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    27/08/2012

    Les Verts au gouvernement, est-ce « l'imagination au pouvoir » ?

    4 jeunes responsables écolos réfléchissent sur l'exercice du pouvoir

    Par Johan Weisz

    Pendant les journées d'été d'Europe Ecologie-Les Verts, 4 jeunes élus locaux ou dirigeants du mouvement, ont confié à StreetPress leurs analyses sur le rapport au pouvoir et les enjeux pour les écologistes de la participation au gouvernement.

    Poitiers – C’est le challenge des écolos : être un parti de gouvernement sans devenir un parti de technocrates, ni renoncer à mettre « l’imagination au pouvoir », comme le revendiquaient Dany Cohn-Bendit et ses potes à leurs débuts en politique.

    Ce questionnement sur le nouvel exercice du pouvoir pour Europe Ecologie-Les Verts (EELV) était un des fils rouges des universités d’été du parti qui se tenaient en fin de semaine dernière à Poitiers. Les 2 ministres écolos se sont justifiés sur ce choix de participer au gouvernement. Pour Cécile Duflot, être à la table du conseil des ministres, c’est « accepter que la place des écologistes, c’est de peser dans le réel, parce qu’ils ne sont pas dans le renoncement. » La nouvelle ministre du logement a défendu ce nouveau rôle des écologistes, que certains voudraient voir « manger du tofu » ou être « la bonne conscience progressiste » mais pas « en capacité » de gouverner et d’agir..

    Sur StreetPress, la nouvelle génération des responsables écolos, jeunes élus locaux ou dirigeants du parti, réfléchissent sur la conquête du pouvoir, les compromissions parfois nécessaires, et confient leur rejet de la « politique à papa ».

    Julie Nouvion

    conseillère régionale d’Île-de-France

    Julie Nouvion est maman d’un enfant, habite en banlieue parisienne et travaille comme consultante en communication freelance pour des ONG et des politiques. Depuis 2010, elle est conseillère régionale d’Île-de-France et cette année, à 29 ans, elle a pris la présidence de BruitParif, l’observatoire du bruit de la région.

    La politique, elle est tombée dedans à 18 ans, pendant la campagne des municipales de 2001 :

    « A la fac je récupère des tracts des jeunes verts et du MJS. Je prends un pot le samedi avec un mec du MJS mais ça ne me branchait pas complètement. Et puis le mardi d’avant le premier tour, ça devait être le 10 ou le 11 mars, je vais au meeting de fin de campagne de la liste des Verts Paris et là je suis vraiment séduite par le discours ; trois jours après je vais à la réunion hebdo des Jeunes Verts et là… je plonge direct. »

    Est-ce que c’est important quand on fait de la politique de prendre le pouvoir ?

    « On est là pour ça ! Un parti politique n’est pas juste là pour faire des manifs. Je suis super fière qu’on ait un groupe au Sénat et 15 élus à l’Assemblée. Et c’est logique qu’on ait des ministres au gouvernement. »

    Quels sont les moyens qu’on s’autorise pour prendre le pouvoir ?

    « T’es pas obligé de vendre ton âme, c’est pas utile… Je n’ai pas l’impression non plus que nos députés, sénateurs ou ministres aient eu à commettre de grosses compromissions. Comme on est un parti jeune, on a besoin de faire des alliances, par exemple quand on a en face de nous un candidat notable, qui a quinze autres mandats, des réseaux et a filé des thunes à plein d’associations… Nous on n’a pas ça. Donc, on candidate à la régulière. »

    Est-ce qu’avec les ministres écolos, l’imagination est au pouvoir au gouvernement ?

    « Attention, parce que le pouvoir et les responsabilités, c’est pas très rigolo. Alors, l’imagination dans la tête mais les deux pieds bien ancrés dans le sol, parce que tu peux vite te retrouver ébranlé. »

    Comment tu te vois dans 10 ans ? .

    « Je ne sais pas si je serai candidate pour un deuxième mandat. La vie de parlementaire ne me fait pas tellement fantasmer. Arrêter de bosser et avoir un trou dans ton CV à 30 ans, ça le fait pas trop ».

    « Un parti politique n’est pas juste là pour faire des manifs »

    Dominique Trichet-Allaire

    Conseillère municipale à Nantes

    Dominique Trichet-Allaire est arrivée en politique par la gauche radicale, qui « portait de nouvelles idées » avec des « actions parfois borderline ou à la limite de la légalité ». Lorsqu’elle débarque chez les Verts en 2003, elle trouve qu’il y a un peu trop de technos, là-bas :

    « Je me souviens de la première réunion des Verts où je suis allée. Je n’ai rien compris pendant 2 heures. Avec mon Bac +5 en droit, je ne pigeais rien ! »

    Mais la greffe prend. 2 ans plus tard, elle prend la direction des Jeunes Verts. Et en 2008, elle devient la collègue de Jean-Marc Ayrault en même temps qu’elle est élue conseillère municipale à Nantes, en charge de la délégation aux droits des femmes. Ayrault ? Quelqu’un « d’extrêmement compétent, qui s’est beaucoup battu » mais qui reste « un baron » et qui à Nantes aurait pu « laisser plus de place à une parole un peu plus diverse et à la parole écolo ».

    En 2008, tu te retrouves du côté du pouvoir, puisque tu es élue à Nantes. Est-ce que tu te souviens de la première fois où tu as exercé ce pouvoir?

    « Oui ! Ca n’était pas forcément une décision très importante, mais j’avais transformé des subventions que la mairie donnait chaque année à des associations féministes en conventions pluriannuelles, ce qui leur permettait de monter des projets sur le plus long terme. »

    EELV est devenu un parti de gouvernement. Est-ce que c’est important quand on fait de la politique, de prendre le pouvoir ?

    « Oui, mais c’est compliqué le pouvoir. Il y a beaucoup de rêves qu’on doit mettre de côté, parce qu’il n’est pas possible de les appliquer. J’ai quand même vécu des vrais deuils. Et c’est dur. De l’autre côté, je crois que c’est important qu’il y ait en face des élus au pouvoir, des militants, des associations, pour les orienter, les interpeller. »

    « Sans le pouvoir, les idéaux ne peuvent être réalisés. Avec le pouvoir, ils survivent rarement ». C’est Castro qui disait ça…

    « Faut que je garde mes idéaux, le jour où j’en ai plus, j’arrête ! Parce que c’est à ces idéaux qu’on se rapporte, quand on se bat au jour le jour dans l’exercice du pouvoir. Quand je mets en place telle action dans tel quartier, et que je me demande si ça correspond à mes valeurs, c’est à ces grands principes que je me raccroche. »

    Comment tu te vois dans 10 ans ? .

    « Je serai encore là ! Si j’arrive à mettre en place des choses, même un dixième de ce que je souhaite faire, je continuerai. Pour que dans 20 ans, ça soit un cinquième… Et quand je serai trop vieille, j’écrirai des bouquins!»

    « C’est compliqué le pouvoir. Il y a beaucoup de rêves qu’on doit mettre de côté »

    Wandrille Jumeaux

    secrétaire fédéral des Jeunes Ecologistes

    Né à Hong Kong, Wandrille a grandi à Saint-Maur en banlieue parisienne. Il étudie à Sciences Po Strasbourg où à 20 ans il est élu président… du BDE : « Des gens sont venus me chercher, j’ai composé une équipe et il n’y avait pas de liste concurrente ».

    Wandrille adhère aux Verts deux ans plus tard : « Je revenais d’échanges universitaires au Canada et surtout en Inde, où les inégalités sont hardcore et où si rien ne change, la société va dans le mur ». Son rêve quand il rejoint les écolos ? « Changer le monde… Non, ça fait trop jeunes pops. Je dirais plutôt changer nos sociétés, parce que chaque modèle de société est différent mais doit avancer vers plus de durabilité et de justice sociale », explique le chargé de mission de 24 ans.

    Depuis l’été dernier et pour encore quelques jours, Wandrille est secrétaire fédéral des Jeunes Ecologistes. Il est responsable d’un mouvement d’ « environ 500 membres » :

    « Il fallait un mec de région, capable d’être rapidement opérationnel… et il n’y avait pas d’autre candidat. C’est comme pour le BDE, je me suis retrouvé aux commandes suite à un concours de circonstances. Va falloir qu’un jour j’apprenne à gagner des élections où je me bats. »

    Est-ce que c’est important quand on fait de la politique de prendre le pouvoir ?

    « Oui, je ne fais pas de la politique pour avoir raison ! Et pour changer les choses, il faut prendre le pouvoir. Donc il faut convaincre les gens et pour cela ne pas se contenter d’asséner nos vérités. »

    Jusqu’à quelle limite peut-on aller pour prendre le pouvoir ?

    « A partir de quand on est utile ? Quelle quantité de couleuvres faut avaler avant de partir [du gouvernement] ? C’est difficile de mettre le curseur ! Il n’y a pas de réponse….En tout cas, j’ai une chance magnifique, je n’ai pas été en situation de faire des coups tordus pour arriver aux responsabilités ».

    Comment tu te vois dans 10 ans ?

    « C’est dans 10 ans que je commencerai peut-être une carrière politique… Je ne me vois pas jeune élu. Parce que j’ai envie d’avoir une vie avant la politique ! »

    « Je n’ai pas été en situation de faire des coups tordus pour arriver aux responsabilités »

    Jacqueline Markovic

    membre du bureau du Conseil Fédéral

    Jacqueline Markovic est une apparatchik un peu geek. La preuve, son Macbook Air est recouvert de 3 couches de stickers des Verts ou anti-nucléaires. Côté apparatchik, cette montpelliéraine de 38 ans est aux commandes du parlement du parti : elle est membre du bureau du Conseil fédéral d’EELV.

    Côté geek, elle veut envoyer bouler « la politique à papa » et a tenu, pendant les journées d’été d’EELV, un Tumblr mémorable en soutien aux Pussy Riots sur lequel elle et ses camarades « ecologeeks » ont photographié Cécile Duflot, Jean-Vincent Placé et tous les ténors du parti, qui enfilaient la cagoule des punkettes russes.

    Est-ce que tu as un poste de pouvoir ?

    « Oui, j’ai un poste de pouvoir. Quand on vient me voir pour me dire ‘j’ai tel projet’, je suis quelqu’un qui a suffisamment d’influence dans le parti pour le faire passer. Si je sens une aspiration, j’aime bien m’en faire le porte-voix.»

    Tu peux donner un exemple de l’exercice de ce pouvoir ?

    « Le jour où le conseil fédéral [du parti] a validé l’accord avec le PS, avec des candidats d’union pour les législatives, j’estime que j’ai eu ma part dans ce processus. On s’est dit qu’il y avait un prix très fort à payer mais que si on voulait faire les choses qu’on porte, il fallait qu’on soit représentés à l’Assemblée nationale. »

    Tu me disais en rigolant que tu avais un rôle d’ « apparatchik »…

    « Oui, c’est un travail de soutier ! Tu te retrouves parfois à assumer des positions avec lesquelles tu n’étais pas forcément d’accord. Mais à partir du moment où la ligne est définie, faut la tenir. Donc tu te retrouves entre le marteau et l’enclume : les militants qui râlent, et la direction qui a fait ces choix. Tout le monde crache sur les apparatchiks et les appareils… Mais si on a des élus, c’est que l’appareil [du parti] fonctionne plutôt bien ! »

    Est-ce qu’avec les ministres écolos, l’imagination est au pouvoir au gouvernement ?

    « Il y a 2 congrès, on avait une motion qui s’appelait « Ouverture, Audace, Imagination ». Je pense qu’aujourd’hui, on assume plus le côté pragmatique. Le vrai changement par rapport à cette période où on revendiquait l’imagination – mais il y avait peut-être à l’époque un double-discours – c’est qu’on avait moins d’élus et qu’on était moins pris dans des enjeux de pouvoirs locaux ou nationaux. Certains disent que là où on est bons c’est dans la gestion locale des problèmes des gens. Donc voilà, on est un parti pragmatique, ce qui n’exclut pas d’avoir beaucoup d’imagination pour résoudre ces problèmes. »

    bqhidden. « J’ai pas envie de faire la politique à papa »

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