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    24/09/2012

    « Il n'y aura pas de rats dans le tunnel, hein ? »

    Train qui déraille, revendication terroriste : On a testé une simulation d'accident de TGV

    Par Elodie Font

    Déraillement imaginaire, faux blessés, vrais pompiers : vendredi, la cellule de crise de la préfecture des Hauts-de-Seine organisait un exercice grandeur nature pour tester la réactivité des services en cas de crise majeure.

    Minuit 15, dans la nuit de vendredi. Direction Vaugirard et sa gare SNCF, à 10 minutes à pied de Montparnasse. Sur le quai d’ordinaire désert à cette heure-là, plus de 200 figurants attendent plus ou moins patiemment d’entrer dans un wagon de TGV. Mais qui sont ces gens qui sacrifient leur nuit pour aider la préfecture à tester sa cellule de crise ? « Principalement des bénévoles de la Croix-Rouge et du Samu », explique le service presse. Et des employés de la préfecture, payés « 20 euros bruts de l’heure ». Les employés de la SCNF et les secours, eux, ne sont pas là pour rigoler.

    00h20, le contrôleur annonce que nous roulons en direction de Bayonne, sans oublier le célèbre « si vous n’avez pas composté votre billet bla bla bla», nous voilà en train de rêver de soleil et de vagues.

    00h30 LE coup de frein, très léger, censé mimer le déraillement de notre TGV (faut dire, à leur décharge, que faire dérailler un train pour de faux, c’est quand même assez balèze). Autour de nous, les figurants sourient : « Oh non, on s’y attendait pas ! » Nous sommes donc arrêtés en pleine voie, au beau milieu d’un tunnel où il fait nuit noire. Comme dans la vraie vie, la SNCF annonce que l’on va être arrêté « quelques instants ». En coulisses, l’info remonte d’abord à la cellule de crise de la SNCF, active 60 à 70 fois par an.

    1h Les lumières du train clignotent, avant de s’éteindre à plusieurs reprises « pour que la batterie ne s’épuise pas ». Une figurante rit : « Je me suis entraînée à marcher dans le noir exprès. » La SNCF reste assez mystérieuse, à peine comprend-t-on que l’on ne va pas ressortir de sitôt. Mais, ô qu’elle est généreuse, elle nous distribue de petites bouteilles d’eau (fraîches). Au loin, une femme crie. Y’en a qui ont raté une carrière d’acteurs.

    Je me suis entraînée à marcher dans le noir exprès

    1h15 Ok, nous sommes donc en plein milieu d’un tunnel, en pleine nuit, et l’air semble soudain assez oppressant. En allant interviewer un homme haletant qui s’est grimé en blanc, je suis à deux doigts de me sentir mal. Manquerait plus que je fasse un vrai malaise autour de tous ces gens qui font semblant de s’étouffer. Parce qu’il paraît, dixit la comm’ de la préfecture, que ça arrive souvent, sur ce genre d’exercices, que des gens fassent de vrais malaises.

    1h25 Les secours ne sont toujours pas arrivés – certains figurants gueulent qu’ils auraient eu le temps de « mourir 10 fois ». Une femme, au Samu dans la vie réelle, se plaint que son ami, en déficience respiratoire, n’ait pas été davantage surveillé par les agents de la SNCF – qui courent partout et doivent répondre à 25 questions par seconde.

    1h30 Les pompiers entrent dans les wagons, prodiguent les premiers soins. Une femme enceinte de 8 mois ne peut se retenir d’éclater de rire en faisant semblant de perdre les eaux. Une autre, avachie par terre et vomissant pour de faux depuis une heure, se cache la tête dans un sac. « Vous avez mangé avant de partir ? » « Oui… » « Pas chinois j’espère ». Le pompier à peine parti, elle glousse : « Il était beau ou pas ? »

    1h50 Un agent SNCF nous assure que nous allons évacuer bientôt (« on peut encore attendre entre 0 et 59 minutes, sachant que j’espère que ce sera plus proche de 0 »). Une figurante voisine sourit : « y’aura pas de rats dans le tunnel, hein ? » Autour d’elle, les apprentis acteurs se marrent. Une ambiance bon-enfant-centre-aéré plus qu’un état de panique. A côté, un homme prend visiblement beaucoup de plaisir à crier : « J’ai pas pris mes médicaments… et euh Madame Durex, elle attaque les fesses. »

    Vous avez mangé avant de partir ?

    2h05 Notre wagon est évacué – les pompiers ouvrent le TGV porte par porte pour que le cortège de zombies soit discipliné. Certains allument direct une clope, d’autres traversent les 500 mètres de tunnel, l’œil stone et fatigué. Dans le wagon désormais presque vide, un homme a sombré dans le coma, terrassé par une crise d’épilepsie. De tout le train, c’est le blessé le plus grave.

    2h35 Nous voilà tous regroupés sous une grande tente, à se geler dans le froid du mois de septembre parisien. Après avoir donné nom/prénom/date de naissance/traumatismes, on attend. Et on attend. Longuement. Un premier bus part pour Sceaux, sans que personne ne comprenne franchement qui part où.

    2h40 En parallèle, mon rôle perso étant de jouer la journaliste, j’appelle à plusieurs reprises la préfecture pour avoir une idée des causes de l’accident. J’essaie aussi de les alpaguer par tweet – sans succès (note pour plus tard : éviter de croire qu’on va livetweeter l’évènement quand on est coincé dans un tunnel sans réseau). La pref qui s’amuse bien : pour pimenter le tout, la cellule de crise invente un « mouvement des patates douces » qui revendiquerait l’attentat pour protester contre le prolongement de la ligne ferroviaire vers Madrid. Ça tombe bien, une figurante raconte à qui veut l’entendre qu’elle a entendu parler un homme dans une langue étrangère quand le train a démarré et que depuis elle ne l’a plus vu. Sherlock, où es-tu ?

    Qui c’est qui fait la personne handicapée ?

    3h10 Le préfet des Hauts-de-Seine, Pierre-André Peyvel, arrive sur place. Il répond gentiment à nos questions, n’a aucune info sur le mouvement des patates douces (allez demander ça à un préfet, vous) mais une enquête judiciaire est en cours. Quand on lui demande pourquoi les pompiers ont mis tant de temps à arriver, le préfet répond que nous n’avons pas le même rapport au temps quand nous sommes en situation de crise. Même quand on invente la situation de crise ?

    3h40 Le bus, enfin, avec le groupe qui part vers le gymnase d’Antony (le troisième et dernier bus va vers Châtenay-Malabry). À Antony, les figurants sont censés avoir souffert psychologiquement. Un bénévole de la Croix-Rouge essaie de nous bloquer le chemin, grimaçant  « Je suis pas habilité à prendre la presse. » Ouais mais il est 3h30 du mat’ et on a froid, s’il vous plaît.

    4h Le trajet semble long, les figurants chantent à plein poumons : « chauffeur, si t’es champion, appuie sur le champignon ». Une voix cynique s’élève : « et si le bus a un accident ?! » Sur place, un bénévole de la Croix-Rouge compte tout le monde : « qui c’est qui fait la personne handicapée ? » Une figurante folle s’évade, sous l’œil fatigué de ses condisciples. A l’intérieur du gymnase, demandez le menu : chocolat, café, jus d’orange et/ou quatre-quarts ?

    4h30 Une fatigue générale s’installe. Les acteurs chuchotent dans leur coin, certains s’avachissent sur de gros matelas. Une fois l’exercice terminé, ils seront tous ramenés à Montparnasse. Le temps de ramener tout le monde, ils ne seront pas chez eux avant 6h du mat’. C’est ce qu’on appelle avoir de la mo-ti-va-tion.

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