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L’essentiel
Benjamin Abtan, vous êtes le fondateur de l’Egam, un réseau d’associations anti-racistes européennes, qui organisait ce weekend une Roma Pride. Est-ce que c’est bien raisonnable de communautariser la lutte anti-raciste ?
Evidemment que communautariser la lutte contre le racisme ou l’antisémitisme n’est pas ce qu’il faut faire. La Roma Pride s’est tenue à Paris, Place du Panthéon mais également dans 13 autres pays européens simultanément, et justement dans une démarche universaliste : il y avait des tziganes et des non-tziganes, des gens engagés et des gens qui le sont moins, des intellectuels, des artistes, des hommes politiques. Tous ensemble, on portait un message politique clair qui est la pleine insertion dans la société pour tous, et également celui de l’égalité des droits. Et en particulier en France, on était là pour réagir d’abord aux actes racistes extrêmement violents qu’il y a eus contre les Roms à Marseille, à la suite desquels il n’y a eu absolument aucune réaction, et également pour réagir à la décision récente du Conseil Constitutionnel de ne pas supprimer totalement la loi discriminatoire envers les Roms de 1969.
Une Roma Pride c’est aussi pour viser l’espace médiatique. Et c’est vrai que l’image des Roms dans les médias n’est jamais très positive…
Les Roms ne sont pas présentés de manière très positive en général, et en même temps ça fait des siècles qu’ils font partie intégrante de la société européenne. Par exemple, on a eu dimanche, grâce à Tony Gatlif, qui s’est très fortement impliqué dans la Roma Pride à Paris, un excellent concert, avec de la danse, du flamenco, de la musique tzigane, et on s’est tous rendu compte que cette culture fait complètement partie de la culture européenne. Mais c’est vrai qu’il y a généralement une stigmatisation de ces populations-là, surtout depuis le discours de Grenoble du Président Sarkozy en 2010, que cette représentation est très fortement ancrée dans la société, et que nous la véhiculons tous plus ou moins. La non-réaction totale, voire le soutien à ceux qui ont commis des actes racistes contre les Roms à Marseille en est malheureusement l’exemple le plus criant.
En même temps on a l’impression qu’il y a dans les medias une volonté plus pédagogique qu’auparavant. On voit des reportages que l’on n’avait pas l’habitude de voir, qui essayent d’expliquer par exemple comment ça se passe pour trouver un travail quand on est Rom…
Oui, de plus en plus. Ca fait partie de l’espace public parce que ce n’est pas le combat d’une seule communauté, mais de tous ceux qui s’engagent en faveur de l’égalité des droits. Nous, on parle à la société, et ensuite les médias nous relaient, pour expliquer par exemple la nature de cette loi de 1969, que trop peu de personnes connaissent en France: elle impose un passeport intérieur pour certains citoyens français, elle impose des quotas de population rom – il ne peut pas y avoir plus de 3% de la population d’une ville qui sont des gens du voyage. Ce sont des choses ahurissantes pour n’importe quelle catégorie de la population, mais peu de gens peuvent s’en indigner car cette loi est trop peu connue. Et on s’engage en effet pour faire en sorte qu’elle le soit de plus en plus.
La loi impose des quotas de population rom
Combien y’ a-t-il de Roms en France ?
Ca dépend de ce qu’on appelle un Rom. Les définitions sont très compliquées. Généralement, dans l’espace public, quand on parle de Roms, on parle de citoyens roumains et bulgares extrêmement pauvres qui immigrent pour des raisons économiques, et qu’on désigne comme Roms alors qu’on ne sait pas exactement ce qu’ils sont. Il y en a alors environ 15.000. En revanche, quand on désigne les voyageurs français, qui sont en grande partie issus des populations tziganes, mais pas seulement, là, il y a environ 300.000 à 400.000 personnes.
Quand on parle des 15.000 Roms venus de Roumanie ou de Bulgarie, c’est quelques milliers de personnes. Comment se fait-il qu’on en parle autant ?
Parce qu’ils ont fait l’objet d’une instrumentalisation politique sous le précédent quinquennat, mais aussi plus récemment sous une autre forme. Evidemment, on n’est pas là dans le cas d’une « invasion » ou d’une menace, d’autant plus que ce sont des citoyens européens, qui ont le droit d’être en France comme n’importe quel autre citoyen européen, de la même manière qu’un citoyen français a le droit d’être partout dans l’Union Européenne. Il y a également des dizaines de millions d’euros venant de l’Union Européenne qui ne sont pas utilisés par l’Etat français ni par d’autres Etats, et qui ne feraient pourtant pas augmenter les impôts ni le budget de l’Etat, mais qui permettraient de mener des projets d’insertion pour lutter contre la grande précarité dans laquelle sont ces individus qui ne sont pas nomades, qui sont sédentaires et qui migrent pour des raisons économiques. L’instrumentalisation politique qui a commencé avec Sarkozy et qui d’une certaine manière continue avec le nouveau ministre de l’Intérieur, mène à ce qu’il y ait un focus particulier sur cette population-là, qui est évidemment extrêmement marginale en France: 15.000 personnes sur 65 millions d’habitants, ce sont des problématiques qu’on est à même de gérer très facilement si on le souhaite.
Sur StreetPress, on a réalisé une série de portraits de jeunes Roms, et beaucoup nous disent: « Moi je suis un Rom, mais je ne suis pas comme les Roumains ou les Bulgares qui sont arrivés en France ces dernières années ». Preuve qu’il n’y pas d’union dans la communauté rom, union sur laquelle les nouveaux arrivants pourraient s’appuyer pour faire valoir leurs droits par exemple.
Ca, c’est l’histoire de l’immigration. Dès que des personnes issues d’une vague d’immigration arrivent à s’insérer dans une société, alors ils ont envie de se dissocier de ceux qui sont vus comme eux mais qui sont, eux, dans une grande précarité, en utilisant eux aussi les stéréotypes répandus dans la société dans laquelle ils sont intégrés. Cela a été le cas dans toutes les immigrations: on peut parler de l’immigration juive, avec l’arrivée des Séfarades dans les années 1950-60 et la réaction des institutions ashkénazes d’alors. Evidemment au bout d’un moment, il y a une intégration et un amalgame qui se font, mais dans un contexte de stigmatisation d’une population, ceux qui veulent s’insérer individuellement peuvent être tentés par le fait de dire « On n’est pas comme eux ».
Et quelles seraient les solutions à tout ça ?
Beaucoup de solutions existent, et certaines ont été mises en oeuvre dans d’autres pays européens. Par exemple, il y a en France des lois spécifiques aux Roumains et aux Bulgares, qui ne peuvent pas travailler comme d’autres citoyens européens. Et bien en Espagne, ces lois ont été supprimées, sans que cela n’ait d’effet sur le chômage ou sur les salaires, mais avec en revanche un effet positif sur l’insertion. Le gouvernement a prévu de les changer mais pas de les supprimer totalement. Or, c’est une mesure qui irait dans la direction de l’intégration. On pourrait aussi revoir la stratégie nationale d’intégration des Roms. Tous les Etats européens ont du le faire l’année dernière, y compris la France, sauf que *dans la stratégie française, il n’y a ni budget, ni timing, ni objectifs$. Donc ce qu’on demande, c’est de revoir cette stratégie avec des acteurs de la société civile, pour qu’elle soit efficace. On pourrait aussi utiliser ces dizaines de millions d’euros disponibles à Bruxelles pour mener des projets d’insertion. Dans d’autres pays, ça marche très bien et ça marcherait évidemment en France si on avait un peu de volonté politique, ce dont nous manquons.
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