Vous avez peut-être déjà croisé un auteur de guide de voyage. Il est là, dans un bar, en train de vous dire qu’il est payé pour manger dans des restos sardes, et vous vous dites qu’à côté, votre vie est terriblement difficile (et vous avez passablement envie de lui jeter votre vin rouge au visage). Arrêtons tout de suite le massacre : non, un auteur de guide de voyage n’a pas la vie rêvée qu’on lui prête, oui votre vie à vous est formidable. La vie d’un auteur, vous allez le comprendre, est surtout un dédale de journées à courir, de plans foireux, de lits mal testés et de repas en tête-à-tête avec son assiette. Le tout le plus souvent mal payé. Rassurés ?
1 Combien de temps sur place ?
En fait, tout dépend de la commande que les auteurs doivent honorer et le temps qu’ils ont les moyens de passer sur place :
> Pour un petit guide week-end : entre 3 jours et une semaine
> Pour une mise à jour de guide : entre 2 et 3 semaines
> Pour une création de guide (c’est très rare) : entre un mois et un mois et demi
Seulement ? Michael (lire ci-contre) nous explique : « Le problème, c’est qu’on a la même enveloppe de frais si on reste sur place 15 jours ou 3 mois. Donc évidemment, la plupart des auteurs essaient de rester le moins longtemps possible sur place, pour ne pas perdre d’argent. »
Sachant qu’il y a derrière chaque voyage un gros travail de préparation en amont. Mathilde (lire ci-contre), qui a longtemps écrit des guides, se souvient : « Avant de partir, tu épluches les sites sur le pays, tu lis tous les guides déjà parus pour avoir une base, tu contactes le maximum de gens sur place. » Quentin ajoute : « Quand tu fais un guide week-end, finalement la quasi-totalité de ton travail est faite en amont, tu vas surtout sur place pour sentir l’atmosphère. »
2 Combien sont rémunérés les auteurs ?
Difficile de faire des généralités tant les disparités sont grandes entre les éditeurs. De l’avis général, Michelin (les guides verts), Gallimard (les GEOGuides, entre autres) et le Routard paient un peu mieux que les autres. Le Petit Futé, en revanche, a beaucoup moins de moyens. En moyenne, les témoignages tournent autour de ces sommes :
> Pour un petit guide week-end : entre 100 et 500 € frais inclus
> Pour une mise à jour de guide : entre 2.000 et 7.000 €, frais inclus
> Pour une création de guide (c’est très rare) : entre 3.500 et 7.500 €, frais inclus
Sachant qu’une création de guide, entre la préparation, le voyage et l’écriture, prend au minimum 3 mois. Il y a 10 ans, les auteurs étaient davantage rémunérés, mais ô LA crise est passée par là, et la vente des guides en a pris un petit coup sur le crâne. Même si un guide résiste encore et toujours à l’envahisseur : celui sur… la Bretagne. Eh oui.
> Quentin, 30 ans, a travaillé pour le Petit Futé et le Routard
> Mathilde, 35 ans, a surtout travaillé pour Michelin
> Juliette, 28 ans, a travaillé pour le Petit Futé
> Vincent Noyoux, auteur de Touriste professionnel, l’anti-guide de voyage, a travaillé pour Gallimard (GEOGuides)
3 Comment les auteurs choisissent les spots ?
Vous avez forcément vécu cette scène : vous suivez aveuglément les dires du Routard, et, même si vous êtes au bout du monde, vous vous retrouvés dans un resto où vous entendez parler français à toutes les tables. Mais pourquoi ce resto et pas son voisin ? En fait, dans chaque guide, vous trouverez une moitié d’adresses incontournables et une moitié d’adresses en fonction des goûts et de la méthode de l’auteur. Dans tous les cas, par manque de temps, de moyens et d’appétit, l’auteur ne teste PAS la totalité des adresses qu’il propose. Vincent Noyoux, dans son livre Touriste professionnel, se marre:
« N’est-ce pas la force des artistes : ils ont plus de talent lorsqu’ils inventent le réel que lorsqu’ils le décrivent. »
Alors comment font-ils, s’ils ne les testent pas tous ? À chacun sa méthode. Michael va taper la discut’ avec les gérants d’auberges de jeunesse : « Je fais aussi beaucoup de couchsurfing pour connaître des gens de là-bas, avoir leur ressenti. » Mathilde, elle, fait faire « la liste de leurs restos préférés » à tous les gens qu’elle croise. Avec une même mission : trouver la perle, LE resto qui n’aura pas encore été déniché par un collègue et qu’elle testera. Et ce n’est pas toujours gagné. Juliette sourit : « faut tomber sur pas mal de rades avant de découvrir une perle. »
4 Les auteurs testent-ils les restos anonymement ?
Une fois qu’ils ont leur liste de restos, les guides partent donc à la recherche de leurs futures bonnes tables. On les imagine tapis dans l’ombre, à griffonner des notes entre deux plats, des lunettes (de soleil) sur le nez. Oui, c’est ça, comme des détectives privés. En réalité, Vincent Noyoux lâche:
« On ne peut pas tout obtenir en jouant au touriste lambda. À vrai dire, on ne peut rien obtenir du tout. »
Tous ne sont pas aussi cash. Michael essaie « dans la mesure du possible » de rester anonyme. « Après, dans les bars, tu peux le dire parce que généralement ils s’en fichent et ils ne t’offrent pas de verre. Mais si je n’ai pas assez d’argent pour me faire un resto, je le dis, et c’est quasi sûr qu’ils me l’offrent. Bon, ensuite, le souci, c’est que derrière y’a des attentes, t’es quasi obligé de le mettre dans le guide. » Vincent, lui, est dans son livre moins sentimental : « je n’ai aucun scrupule à mordre la main qui m’a nourri. »
5 Et les hôtels, sont-ils testés anonymement ?
Non, quasiment jamais. Autant pour les restos, ils sont nombreux à tenter le coup de l’anonymat (au moins jusqu’à l’addition), pour les hôtels, les auteurs sont unanimes : c’est quasi impossible. Oui, parce que demander à visiter l’hôtel en entier sous prétexte que môman vient dans le pays la semaine suivante, ça marche assez peu. Mathilde sourit:
« On essaie toujours de trouver des stratagèmes, mais en pleine saison, ça ne fonctionne pas. Et puis, ça va plus vite de tout de suite se présenter. »
Une fois que l’hôtel est mis au courant, ils acceptent de faire visiter leurs locaux dans 95 % des cas. Michael raconte : « On reste environ une demi-heure dans chaque hôtel pour se faire une idée. Mais tester jusqu’au bout, en dormant dans une chambre, c’est très rare. » Mais puisqu’il faut quand même tester la literie, Vincent Noyoux raconte dans son livre ce moment (hilarant de l’extérieur) où il s’allonge sur les matelas pour sentir s’il est plutôt dur ou plutôt mou, sous le regard atterré de l’hôte.
6 Les auteurs sont-ils censurés ?
Oui et non. Non, parce que c’est rare qu’un éditeur zappe des passages entiers ; oui parce que l’auteur s’autocensure. Pas question de critiquer les autorités, par exemple. Mathilde raconte:
« Tu ne peux pas attaquer un pays, tu ne peux rien dire au niveau politique. Par exemple, si tu fais un guide où tu parles de la Baule, tu ne pourras pas dire que la municipalité a bétonné toute la côte et que c’est super moche. »
Autre cas de figure où l’auteur est un brin autocensuré : quand il y a un partenariat avec l’office de tourisme ou quand il faut tester des établissements qui achètent un encart publicitaire dans le guide. Juliette s’est retrouvée dans cette situation : « On est censé être plutôt positif et il m’est arrivé de me faire remonter les bretelles car mon texte n’était pas très flatteur, même s’il ne reflétait que ce que j’avais vu. »
Quentin, lui, se fait offrir ses billets d’avion et l’hôtel par l’office de tourisme de la ville où il se rend. Il dit n’avoir aucun compte à rendre ensuite à l’office de tourisme, mais dans les faits, il met régulièrement l’hôtel dans ses choix. « Mais c’est aussi parce que généralement, c’est un bon hôtel. On ne ment pas non plus aux lecteurs. »
7 Que font les auteurs de guides le reste de leur vie ?
Beaucoup sont… journalistes. Michael s’en amuse : « ça me donne des idées de sujets. » Pour entrer dans ce monde, il faut donc savoir écrire, éventuellement connaître la langue du pays où on va être envoyé (et encore) et, petit plus qui fait son effet, être recommandé. Même si, pour Michael, les éditeurs ne sont pas toujours très regardants:
« dès que le profil colle à peu près, ils prennent. »
Sachant qu’entre deux voyages, il faut aussi compter quelques jours pour se remettre de la rédaction d’un guide. Vous avez déjà essayé, vous, de manger dans 15 endroits différents par jour, de se taper des musées et des balades toute la journée au pas de course ? Unanimement, les auteurs lâchent qu’après une expédition, ils sont « vidés ». Avec une mention spéciale souvenir désagréable pour le fait de « manger tout seul au resto ».
8 Pourquoi continuer ?
Quentin le résume parfaitement : « Parce que ça continue à faire rêver, justement, et que c’est une carte de visite de fou. » Et Michael d’ajouter:
« Et c’est toujours très excitant d’arriver dans un pays et de monter son réseau de A à Z. Mais ce n’est pas un métier que je recommande pour ceux qui veulent avoir une vie normale. »
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