Amateur de fumette, look streetwear très alter et goût prononcé pour les blagues potaches, Ghassan Wail El Karmouni tranche avec l’image prout-prout « d’acteur clé des sociétés arabes de demain » qui lui vaut son séjour à Paris.
À 30 ans, le loustic au physique de gentil nounours est déjà :
> Journaliste d’investigation dans un magazine indépendant où il a dénoncé, entre autres, les pressions du régime sur les annonceurs pour faire taire les journaux
> Activiste dans le mouvement de 20 février – le « printemps arabe » version Maroc.
> Boss d’une ribambelle de projets à Casablanca pour bouger la jeunesse du pays.
Des activités qui lui font dire qu’il est sans doute suivi par les services secrets du pays.
il est sans doute suivi par les services secrets du pays.
Networking De passage à Paris, Ghassan Wail était invité par le ministère des Affaires étrangères avec 50 autres jeunes d’Égypte, de Jordanie, de Libye, du Maroc et de Tunisie. Objectif de ce séjour aux frais de la princesse : valoriser des nouveaux profils éclairés du monde arabe pour Paris. Et trouver du bif’ de l’autre côté de la Méditerranée pour Ghassan Wail qui veut monter une revue de photojournalisme faite par des jeunes qui ne peuvent pas se payer une formation.
En attendant, il a passé 15 jours à faire du networking parmi les élites du pays. Son emploi du temps :
« Ce matin on a visité Le Monde. Demain ce sera le Quai d’Orsay. »
Ce matin on a visité Le Monde. Demain ce sera le Quai d’Orsay.
Dissident new-look Sur son front, deux cicatrices que l’on remarque dès le premier coup d’œil. Des coups de matraque de CRS marocains ? Le résultat de longues séances de torture dans un commissariat secret de la banlieue de Casablanca ? « Non, non rien de tout ça ! J’étais un enfant turbulent ! » explique-t-il avec un sourire malicieux.
Ghassan Wail est un de ces militants new-look pour la démocratisation du monde arabe. Habitué des bistros bobos parisiens – « j’adore Le Cannibale, rue Jean-Pierre Timbaud » – Bac + 5, maqué avec une Allemande et amateur de fusion-jazz. Il n’a pas connu la prison, ni les réseaux clandestins comme ses aînés. À StreetPress, il expose sa conception de l’activisme :
« Un dissident marocain qui a passé de nombreuses années en prison dans les années 1970 m’a dit un jour : ‘‘Nous étions clandestins au peuple, mais visibles des autorités. C’était notre erreur.’‘ Il faut faire l’inverse, nous devons être un interlocuteur avec les autorités. »
Réformateur Ghassan ne veut pas renverser Mohammed VI. Il trouve d’ailleurs que « le régime a très rapidement réagi d’une manière intelligente » après le début de la contestation.
> 2005 : monte son premier projet social : la réhabilitation d’un immeuble de Casablanca en centre pour les musiques actuelles
> 2009 : Termine son 3e cycle en Economie | Participe à une campagne contre le jeûne obligatoire pendant Ramadan | Devient journaliste pour le mensuel Economie et Entreprises
> Fev. – Avr. 2010 : S’engage activement dans le mouvement du 20 février
> 2012 : Lance un projet de magazine de photo collaboratif
« On est sorti dans les rues le 20 février. Le 9 mars, il y a eu le discours du Roi qui a parlé de nouvelle constitution et d’élections. C’étaient les revendications du mouvement. Il a répondu à l’essentiel. »
Et il se fait critique avec la direction du Parti Socialiste Unifié – où il est encarté – qui a décidé de boycotter les deux scrutins. « C’était une erreur, contradictoire avec la démocratisation. Il faut avoir une critique constructive.»
Mais il a la haine contre le traditionalisme et l’autoritarisme du régime. Ses combats : les libertés sexuelles – droit à la contraception, à faire ce que l’on souhaite de son corps – et d’expression. Sur la censure, Ghassan Wail en connaît d’ailleurs un rayon. En 2009, les sbires de M6 ont fait une descente dans les locaux du magazine d’Économie et Entreprises, son employeur, « à cause d’une brève de 6 lignes sur une des sociétés du Roi. » Résultat des courses : des ordinateurs saisis et une amende de … 600.000 euros.
Ghassan ne veut pas renverser Mohammed VI
Nerf de la guerre Pour lutter, Ghassan Wail s’est engagé dès les premiers jours dans le mouvement du 20 février. Il y a joué le rôle de « coordinateur média » – il dirigeait une équipe de 6 personnes – jusqu’à la grande journée de manifestation du 24 avril.
« Comme je suis journaliste, j’ai mis à la disposition du mouvement toute une base de données de contacts nationaux et internationaux. Pour faire caisse de résonance. »
Avant, il avait participé à une campagne de com’ contre l’obligation de jeûner publiquement pendant le ramadan. Un joli coup puisque le débat s’était invité dans les cafés du pays.
Communication toujours, parmi la multitude de projets qu’il a monté, celui dont il est le plus fier, c’est la réalisation de 3 documentaires avec un groupe de 15 jeunes, âgés de 18 à 29 ans, sans formation audiovisuelle. L’objectif : donner aux jeunes Marocains les moyens de s’exprimer.
« Le mouvement du 20 février a illustré la réalité du Maroc : un pays à plusieurs vitesses. La jeunesse en a marre et elle en veut. Mais en même temps elle n’a pas suffisamment d’outils sur sa réalité pour créer le changement. »
Le mouvement du 20 février a illustré la réalité du Maroc : un pays à plusieurs vitesses
Nouvel Ordre Mondial À Paris, Ghassan est venu avec un nouveau projet pour doter la jeunesse « d’outils pour créer le changement » : une revue bimensuelle de photoreportage consacrée aux thématiques sociales et culturelles. « Avec l’idée de former des jeunes de tous les horizons dont on diffuserait les productions. » Alors il se met en quête de financements, notamment de l’Union Européenne qui avait déjà subventionnée son projet de documentaires.
Invité par le gouvernement pour son engagement démocratique, sponsorisé par l’UE, baladé dans les ministères, les grandes écoles et les périodiques de référence : et si Ghassan était manipulé par les Illuminatis ? Vous savez, ces agents du Nouvel Ordre Mondial qui ont ourdi le printemps arabe pour étendre la sphère d’influence de l’Occident en terre de résistance. Devant sa 2e Grimm’, il explique :
« C’est vrai qu’il y a un risque que les gens voient un grand complot derrière ce genre d’initiative. Mais bon, dans le cas du Maroc, ça n’a pas de sens, puisque la France est aussi beaucoup engagée du côté du roi. »
Ghassan Wail pense d’ailleurs que les Américains ont joué un rôle prépondérant dans la chute des dictatures du Maghreb.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER