En ce moment

    13/08/2012

    Les Tanguys des vacances

    Ils ont entre 20 et 30 ans et partent en vacances avec leurs parents

    Par Elodie Font

    Ce sont de jeunes adultes qui partent en vacances avec leurs parents, comme Dorothée, 30 ans: « C'est reposant et pas cher ». StreetPress décortique ce qui pourrait bien ressembler à une nouvelle tendance.

    À 14 ans, quand les boutons d’acné se battent en duel avec l’appareil dentaire, partir en vacances avec ses parents, c’est un peu la honte. Non que la destination ne fasse pas rêver, ni même que ce ne soit pas agréable de se laisser choyer au bord de la mer, mais voilà, les vacances avec papa/maman, c’est forcément naze. Et ensuite, à 20, 25, 30 ans ? Faites le test, il y a forcément des amis à vous qui vont lézarder sur la plage avec leurs parents. Plusieurs, même. « Moi, je pense que passé 20 ans, ce n’est plus la honte », remarque Gwladys. Et pour cause, à 20 ans, elle s’apprête à se glisser dans les valises de sa mère et de son beau-père, direction la Sardaigne :

    « C’est drôle parce qu’entre mes 15 et mes 19 ans, je ne suis pas partie avec eux. Mais maintenant j’adore : on bouge dans des endroits très sympas, ma famille est cool et c’est agréable de ne plus avoir aucune responsabilité. »

    Anna non plus ne partait pas avec ses parents quand elle avait 16/17 ans. Mais depuis leur divorce, elle migre chaque année en duo avec sa mère. « Au début, c’était un peu pour lui faire plaisir. Mais maintenant, j’y prends aussi beaucoup de plaisir. »

    La crise responsable ?

    Y’a-t-il plus de jeunes majeurs qui partent aujourd’hui avec leurs parents et si oui, pourquoi ? Régis Bigot, responsable du département conditions de vie et aspirations des Français au Credoc, sourit :

    « C’est une bonne idée d’enquête, je vais la lancer ! Mais ce ne serait pas du tout étonnant qu’il y ait plus de jeunes qui partent en famille puisqu’on voit bien, au cours de nos enquêtes, que sur les 5 dernières années, les Français passent beaucoup plus leurs vacances en famille ou entre amis, ça permet de diminuer les coûts. »

    Diminuer les coûts, l’idée est lâchée. Gwladys, jeune étudiante qui travaille pendant l’année pour se payer son loyer, avoue : « je n’ai pas économisé assez pendant l’année pour me payer le genre de vacances que peuvent me proposer mes parents. » Des vacances à zéro euro, puisque sa mère et son beau-père financent absolument tout :

    « Ce sont les deux seules semaines de vacances de mon beau-père, il a envie de nous faire plaisir. À la limite, je lui paie un paquet de clopes, mais il le prendrait mal si j’offrais un resto, par exemple. »

    0 euro… dans la famille de Dorothée, 30 ans, ça a longtemps été le cas, mais pas cette année : « mon père vient juste d’être en retraite, donc cette année, mes frères et sœurs et moi, on va participer aux frais domestiques. » Depuis qu’elle est bébé, tous les ans, à la même période, elle part en famille aux Sables d’Olonne. « Je ne vais pas mentir, c’est quand même pratique de profiter de la maison de vacances de mes parents. C’est reposant, pas cher. »Surtout quand on est au chômage. Julien, 26 ans, est sans emploi depuis un an :

    « Moi, j’ai déjà du mal à m’acheter à bouffer alors les vacances… sans mes parents, c’est clair, je pars pas. C’est eux qui me proposent, et je vois pas pourquoi je dirais non. Généralement, j’emmène ma copine qui a un boulot assez précaire aussi. On ne paie pas grand-chose et l’ambiance est sympa.»

    En couple et en famille

    Partir en couple avec ses parents, Gwladys valide :

    « Mon copain paie juste le billet d’avion pour aller en Sardaigne, rien d’autre. Comme on est deux enfants de divorcés, on a plus de choix pour partir en vacances – c’est un des rares avantages à avoir des parents divorcés, d’ailleurs ! Après la Sardaigne, on va dans la famille de mon copain avec des potes, sa mère a une maison dans le sud de la France. »

    Des propos qui font bondir Frédéric Fappani, chercheur et chef d’un service en prévention spécialisée à Paris : « Partir en couple avec ses parents, c’est le pompon ! Quelque part, c’est comme si on ne pouvait pas dépasser le couple papa/maman, comme s’ils nous dominaient inconsciemment. » Ce qui l’agace, ce n’est pas tant l’attitude des jeunes que celle de leurs parents :

    « La génération des parents de vos lecteurs maintient tous ces jeunes dans une immaturité psycho-affective. La société qu’ils ont construite a tout verrouillé pour que les jeunes n’y pénètrent pas : le marché de l’emploi est bloqué, la création, l’action… Quand leurs enfants partent avec eux en vacances, ils continuent à les maîtriser, à les dominer. Inconsciemment bien sûr. Mais quelque part, c’est montrer à leurs enfants que sans eux, ils n’y arrivent pas. Comment voulez-vous que ces jeunes lâchent la branche familiale pour en attraper une autre ? Ils ont bien trop peur de se scratcher par terre. »

    Pour Frédéric Fappani, toute la problématique réside dans la manière dont les parents formulent l’invitation : « c’est différent s’ils disent « tu passes nous voir » ou « je t’ai réservé une chambre, tu viens quand ? »

    Resserrer les liens familiaux

    Conséquence ou non ? Dans ses études, Régis Bigot, du Credoc, note que « les Français tentent de redonner du sens aux actes de la vie quotidienne quand ils sont en vacances. Ils cherchent à compter sur leurs proches. Au vu du marché du travail catastrophique pour les jeunes, ce ne serait pas étonnant qu’ils profitent des vacances pour passer du temps avec leurs parents. » Resserrer les liens familiaux, c’est rassurant. Mais pas que. Pour Dorothée, jeune entrepreneuse qui gagne mal sa vie, ses vacances aux Sables sont « surtout un moment où on se réunit avec toute ma famille, je trouve ça très sympa parce qu’on se voit peu pendant l’année. » Même esprit chez Gwladys :

    « Je ne vis plus avec mes parents, c’est sympa de se retrouver, c’est plus détente que pendant l’année. D’ailleurs, même si j’avais plus d’argent et que j’avais plusieurs semaines de vacances, je partirais avec eux pour cette raison. Bon, après, bien sûr, si je n’avais qu’une semaine de vacances et plus d’argent, je partirais en priorité avec mon copain. »

    Anna, 27 ans, perçoit, elle, ses vacances avec sa mère uniquement sous l’angle familial. « Ce n’est pas pour des raisons financières – d’ailleurs, je paie mon billet d’avion et les restos sur place. Et je pars aussi en parallèle avec mes amies » :

    « Avec ma mère, c’est plus un rituel. Depuis son divorce, on est parties tous les ans, d’abord quelques jours et maintenant quasi deux semaines. On est parties à Boston, en Islande, à la Guadeloupe… On fonctionne bien à deux, en fait, on ne s’engueule pas du tout. »

    « Je le regrette un peu »

    Lucas, 24 ans, est, lui, très rarement parti avec des amis : « je le regrette un peu, on ne fait pas les mêmes choses, on se comprend mieux entre potes. » Lui part tous les ans avec son père dans la famille de sa mère décédée : « c’est devenu presque une tradition, ça m’embêterait de zapper un an. Quand j’étais plus jeune, je ne me sentais pas sur la même ligne, il n’y avait que des adultes, mais maintenant, j’en profite plus. » Lucas ajoute :

    « Je ne pars pas ailleurs, mais avec mon père, on projette de partir en Norvège tous les deux, on est assez proches. »

    Alors, plus de jeunes qui partent en vacances avec leurs parents ? Difficile de généraliser tant qu’une étude chiffrée sur le sujet n’a pas été lancée. Mais d’après Frédéric Fappani, le phénomène touche surtout « les classes moyennes », les Français les plus pauvres ne partant pas du tout, même pas dans leur famille. Et notons aussi, toujours selon Fappani, qu’il n’y aurait jamais eu, en parallèle, autant de jeunes qui partent seuls en vacances.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€ 💪
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER