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    02/05/2010

    Une exposition d’art contemporain pour 3 lieux

    Critique d'expo : Etienne Chambaud à la Kadist Art Foundation pour « le Stade des Sirènes »

    Par Camille

    A Londres, Rome et Paris, Chambaud propose un projet conceptuel sur le récit et la traduction. La force de l'exposition, c'est son facteur humain : à tout moment, le petit espace est occupé par un groupe d'acteurs, qui font partie de l&r

    Chant de sirène

    Pour pénétrer dans le petit espace blanc de la Kadist Art Foundation, on doit tout d’abord, tels les marins des récits mythologiques, traverser une brume épaisse : les fenêtres qui ont été peintes en blanc, pour créer une sorte de « floutage » qui installe une séparation physique et conceptuelle entre le lieu épuré d’exposition et la rue assourdissante. Aveuglé par ce brouillard, le spectateur traverse les quelques dizaines de mètres carrés quasiment vides de la première pièce pour venir échouer, comme condamné, sur ce que l’artiste a appelé « Le Récif ». Il s’agit d’un amas de socles blancs, grands et petits, debout ou couchés (dont l’un est sale), qui occupent la deuxième partie de l’espace d’exposition. Quant au chant de la sirène qui l’a amené, comme dans les contes, à s’écraser sur ces sortes de rochers, il est ici sans doute symbolisé par le langage, qui sert de matériau pour cette exposition à Etienne Chambaud, jeune artiste français.

    La Kadist Art Foundation : un jeune lieu d’exposition tout blanc, caché dans les petites rues de Montmartre (métro Abbesses), sous le regard étonné des premiers touristes de ce mois d’Avril. Ce lieu fait partie d’une fondation, créée en 2001, à l’initiative d’un collectionneur américain, qui a choisi de monter à Paris cette plate-forme de soutien à la création contemporaine. Le programme des expositions dépend la plupart du temps des artistes et des commissaires en résidence, qui sont invités pour une durée de quatre à six mois.

    Journal de bord

    Cette problématique du langage, on la soupçonne tout de suite en réalisant que le « tac tac tac » du fond de la pièce vient d’une jeune fille (la Copiste ), qui tape à la machine à écrire. Sur les murs, le résultat de son travail : des feuilles A4 épinglées qui rendent compte des moindres événements qui ont lieu sous ses yeux, comme : « un homme entre avec un sourire gêné », ou encore : « un enfant vient de renverser un socle ». Si on est assez hardi pour se pencher au-dessus de son épaule, on se rendra peut-être compte qu’elle est en train de nous « écrire », nous aussi, alors que nous nous frayons maladroitement un chemin dans la pièce. A la manière d’un script, elle a pour mission de retranscrire l’intégralité du temps de l’exposition. Dans sa solitude face à cette tâche infinie, impossible à accomplir, elle évoque une figure mythologique, magnifiée par le support noble sur lequel elle est assise (un socle, qui la hausse au rang d’œuvre d’art). Heureusement, on apprendra dans le texte de presse que cette jeune fille est relayée par deux autres pour s’acquitter de cette mission. Elles démontrent toutes les trois l’impossibilité de notre langage à saisir la réalité dans son détail et sa banalité. Les écrivains du Nouveau Roman (Sarraute, Robbe-Grillet) l’avaient déjà expérimenté dans les années 50.

    Acteurs et modèles nus

    Plus étrange encore, une actrice couchée, à côté de la Copiste, s’entraîne à mi-voix à répéter un texte. On apprend par le dossier de presse qu’elle et les autres acteurs de sa troupe viennent régulièrement ici, seuls ou à plusieurs, apprendre par cœur des textes écrits pour l’exposition. Ils donnent l’impression de répéter pour une représentation qui n’aura pas lieu. Eux aussi sont confrontés à une tâche qui les dépasse, car les textes sont apparemment longs et théoriques, donc durs à assimiler.

    Troisième catégorie d’acteurs impliqués dans cette entreprise, des modèles de nu viennent, de temps en temps, poser sur les socles. Ils ne sont malheureusement pas tout le temps présents, la nudité ayant sans doute besoin de se dissimuler un peu afin de mieux se dévoiler. « La part manquante » est le nom du socle sur lequel ils posent, car il manque bien évidemment l’artiste qui n’est pas là pour les reproduire. C’est l’idée la plus poétique de l’exposition, évoquant un temps révolu de l’histoire de l’art. Celui où les Muses posaient nues dans les ateliers des peintres comme celui de Gustave Courbet . A la fois modèles et statues, ces personnes transforment l’exposition en un atelier où nous aurions le droit d’évoluer, tout comme elles font naître à chaque apparition des sculptures vivantes et éphémères.

    Vertige de la liste (Umberto Eco)

    Cette exposition évoque un artiste en train de construire quelque chose de l’ordre d’une mythologie. Sur deux photographies appelées Figures de réserve, Etienne Chambaud attribue arbitrairement un nom à chaque caisse de la réserve de la fondation (dans ces caisses sont conservées les œuvres que possède la Kadist mais qui ne sont pas exposées). Comme un enfant, l’artiste anime ces figures en leur attribuant un rôle, un personnage, comme il l’a déjà fait avec les socles du Récif. Les noms pompeux de l’histoire de l’art (le Mythe, l’Antiquité, la Ruine) côtoient des personnages aux rôles archétypaux (le Sphinx, le Témoin, le Menteur, l’Idiot…). Entre eux, les possibilités narratives deviennent infinies, et il ne tient qu’à nous d’échafauder les mille histoires de trahison, de séduction et de vengeance qui peuvent bien animer les caves de la fondation quand nous ne sommes pas là. Une façon pour Etienne Chambaud de donner un corps à des notions abstraites qui habitent son travail d’artiste, d’en faire une « énumération chaotique » : ces listes qui, selon Umberto Eco, regroupent des éléments sans relation spécifique, pour le plaisir de faire une liste. Peut-être l’artiste cherche-t-il par là à s’assurer, un peu névrotiquement, de garder ces notions à portée de main, de peur qu’elles ne lui échappent ?

    «Peut-être l’artiste cherche-t-il par là à s’assurer, un peu névrotiquement, de garder ces notions à portée de main, de peur qu’elles ne lui échappent ?»

    Londres-Paris-Rome

    Cette exposition parisienne n’est qu’une partie d’un triptyque, dont les deux autres volets prennent place au même moment à Rome (Nomas Foundation) et à Londres (David Roberts Art Foundation). La même exposition est montrée dans trois pays différents ; le langage, l’écriture qui sont convoqués se déclinent donc en trois langues. Chacun entendra l’exposition à sa manière : selon sa langue, mais aussi selon le moment où il sera venu voir l’exposition. Il comprendra ce qu’il peut du processus de retranscription et de description qui prend place chaque jour. L’artiste compare cette source probable (et voulue) de malentendus et de contresens au chant des sirènes, qui se transforme selon la personne qui l’écoute : chacun emporte avec lui sa propre version de l’exposition. Le « stade des sirènes », c’est donc sans doute ce premier stade imparfait, où règne le malentendu ? Et que l’artiste semble nous promettre de dépasser un jour, à l’occasion d’un autre projet… Mais nous ne nous nourrissons pas de promesses.

    Renseignements :

    Le Stade des Sirènes, une exposition d’Etienne Chambaud en collaboration avec Vincent Normand, 03.04.10 – 02.05.10
    Kadist Art Foundation, 19bis – 21 rue des Trois Frères, 75018 Paris

    Sources: Camille / StreetPress
    Crédit photos : Aurélien Mole

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