Une porte, puis deux, puis trois. En nous guidant vers son appart’, Manue s’amuse : « Ici, c’est une maison de retraite, y’a pas un bruit. » Santiago, son fiancé, enchaîne : « Nos voisins nous prennent pour des extraterrestres, ils fantasment qu’on ait des plans cul à 15, je pense. » Mais pourquoi tant de haine ? Eh bien parce que Manue, Santi, Béata et leurs acolytes forment une coloc assez originale : à l’origine, il y a un an et demi, ils étaient trois couples, tous écolos, un brin roots, branchés sur le partage et la solidarité.
« Vous restez manger, non ? Des pâtes carbo, ça vous va ? » Sur la grande table du salon est posé négligemment le tome 2 de La communauté . « C’est la bible », se marre « Santi ». Entre deux bouchées de spaghetti, au beau milieu d’un salon aux allures estudiantines, fait de bric et de broc, 3 des 4 membres fondateurs de la coloc ont accepté de jouer le jeu des questions/réponses. Le troisième et dernier couple – qui a emménagé en juillet – n’est pas venu tailler le bout de gras avec nous. En revanche, Marc, un Anglais qui sous-loue pour quelques semaines le canap’ du salon, nous a observé, amusé, toute la soirée.
Comment vous avez décidé de faire une coloc de couple ?
Béata : en fait, on était tous les 4 (Santi, Manue, Béata et son ex, Raoni, ndlr) des adeptes du couchsurfing. Raoni et moi, on habitait à Paris et un soir de Nouvel an, on a hébergé Santi et Manue qui habitaient à Grenoble à ce moment-là. On se connaissait pas, mais on a tout de suite bien accroché. On s’est revu, et puis un soir, un peu bourrés, on s’est dit : « tiens si on se faisait une coloc. » On était sur la même longueur d’onde : tous les quatre écolos, pour une mutualisation des biens et des moyens.
Santiago : sachant que moi, j’avais quasiment toujours été en coloc et que Manue et moi, on avait déjà habité dans plusieurs colocs avant…
Manue : du coup, on s’est mis à chercher une coloc tous ensemble, et on a adoré cet appart-là – on a eu du bol, parce qu’on avait tous des dossiers de merde, mais la proprio avait envie de trouver rapidement quelqu’un.
Santiago : on a emménagé super vite, les premiers mois, c’était vraiment du camping, on n’avait pas de thunes pour tout meubler. On a tout chiné ou acheté sur le bon coin. Ou la table, là, tu vois, je l’ai porté un soir tout seul sur mon vélo ! (Table qui est super grande, ndlr)
>Manue : 28 ans, cherche du boulot dans la coopération décentralisée
>Beata: 28 ans, directrice d’une asso de promotion de la culture brésilienne en France
Et du coup, il y a 3 chambres. Qui dort dans la 3e ?
Béata : c’est une chambre tournante. Là, y’a un couple depuis juillet. Nous, ce qu’on cherche quand on fait passer les entretiens de coloc, ce sont des gens écolos, qui aiment les grosses bouffes, qui aiment habiter en communauté.
Manue : et puis qu’ils soient en couple pour qu’il y ait une certaine harmonie. On a aussi envie qu’il y ait une parité garçons/filles, on fait attention à ça.
Béata : c’est sympa parce que ceux qui louent cette troisième chambre viennent d’un peu partout. On a eu des Espagnols à un moment, par exemple. Et puis y’a des gens de toutes les nationalités qui passent dans le salon, pour une ou quelques nuits. C’est sympa, ça nous permet de parler plusieurs langues…
Manue : et de manger plein de plats exotiques ! Souvent, le dimanche soir, on se retrouve à 12/13 et on mange des plats d’un peu partout. Moi, par exemple, je cuisine malgache, je suis née à Madagascar.
Béata : c’est vrai que nous-aussi, on vient d’un peu partout. Moi je suis d’origine polonaise et Santi il est franco-espagnol (et Raoni est Brésilien, ndlr).
Et vous arrivez à avoir de l’intimité ?
Manue : ben écoute, on va bientôt se marier, alors c’est que ça va ! Béa est notre témoin de mariage, d’ailleurs ! En fait, nos chambres sont bien isolées donc ça va.
Béata : oui, après si tu parles d’intimité spirituelle, ça dépend. La plupart du temps, ça pose pas de souci. Après quand on s’est séparés avec Raoni, là, c’était difficile.
Manue : ah ouais, j’avais pas pensé à l’intimité spirituelle, je pensais à l’intimité physique… c’est vrai que c’est plus compliqué quand y’a des conflits, avec Santi, ça nous est arrivé de sortir de l’appart pour aller s’engueuler !
Santiago : oui, enfin ça va quand même, c’est pas très dérangeant, je trouve.
C’est une chambre tournante. Là, y’a un couple depuis juillet
> 3 chambres
> 2 salles de bains
> 2 toilettes
> 1 dressing
> 950 € par mois pour une chambre de couple*
> 650 € pour Béata
Je serais même pour mutualiser les APL !
Est-ce que vous avez mis en place des règles ?
Béata : en fait, les règles évoluent à chaque fois qu’un nouveau couple arrive… au début, par exemple, chaque chambre devait maintenir une pièce commune propre, mais on le fait plus trop.
Manue : y’a pas vraiment de règles en fait… regarde, par exemple, on achète un panier d’une Amap chaque semaine, et chacun prend ce qu’il veut, on fixe rien. Mais je crois que ça marche parce que y’a du respect entre nous.
Béata : ouais et puis on peut même pas fixer des règles pour la vaisselle : on a un lave-vaisselle ! »
Santiago : là, on est en train de penser à mettre en place des réunions de coloc une fois par mois, pas tant sur les aspects purement fonctionnels, mais plutôt sur la manière dont se sentent les gens. C’est super important de communiquer, c’est comme dans un couple, en fait.
Manue : parce qu’on a tendance, quand on se réunit tous, à parler ménage et argent, sans se demander comment on se sent, ce qui est quand même le principal.
Santiago : après, on a des règles pour tout ce qui est économique et…
Manue : ouh là arrête, tu vas endormir tout le monde !
Santiago : mais non, c’est simple, c’est juste qu’on a un compte à part sur lequel on met le montant des loyers, des charges etc… C’est comme si l’appart avait un compte, en fait. Mais je te raconterai dans les détails après l’interview !
Un soir, un peu bourrés, on s’est dit : « tiens si on se faisait une coloc. »
Je veux bien ! Et sinon, votre coloc a-t-elle un défaut ?
Manue : je dirais que s’il y a un défaut, ce serait le manque d’implication de certaines personnes. Sur les décisions, les changements de baux ou autres trucs un peu chiants, personne ne veut jamais les faire, surtout pas les gens qui restent quelques mois…
Béata : pour moi, si je dois dire un défaut, c’est que c’est un peu dur quand ça va pas. Parce que j’ai peur que mon état d’esprit influe sur la coloc, je me dis « faut pas que je montre mes faiblesses. »
Santiago : mais faut pas !
Vous imaginez avoir des enfants en continuant à habiter en coloc ?
Manue : je m’imagine plus en communauté qu’en coloc, avec chacun sa maison, mais un jardin et diverses choses en commun. Perso, j’ai pas envie d’être le seul modèle pour mon enfant, j’ai envie qu’il ait accès à d’autres cultures, d’autres modèles familiaux.
Béata : c’est sûr qu’une fois que t’as goûté à ça, c’est impossible de vivre seul. Je sais que moi, seule, je me sentirai très très mal. Ici, pour moi, c’est un peu comme une famille.
Santiago : c’est clair, dans une coloc, moi je me sens plus libre, et je trouve qu’on vit mieux. Bon après moi j’ai un côté collectiviste, je serais même pour mutualiser les APL !
bqhidden. On cherche des gens écolos, qui aiment les grosses bouffes, qui aiment habiter en communauté
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