Porte de Montmartre – Paris 18e. La nuit tombe et sous les lumières du périph’ un beau car reluisant attire l’attention. Devant la porte ouverte, un petit groupe semble faire la queue pour répondre à un questionnaire. Sur les deux côtés du bus, les inscriptions « Bus Barreau Solidarité de Paris » mettent la puce à l’oreille.
Le questionnaire, c’est pour les stats. Parce que le concept du bus solidaire des avocats de Paris, c’est justement de pouvoir y aller anonymement. Ici, un groupe d’avocats bénévoles apportent « conseils et orientations » juridiques à des personnes démunies ou en situation de précarité qui n’iraient pas en mairie ou en palais de justice bénéficier des consultations gratuites.
« Ça peut même aller jusqu’à l’accompagnement de la personne dans l’engagement d’une procédure », ajoute Yann, juriste et salarié de l’association Droits d’urgence partenaire du projet.
Regroupement familial Comme pour chaque permanence, ils sont une grosse vingtaine ce mardi soir à bénéficier pendant 25 minutes d’un entretien avec l’un de ces avocats bénévoles. Il y a par exemple Tariq*, Pakistanais de 56 ans, venu se renseigner sur les démarches à suivre pour que sa femme, restée au pays obtienne un visa et vienne le rejoindre en France. Malgré sa timidité, il nous raconte son histoire :
« Je suis analphabète et c’est loin d’être évident, pour moi de tout comprendre aux procédures à suivre. Ils m’ont déjà aidé pour les papiers de mes enfants. Mes enfants sont étudiants dans d’autres pays européens. Mais, mon rêve ce serait que mes petits enfants puissent venir passer des vacances chez moi, ici. »
Pour l’instant, Tariq vit dans son camion, garé dans les puces de Saint-Ouen, au milieu des boutiques d’antiquaires. « En fait, je fais des livraisons, à droite, à gauche pour gagner un peu d’argent. Je n’ai pas de logement, parce que l’argent que je gagne, je l’envoie à mes enfants pour qu’ils puissent étudier. »
Parmi un petit tas de feuilles qu’il sort de son blouson, il tend une lettre cacheté de l’Elysée :
« Je voudrais que vous écriviez sur votre journal que je remercie François Hollande, le président. Mon fils lui a écrit une lettre, pour lui expliquer ma situation et combien j’avais besoin d’un logement. Et je suis vraiment content il m’a répondu. »
Je suis analphabète et c’est loin d’être évident, pour moi de tout comprendre aux procédures à suivre
Sans-Papiers Adel*, marocain de 28 ans, lui est venu pour faire régulariser sa situation :
« Maintenant je sais qu’il faut que j’aille déposer un dossier auprès de la préfecture de Bobigny. Tant que le dossier est en cours, si je me fais contrôler, on ne peut pas m’expulser. Je suis arrivé en France il y a un mois, avec un visa touristique de deux semaines. En fait il fallait que j’attende la fin de mon visa pour pouvoir faire une demande de régularisation. Bon du coup, les délais d’attente, après le dépôt de mon dossier, seront de six mois… »
C’est Fouad*, un ami venu l’accompagner qui lui a parlé du bus : « En fait, moi je connais le bus presque depuis sa création. En 2004, j’étais venu accompagner son frère aussi pour connaître les démarches à suivre pour une régularisation des papiers. Voilà, presque 10 ans après j’y retourne avec son frère ! ».
Weirdos Mathilde* est avocate – elle a 26 ans – et depuis septembre, elle anime certains soirs par semaine des permanences pour le bus. Le planning est chargé, les gens attendent, alors elle n’aura le temps que de nous glisser que quelques mots :
« Depuis la nouvelle réforme sur le droit des étrangers, on a plus de cas de régularisation des papiers ces derniers temps. Ils sont assez rares mais on a aussi quelques cas parfois assez impressionnant. Par exemple, une femme qui vient se plaindre qu’on fait des essais nucléaires dans sa cave, qu’on a greffé son visage sur une autre personne ou encore qu’on a caché un micro dans une de ses dents… Bon dans ces cas-là on écoute. Au final, on a aussi la fonction psychologue ou assistante sociale. »
Mardi soir, c’est Macina*, 55 ans, Française d’origine kabyle, qui se dit victime d’une cabale :
« Ils ont drogué mon fils, pour lui faire reconnaître un enfant qui n’est pas le sien. Qu’on me dise ce qu’il faut que je fasse, parce que sinon j’y vais avec un flingue et je leur mets une balle dans tête. »
Je n’ai pas le temps de lui expliquer que je ne travaille pas pour le bus qu’elle me déverse son histoire. Habitée d’une colère noire, elle s’agite, elle mange ses mots et on ne comprend que certaines de ses phrases. Les juristes chargés de l’accueil l’écoutent, elle ressort quelques minutes plus tard du bus, un papier dans les mains, l’air quelque peu apaisé.
Licenciements Le concept marche puisqu’ils sont chaque année plus nombreux à venir depuis sa création en 2003. Cette année, le bus solidaire dépasse les 4.500 consultations données, qui se tiennent 5 jours par semaine. Et depuis un an et demi, une 5e escale a été rajoutée pour faire face à la demande. Toutes les permanences ont lieu aux portes de Paris dans des quartiers inscrits en périmètres « Politique de la ville. » Comprendre précaire.
Si les problèmes rencontrés par les personnes font le plus souvent appel au droit des étrangers, au droit familial ou du logement, « la crise économique se fait réellement sentir », note Emmanuelle Delnatte, la responsable coordination ;
« Ces derniers temps les problèmes étaient beaucoup plus liés au droit du travail. Ça explose, même : chômage, licenciement, conflits avec son supérieur… »
La Carpa – la Caisse des règlements pécuniaires des avocats – finançait le bus, mais depuis le 1er janvier, c’est le fond de dotation « Barreau de Paris Solidarité » qui s’en charge. Le bus bénéficie aussi de la communication par la ville de Paris. Un travail qui a été récompensé : le bus reçoit, en 2008, « la balance de cristal » remise par le conseil de l’Europe. Une récompense pour mettre en avant des pratiques innovantes et efficaces dans le domaine de la justice. C’est le seul bus de l’Europe à proposer ce service.
Une femme est venue se plaindre qu’on faisait des essais nucléaires dans sa cave
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