. Lui a eu le nez en sang mais rien de cassé. Tous n’auront pas cette chance. « J’ai immédiatement appelé la police. Ils ont mis plus de 30 minutes à arriver »… devant le Parlement ! Une fois sur place les forces de l’ordre ne font pas dans le détail. Agresseurs comme victimes sont emmenés au commissariat, jetés dans la même cellule. Près de trente heures ensemble, ça créerait presque des liens :
« J’ai discuté avec ceux qui m’ont frappé. Certains étaient bien sûr des crétins complètement homophobes, mais d’autres étaient surtout là pour se faire un nom, une réputation et montrer leur bande. »
Video Bastonnade à Moscou
Aujourd’hui c’est notre existence même qui pour eux est une forme de propagande
Sergey Gubanov, après son agression
Bis repetita Ni les coups, ni les 30 heures de garde à vue ne découragent pas les activistes. Le 25 janvier 2013, nouvelle action devant la Douma qui vote ce jour-là à une très large majorité (388 voix pour, une contre et une abstention) la loi interdisant la « propagande de l’homosexualité auprès de mineurs ». Comme un triste goût de déjà-vu. « A peine arrivé, j’ai repéré certains de nos agresseurs de la dernière fois », raconte Sergey Ilupin. « J’ai alerté la police, qui est restée indifférente ».
Très vite la situation dégénère . Les militants LGBT sont à nouveau agressés par une bande se revendiquant de l’église orthodoxe, plus certainement des hooligans. Sergey Gubanov est frappé à plusieurs reprises, sous les yeux de la police qui n’intervient pas vraiment (voir la vidéo ci-dessus). Nez cassé, le sang coule sur son visage. Quelques « hétéros-solidaires » venus en soutien, assistent à la scène interloqués. L’un d’eux, professeur dans un lycée scientifique prestigieux, s’est fait renvoyer suite à la pression des parents. La communauté scientifique a pris sa défense et il a finalement été réintégré.
2 Une opinion publique hostile
Pour Konstantin Milchin, journaliste à Reporter Russe « Poutine a très largement perdu en popularité. Il est aujourd’hui dans une phase populiste : il fait passer ces lois démagogiques pour détourner l’attention des problèmes sociaux ou de la corruption qui progresse dans le pays ».
La majorité en quête de popularité drague une opinion publique largement homophobe. Selon le dernier sondage organisé par le centre sociologique Levada en 2011, à peine 25% des sondés pensent qu’il faut laisser les homosexuels en paix. 24% croient qu’il faut leur apporter une aide psychologique, 21% les soigner, 18% les isoler et même selon 4% des personnes interrogées, les liquider.
Pour Elena Gusya, militante de la première heure, « la situation d’aujourd’hui est comparable à celle d’avant 1993 (année où l’homosexualité masculine a été décriminalisée, ndlr) A cette époque le mot homosexuel n’apparaissait que dans les textes de lois ou les documents médicaux. Il y a eu une vague de liberté et d’ouverture à la fin de l’URSS, mais ce temps-là est révolu. Aujourd’hui c’est notre existence même qui pour eux est une forme de propagande ».
> Alyona, la quarantaine passée et mère de deux enfants de 19 et 21 ans, vit en couple avec Marina. Elle raconte les difficultés du quotidien :
« En Russie il n’y a pas de statut officiel pour les couples homosexuels. Ça crée des difficultés au quotidien. Par exemple, nous n’avons pas de compte commun, mais une simple procuration. On ne peut pas non plus acheter un appartement en tant que couple ou plus simplement se déclarer ensemble dans les recensements.
En octobre dernier Marina s’est faite agresser dans un club. Un commando d’une vingtaine de mecs cagoulés a fait une descente. Elle a eu la mâchoire déboitée. Les médecins m’ont bien fait comprendre que je n’avais pas plus de droits qu’une simple amie. Imaginez, si ça avait été plus grave? Je n’aurais sans doute même pas pu la voir. »
Sur son sac à main, un ruban arc-en-ciel. « Il faut se battre maintenant. Si on ne fait rien aujourd’hui, demain ce sera trop tard… »
3 Des lois homophobes à gogo
Le texte voté en première lecture, le 25 janvier, par la Douma interdit la « propagande de l’homosexualité auprès de mineurs », sans définir précisément les faits qui pourraient être concernés. A l’origine de la loi, Sergueï Dorofeïev, député du parti au pouvoir, Russie Unie. Pour lui il s’agit de « protéger les mineurs des conséquences de l’homosexualité ». « Ça revient à considérer l’homosexualité comme un virus qui pourrait se transmettre », commente Sergey Ilupin. Pour lui les conséquences risquent d’être dramatiques :
« Cette loi rend impossible toute forme d’information auprès des ados. Aujourd’hui le nombre de suicide chez les jeunes homos est déjà très élevé. Demain on peut craindre une véritable hécatombe. »
Pour Elena Gusya, c’est toute la communauté LGBT qui est en danger.
« Ça va être comme en URSS. On va assister à de vrais procès politiques. Et la notion de propagande homosexuelle va servir de prétexte pour faire taire les militants. »
Dans le texte il est simplement question d’empêcher les « informations pouvant nuire [au] développement harmonieux physique et psychique » des enfants. La formulation imprécise laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Ainsi, la mairie de Moscou réfléchirait à interdire purement et simplement les baisers entre personnes du même sexe, dans les rues de la capitale . Plus certainement, ce sont les actions militantes pour les droits LGBT, qui devraient en premier pâtir de cette loi. La Gay Pride est déjà interdite depuis 2006. Si la loi est adoptée en seconde lecture, ce qui ne fait que peu de doutes au vu du premier scrutin, les contrevenants seraient désormais attaqués au portefeuille . Une personne physique risque de 4.000 à 5.000 roubles d’amende (100-125 euros), une personne dépositaire de l’autorité publique de 40.000 à 50.000 roubles (1.000-1.250 euros) et une entité juridique de 400.000 à 500.000 roubles (10.000-12.500 euros).
4 L’offensive de l’Eglise orthodoxe
La loi visant à interdire la « propagande homosexuelle », bien que soutenue par le Kremlin, s’est faite à l’initiative de parlementaires de la Douma. Ce n’est pas la première du genre. Plusieurs villes comme Saint-Pétersbourg ou régions, comme Novossibirsk ont adopté à l’échelon local des textes similaires qui illustrent l’influence grandissante de l’église orthodoxe sur la sphère politique.
Avec l’association Triangle, Elena Gusya a monté dans les années 90 le premier centre d’information pour les homosexuels. « Je m’occupais d’une petite salle de lecture. Une dizaine de livres tout au plus et les premiers fanzines LGBT ». Petit à petit elle accumule un véritable trésor, « toutes les publications sur le sujet, depuis la chute de l’URSS ».
Faute de moyens, le centre a fermé ses portes. Aujourd’hui c’est dans son salon qu’on peut consulter ses archives. Elena reste discrète sur son activité et les milliers de pages scannées ne sont pas en ligne.
« Je ne suis pas vraiment inquiète pour moi, mais j’ai peur que quelqu’un décide d’y mettre le feu. Ce serait un drame, certains documents sont uniques. »
Par« la poste tsigane » [équivalent russe du téléphone arabe] les gens apprennent l’existence de ces pages et continues à venir les voir. Elena, la soixantaine passée, se demande ce que deviendront ces témoignages de l’histoire russe, après son décès.
Ivan Otrakovski, leader du mouvement orthodoxe « Sainte Russie »
Ainsi plusieurs membres de la hiérarchie orthodoxe ont violemment dénoncé l’homosexualité , une pratique « issue du diable » et « aussi insupportable que la doctrine communiste ». Ivan Otrakovski, leader du mouvement orthodoxe Sainte Russie, rangers aux pieds, intégralement vêtu de noir et brassard au bras prie pour que dieu les protèges de « cette attaque ». Pour lui, « les sodomites, [ceux] qui réclament des droits pour faire de la propagande, pour corrompre nos enfants, pour qu’ils suivent la même voie entachée de péchés qu’eux […], détruisent les traditions, la famille. Si tout le monde était homosexuel, le peuple mourrait ».
« L’Assemblée mondiale du peuple russe » (VRNS), organisation fondée par l’Église orthodoxe russe pour regrouper ses croyants au-delà des frontières du pays surfe quant à elle sur l’actualité française. Dans un communiqué elle « apporte son soutien aux citoyens français ayant protesté contre la légalisation des mariages homosexuels et contre l’adoption d’enfants par les couples de même sexe ». Une tentative « agressive d’entériner sous forme de normes juridiques le vice et la pathologie ». Par la même occasion elle réclame « au législateur russe de prendre les mesures excluant toute perspective de confier des orphelins russes adoptés par des étrangers à des couples de même sexe, et au cas où de telles garanties ne pourraient être obtenues, interdire l’adoption des orphelins russes dans les pays où les mariages homosexuels sont légalisés ».
bqhidden. Les sodomites, réclament des droits pour faire de la propagande
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