Sevran (93) – Pour trouver le centre Marcel Paul, entre les commerces vides et les immeubles décrépis de la gare de RER de Sevran – Beaudottes, il faut suivre les sons de trompette qu’on entend résonner plusieurs mètres à la ronde. Des jeunes de la communauté rom de Sevran – principalement originaires de Macédoine, de Serbie et de Croatie – s’y réunissent tous les dimanches pour taper un boeuf.
« Il faut que les Français découvrent notre culture, notre musique ! », s’exclame Brahim Music, la soixantaine sémillante, président l’association Ternikano Berno. Depuis plusieurs semaines maintenant, sa petite fille Elsa l’accompagne les dimanche avec l’intention de s’engager à son tour auprès de sa communauté. Mais la jeune fille qui « préfère la variété française – Mouloudji – à la musique tsigane » et qui a plus d’amis d’origine maghrébine que rom, a encore des choses à apprendre. Première étape : devenir une boss de la langue Romani.
Tu es née en France et tu as grandi ici. Qu’est-ce qui te rattache encore à la culture Rom dans ton quotidien ?
C’est surtout quand on va dans des fêtes roms. Les circoncisions et les mariages principalement : là je m’habille de façon traditionnelle. On a fait une fête à la salle des fêtes de Sevran en janvier : j’ai dansé sur scène dans une tenue traditionnelle ! C’était la première fois que je faisais ça.
Sinon il y a la nourriture. Quand ma mère a le temps, ou quand je vais chez ma grand-mère comme aujourd’hui. J’ai mangé de la pita. C’est comme une tarte aux épinards. On mange beaucoup de choux chez nous. Ou sinon des slamare : Des poivrons fourrés à la viande et au riz qu’on fait mijoter. On recoit souvent du monde, alors on mange souvent tout ça !
Et puis il y a la langue que je parle dans mon quotidien. Mon père parle albanais et croate. Et ma mère tsigane et serbe. Mais lui, il est contre le fait que l’on parle romani à la maison et ma mère contre le fait que l’on parle albanais ! Alors on parle serbo-croate à la maison. Mais en fait c’est plus un mélange des 4 langues.
Parce qu’au delà des grands concepts (le chômage des jeunes ou la question des Roms), il y a des réalités complexes à découvrir et surtout… des vrais gens, qui vivent ces situations de manières diverses, avec chacun leurs personnalités.
Chaque jeudi sur StreetPress, on vous présente un(e) jeune Rom. Si vous regardez trop TF1, vous risquez d’être surpris.
Mon père est contre le fait que l’on parle romani à la maison et ma mère contre le fait que l’on parle albanais !
Si je te croise dans la rue, je ne peux pas imaginer que tu es Rom. C’est quoi la réaction des gens quand ils apprenent tes origines ?
Et encore, avant j’étais blonde ! C’est vrai qu’on pense souvent que je suis Italienne ou Israëlienne. Les gens peuvent avoir des préjugés : On m’a déjà demandée si j’habitais dans une caravanne. Malheureusement je n’ai jamais été nomade ! J’aurais bien voulu, pour pouvoir un peu plus voyager ! Alors je leur explique ce que sont les Roms, que moi je vis dans un appartement avec mes deux parents et mes frères et soeurs. Les gens si on ne leur explique pas, ils ne peuvent pas comprendre. C’est normal vu l’image des Roms dans les médias. Les mendiants qu’on voit dans la rue, ils disent « ce sont des Gitans ». Moi je leur dis, « non ce sont des Roumains ».
Tu as beaucoup d’amis Roms ?
J’en connais pas mal. Après je ne traîne pas forcément avec eux. Malheureusement, on n’a pas tous la même éducation, nos parents ne sont pas les mêmes. Comme je t’ai dit, chez moi on est plutôt moderne, mon grand-père me demande si j’ai un petit copain et tout… Chez eux, ce n’est pas imaginable ça. La mentalité n’est pas la même, surtout chez ceux qui sont en France depuis pas longtemps. En fait on se voit surtout aux fêtes et par l’intermédiaire de mon grand-père… et il y en a qui me font des demandes d’amitié sur Facebook ! Mais c’est surtout en Croatie que j’ai des contacts avec des gens de chez nous, des Roms.
Sinon ma meilleure amie c’est Yasmine, une Algérienne.
Ton copain, tu voudrais qu’il soit de ta communauté ?
J’étais longtemps avec un Français. Ma famille, elle, ne voit aucun inconvénient à ce que je sois avec un Français. Au contraire même, ma mère me dit que c’est mieux, que ça évite les problèmes. Mais, moi j’aimerais que ce soit quelqu’un de chez nous. Surtout par rapport à la langue, pour que les enfants gardent nos origines. J’ai la chance de pouvoir parler plusieurs langues, et je veux que mes enfants parlent encore plus de langues que moi. Et puis même, quand on est en famille, ça serait bien qu’il puisse participer aux conversations quand on parle. Je n’ai pas envie qu’il se sente mal-à-l’aise quand on parle, parce qu’il ne comprendrait pas. Ce sont toutes ces petites choses.
Elsa, Ze Story
> 1991 : Naissance à Villepinte (Seine-Saint-Denis)> 1994 – 1995 : Vit en Croatie
> 2010 : Décide de devenir musulmane pratiquante
> Juin 2012 : Obtient son baccalauréat
> Octobre 2012 : Fait sa rentrée à l’Inalco
Malheureusement je n’ai jamais été nomade !
Pourquoi tu t’es convertie à l’Islam ?
J’ai toujours étudié les réligions : j’ai voulu savoir ce qu’étaient les témoins de Jéhova, le boudhisme etc. Quand on est curieux, ça abouti à quelque chose et j’ai choisi l’Islam. Avant je buvais tout le temps, et il y a deux ans j’ai décidé d’arrêter pour me préparer à devenir pratiquante. Je me souviens d’un jour où mon grand-père et mon oncle étaient avec leur bouteille de Jack et de la vodka. Je n’ai pas voulu y toucher et ils m’ont dit « Mais t’es malade ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ! » J’avais juste décidé de ne plus boire. Et ça fait 4 mois que je suis pratiquante. Je fais la prière 5 fois par jour.
Mais les gens de famille ne sont pas très d’accord avec tout ça… Ils sont muslmans mais pas pratiquants. Ils ont peur que je ne profite pas de la vie. Mais je leur explique qu’on peut profiter de la vie et avoir certaines règles ! Je pars du principe qu’ici, tout n’est qu’un test.
C’est quoi ton objectif pour les années à venir ?
Je pense que vous savez que chez nous, on a l’habitude de marier les filles très jeunes. Dès toutes petites, on les éduque aux tâches ménagères. Moi j’ai eu la chance d’avoir une famille qui faisait des études la priorité. Donc pour le moment, l’objectif c’est de m’épanouir, toute seule, de n’avoir à compter que sur moi-même niveau financier, trouver un appartement. Et ensuite nous verrons bien…
Professionnellement je voudrais être interprète. Moi je veux étudier à l’étranger – au Japon, mais la famille n’est pas forcément d’accord et ce n’est pas compactible avec mon projet professionnel…. Je voudrais être renommée dans les langues de chez nous, ce serait bien de connaître toutes les différences entre les langues romani. Et là je vais commencer à travailler à l’aéroport comme vendeuse dans la zone Duty Free, pour financer mes études.
En se quittant, on demande à Elsa ce que lui ont apportée les cultures rom et française : « Le matérialisme pour le côté Français. Et pour le côté tsigane, la vie simple, la modestie et le goût de la nature. » A partir d’octobre, Elsa va suivre des cours de romani à l’Inalco pour approndir sa connassance de la langue Rom.
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