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    06/12/2012

    « Ça m'arrive de donner des informations fausses aux élèves »

    Pourquoi les conseillers d'orientation sont si détestés ?

    Par Elodie Font

    Le conseiller d'orientation, métier le plus mal-aimé de France ? Tout part d'un grand malentendu : quand les intéressés se décrivent comme des psychologues, les profs et les élèves attendent des « orienteurs ».

    « Trop nul », « incompétent », « au courant de rien », « inutile ». La vindicte populaire est formelle : les conseillers d’orientation-psychologues pourraient prétendre au titre de profession la plus détestée de France. Une jeune conseillère, Pauline, sourit jaune : « Dans le 92, c’est hallucinant, on est encore moins aimés que les flics ! » Même esprit chez Justine, en poste depuis huit ans dans le sud-est de la France : « Je passe mes repas de famille à me justifier. Comme si on était responsables de ce système éducatif, et du marché de l’emploi, et de la politique du gouvernement – quel qu’il soit ! »

    Incompréhension générale Mais pourquoi tant de haine ? Pour tous les conseillers d’orientation que nous avons rencontrés, la raison est limpide : personne ne comprend leur métier. Ni les élèves, ni les parents, ni même (parfois) leurs collègues profs. Pauline raconte :

    « Le souci, c’est que les élèves et les parents imaginent qu’on est Madame Irma, qu’on va regarder dans une boule de cristal et décider pour eux d’un métier. On est là pour conseiller, certes, mais pas pour faire le choix à leur place ! Alors forcément, ils sont déçus. »

    Nadine, la cinquantaine, exerce son métier depuis 28 ans. Elle abonde dans le même sens, précisant : « Le pire, je pense que ce sont les parents, parce qu’ils imaginent que le système scolaire dans lequel évoluent leurs enfants est identique à celui qu’ils ont connu. Ce qui n’est bien sûr pas le cas. »

    Mais alors, si le boulot d’un COP, ce n’est pas de faire le choix à la place de l’élève, qu’est-ce donc ? Oriane, une autre jeune conseillère d’orientation, explique : « L’idée, c’est d’amener à faire réfléchir le jeune sur ce qu’il aime. On lui donne une méthode pour qu’il fasse un choix. Ou plusieurs parce qu’aujourd’hui, on leur conseille surtout d’être flexibles, de ne pas se fixer sur un seul métier sans avoir de plan B. » Les COP insistent donc surtout sur le « P » de leur sigle : selon eux, ils sont bien plus des psychologues que des « orienteurs ».

    Fac de psycho Faut dire que tous les COP ont un point commun, un seul (lire l’encadré sur leurs parcours) : ils ont forcément fait des études de psycho – oui, ceux qui sont censés nous donner les clés pour nous orienter ont choisi, à la base, une… filière bouchée. Pauline rit franchement : « Mais c’est vrai ça, j’y avais jamais pensé ! Le pire, c’est que moi, j’ai déjà dit à des élèves que la psycho, c’était bouché. Ceci dit, je n’empêche jamais un élève d’aller vers une filière. On n’est pas des casseurs de rêve, et la preuve, chaque filière peut mener à un métier auquel on ne pense pas quand on est en term ! »

    Après leur fac de psycho (au moins un bac +3, mais généralement les étudiants ont un bagage universitaire plus important), les futurs COP tentent un concours difficile – le taux de réussite varie autour de 10 %. Puis ils passent deux ans dans un des quatre établissements adaptés, en France, pour les former – un à Paris, un à Aix, un à Lille et un à Rennes. Celui à Paris s’appelle l’INETOP, ceux de Province des CEFOCOP. Au bout : le diplôme tant attendu qui permet d’exercer comme fonctionnaire dans l’éducation nationale, aussi bien dans les collèges et les lycées que dans les CIO.

    Qu’apprennent-ils pendant ces deux ans ? L’intégralité des guides ONISEP ? Non, puisque vous l’avez maintenant compris, leur formation est plus axée sur la psycho que sur l’orientation. Et, c’est dire si leur profession est mal interprétée, même certains jeunes COP s’y perdent. C’est le cas de Julia :

    « J’avoue que je m’attendais pas à avoir autant de cours théoriques. On en a sur l’éco, sur la socio de l’éducation, sur la psycho, sur le marché de l’emploi… par exemple, on a appris à définir une tâche ! Le premier cours, on n’a pas trop compris, on nous a parlé de silex… C’est vrai que je m’attendais à plus de concret, mais bon, c’est comme ça. »

    En parallèle, les jeunes COP interviewés apprécient leurs stages en entreprise et en CIO (Centre d’information et d’orientation). Parce qu’une fois en poste, un conseiller d’orientation partage son temps entre plusieurs établissements scolaires et un CIO.

    Je ne vois pas trop ce que c’est, un métier qui recrute…

    Marché de l’emploi flippant Résultat : les COP sont calés en psycho et en culture G, mais ils ne sont pas forcément à même de livrer des détails sur les (milliers de) fiches métiers. Bérénice, en poste depuis 15 ans, lâche:

    « On ne peut pas avoir connaissance de toutes les formations. Il y en a tellement, vous imaginez ? Moi, c’est vrai que ça m’arrive de donner des informations fausses aux élèves, je m’en rends compte après, parce qu’en l’espace de quelques semaines, une nouvelle formation sera apparue, un nouveau cursus. Il faut aussi qu’on nous donne les moyens d’être informés en temps réel. »

    Parce qu’en face, les élèves et les parents sont de plus en plus impatients – certains COP racontent même des entretiens qui se terminent par des accès de violence. Surtout depuis que le marché de l’emploi fait sacrément la gueule. Il y a quelques jours, à Paris, se tenait le salon de l’éducation et de l’orientation. Les queues face aux stands de l’ONISEP sont longues et les lycéens un brin inquiets. Justine, 17 ans, en term ES, angoisse : « Y’a trop de métiers, j’y comprends rien. » Plus loin Thomas, 16 ans, en première S, ajoute : « Le truc, c’est que mes parents, ils veulent que je trouve un métier qui recrute, mais bon, je vois pas trop ce que c’est, un métier qui recrute… »

    Vaste question, à laquelle ne veulent répondre les COP. Pauline explique : « Encore une fois, ce n’est pas notre rôle. Nous, on amène le jeune à réfléchir, mais on ne va pas lui dire, fais ce métier, il embauche, alors qu’on n’en sait rien, si ça se trouve, 5 ans après, ce secteur sera bouché. Les études sont tellement longues qu’on ne peut prendre ce genre de risques. »

    Pauline d’ajouter : « Mais quand on le raconte comme ça, ça donne un métier assez noir alors qu’aucun de nous n’a envie de le lâcher. Parce qu’on se sent utile, surtout avec les élèves en difficulté. Par exemple, ce que le grand public ne perçoit pas, c’est qu’on fait passer des tests de QI, qu’on découvre la dyslexie de certains élèves. » Julia, elle-aussi jeune COP, précise : « Nous, on voit le verre à moitié plein. Tous ces jeunes qu’on aide, plutôt que tous ceux qui, certes, peuvent se débrouiller sans nous. »

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