Dans votre rapport, vous pointez du doigt le non-respect du repos de sécurité. Qu’est-ce que c’est ?
C’est une loi qui date de 2002 : après une nuit de garde, un interne a l’obligation d’arrêter tout travail, que ce soit dans l’enceinte de l’hôpital ou à l’université. Sauf que, selon notre étude (voir ci-contre), dans 20 % des cas, les internes doivent travailler sur ce temps de repos. Ce qui aggrave les risques pour la santé des patients : c’est sûr qu’on est moins alerte quand on travaille depuis 24 heures… 15 % des internes qui travaillent en-dehors de leurs heures de boulot avouent avoir déjà fait des fautes médicales.
Et il y a aussi un risque pour votre propre sécurité…
Oui. Un tiers des internes interrogés qui ne bénéficient pas de ce repos ont déjà eu un accident ! Que ce soit un accident de voiture, un accident domestique (une forte brûlure par exemple) ou même des soucis de dépression, de santé mentale… C’est énorme ! Surtout que quand vous avez un accident en-dehors de vos heures « normales » de boulot, vous n’êtes plus couvert par la responsabilité civile professionnelle de l’hôpital… Pareil : si vous faites une erreur médicale sur ce temps de repos, vous n’êtes pas assuré.
Comment expliquer ce constat ? Est-ce un manque de moyens financiers ?
Les budgets sont serrés, c’est sûr, et nous sommes un personnel qualifié pour pas cher, avec un certain bagage de connaissances et corvéable à merci. Pour un hôpital, c’est l’idéal. Mais je pense que c’est aussi un problème de mentalités : vous avez des chefs qui vous disent « moi quand j’étais interne, j’avais pas de repos de sécurité, et je m’en sortais ».
Le rapport est à lire ici
Après une nuit de garde, un interne a l’obligation d’arrêter tout travail
C’est une forme de bizutage ?
Je dirais plus que c’est de l’exploitation. Surtout que c’est très difficile, quand vous êtes interne, d’aller à l’encontre de l’avis de votre patron.
Pourquoi ?
Parce que si votre chef le prend mal, vous êtes grillé, vous ne pourrez pas faire la carrière que vous envisagez. Même avec vos co-internes, ça peut être difficile à gérer. Et puis, les patrons se connaissent entre eux, si vous vous grillez dans un hôpital, vous vous grillez dans plein d’autres. Il y a une telle pression que la grande majorité des internes préfère se taire. Après, au niveau local, on essaie quand même d’aller frapper à la porte des affaires médicales, les ressources humaines des hôpitaux, mais généralement, ça ne fonctionne pas.
Vous pensez que ce rapport peut changer les choses ?
Ce qu’on espère, c’est que la loi soit respectée, que les hôpitaux qui ne la respectent pas soient sanctionnés. On est en contact assez étroit avec les conseillers du ministère de la santé, on va demander à être reçu par la ministre Marisol Touraine. Si elle veut diligenter une enquête sur ce sujet, nous sommes prêts à la superviser. Après, je ne pense pas qu’il faille que ce soit une enquête menée par les patrons sinon personne ne parlera. Dans les hôpitaux, les conditions de travail des internes, c’est tabou.
Emanuel Loeb | C est qui ?
Emanuel Loeb, 28 ans, interne en psychiatrie. En est à sa 3e année d’internat – soit un bac + 9 ! Vice-président de l’Isnih, l’intersyndical national des internes des hopîtaux, président du syndicat à Caen. Et être syndicaliste dans un hôpital, ça n’a « pas que des avantages. »Toutes les spécialités ont les mêmes conditions de travail ?
Ceux qui ont le moins de repos, ce sont les internes en chirurgie, parce qu’il y a beaucoup de gardes, et les internes en gynécologie obstétrique. Mais globalement, on a tous la tête sous l’eau.
Question plus légère : est-ce que ça vous arrive de dormir à l’hôpital ?
Eh bien, ce n’est pas une problématique si légère que ça : normalement, une circulaire oblige les hôpitaux à mettre à disposition des internes des chambres de garde or certaines sont insalubres. Pareil, quand on est de garde, on devrait avoir un repas. Sauf que bon… je vous invite à venir y goûter si vous voulez, mais c’est pas de la haute-gastronomie. Eh oui, les médecins mangent la même nourriture que les patients…
Est-ce que vous demandez aussi une augmentation de vos salaires ?
Franchement, vu la situation économique de la France, on sait que ce serait difficile à obtenir, surtout que les médecins ont une image de petit-bourgeois – même si, ce que les gens ne savent pas, c’est qu’un interne débutant gagne 1350 € nets par mois, peu importe la ville dans laquelle il exerce. Si on ajoute les différentes primes, comme les primes de garde, on est autour de 1750 €. Sur les 10 dernières années, l’inflation a plus augmenté que notre salaire.
Mais pour autant vous ne demandez pas une augmentation de salaire…
Non, on demande d’abord que la loi soit appliquée. Et notre prochain gros chantier, c’est la formation. Souvent, quand on est en consultation, le senior qui est censé être joignable pour répondre à nos éventuelles questions ne répond pas. Alors que nous sommes toujours étudiants ! Et l’autre gros souci autour de nos formations, c’est que nous devons les payer avec notre argent. Par exemple, en radiologie, pour bien détecter le cancer du sein, il faut suivre une formation qui coûte… 2000 €.
bqhidden. Si votre chef le prend mal, vous êtes grillé, vous ne pourrez pas faire la carrière que vous envisagez
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