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    31/07/2012

    Un an après la mort de Kadhafi, « les liens avec la Russie sont particulièrement distendus »

    Où en sont les relations entre la Libye et le duo Russie/Chine ?

    Par Elodie Font

    Longtemps, la Chine et la Russie ont, comme en Syrie actuellement, soutenu l'ancien régime de Kadhafi. Un an après, la Libye n'a pas digéré l'entêtement de la Russie. Mais le jeune pouvoir n'a « pas les moyens d'en vouloir à

    Les faits : 9 mois après la mort de Kadhafi, le pouvoir libyen se reconstruit petit à petit. Une assemblée constituante a été élue début juillet, dans un climat encore loin d’être serein : chaque jour, des combats meurtriers opposent les différentes tribus de la Libye qui se disputent (notamment) les puits de pétrole. Paradoxalement, seule la production de pétrole, assurée par des compagnies étrangères, est à son niveau d’avant-guerre.

    Le contexte : Il y a quelques jours, la Russie et la Chine ont de nouveau opposé leur veto à une résolution de l’ONU menaçant le régime syrien de Bachar Al-Assad de sanctions. Souvenez-vous, l’an passé, l’entêtement de ces deux mêmes pays à refuser toute ingérence dans les affaires libyennes était perçu de la même manière. Sauf qu’ils avaient été moins radicaux : en mars 2011, la Chine et la Russie s’abstiennent, permettant l’application d’une résolution de l’ONU sur la Libye autorisant la mise en œuvre de « tous les moyens nécessaires » pour « la protection des civils ».

    Mais, très rapidement, ils accusent les occidentaux d’outrepasser le mandat onusien et n’hésitent pas aujourd’hui à crier sur tous les toits qu’ils se sont sentis « abusés » par l’Otan. Aujourd’hui, les deux pays prennent souvent l’exemple de la Libye pour refuser toute intervention en Syrie.

    La question de StreetPress : Quels sont les liens actuels de la Libye avec la Russie et la Chine ? Au-delà des gros titres, des énervements onusiens et des déclarations occidentales, que s’est-il passé depuis le conflit ? La Libye a-t-elle pardonné aux ex-alliés de Mouammar Kadhafi ?

    La réponse de Luis Martinez, directeur de recherche au CERI-Sciences Po :

    « Les liens sont particulièrement distendus avec la Russie, qui était un des principaux soutiens du régime de Kadhafi. 90 % des contrats d’armement en Libye étaient signés avec les Russes. Des contrats qui représentent des milliards de dollars. Or, les nouvelles autorités libyennes n’ont relancé absolument aucun embryon de partenariat avec la Russie.

    Ceci dit, la vraie question des liens entre les deux pays se posera dans quelques mois, voire quelques années, quand la Libye décidera de signer un nouveau contrat d’armement (pour l’instant suspendu) : choisira-t-elle de tout de même poursuivre avec les Russes ou est-ce qu’elle se tournera, comme tous les pays maghrébins voisins, vers les Etats-Unis et l’Europe ? Pour l’instant, c’est trop tôt pour le dire. Mais, concrètement, si le contrat d’armement n’est pas renouvelé, la Russie sera littéralement évincée de la Libye. Parce que la Russie avait aussi dans ses cartons un immense projet énergétique, mais c’est finalement la compagnie italienne ENI qui l’avait emporté.

    Et avec la Chine ?

    La Chine, c’est différent. Pour les Libyens, elle n’est pas complètement assimilée au régime de Kadhafi, bien moins que les Russes, en tout cas. Je ne pense pas que le pouvoir libyen lui tiendra rigueur de quoi que ce soit. Dans un avenir proche, les relations économiques entre les deux pays vont reprendre. Il y aura des appels d’offres pour des chantiers conséquents, pour de gros projets d’infrastructures, et les Chinois seront présents.

    La grosse différence entre la Russie et la Chine, c’est que cette dernière est ce qu’on appelle un pays global, comme les Etats-Unis : aujourd’hui, qui peut en vouloir à la Chine ? Qui a les capacités de lui imposer quelque chose ? Que peuvent faire les jeunes autorités libyennes contre la Chine ? La réalité, c’est que les dirigeants libyens n’ont aucun pouvoir sur la Chine.

    Chaque jour, il y a encore des combats meurtriers en Libye : est-ce que la Russie aide une tribu ou une autre ?

    La Russie connaît très bien la Libye, mais elle n’a aucun intérêt à exercer un pouvoir de nuisance, à déstabiliser la région. Pour l’instant, la Russie se préoccupe surtout de ce qu’elle peut sauver économiquement. Les gros entrepreneurs russes essaient de jouer la carte du légal : comment peuvent-ils faire pour que les contrats signés sous Kadhafi soient pérennisés ? Voire payés ? Comment préserver certains liens humains ? Autant dire qu’ils font plutôt profil bas.

    Les anciens membres de la garde rapprochée de Kadhafi se sont-ils réfugiés en Russie ou en Chine ?

    Ils sont surtout cachés dans les pays du golfe, comme Moussa Koussa, l’ancien chef des renseignements, réfugié à Doha. Ou en Algérie voisine, où une partie de la famille de Kadhafi habite toujours. Bon après, je n’ai pas d’infos précises là-dessus, mais je pense que les agents de sécurité de Kadhafi, moins visibles à l’international, moins connus mais célèbres sur leurs terres, ont pu aller se réfugier dans les pays alliés de l’ancien régime.

    En général, au-delà de la Russie et la Chine, quels sont les liens de la Libye avec les pays alliés de Kadhafi ?

    Honnêtement, la politique internationale n’est pas encore la priorité de la Libye. Les dirigeants ont déjà de nombreux problèmes à régler en interne : ils doivent développer le pays, abaisser le niveau de violence, ramener les miliciens dans la vie civile. Même s’ils ne se sont pas entretués, comme certains le pressentaient, ils ont encore beaucoup à faire.

    Ensuite, dans quelques mois, ils se préoccuperont de leurs intérêts à l’international et là, se posera la question de leurs rapports avec des pays comme le Tchad, un fidèle allié de Kadhafi avec lequel la Libye a beaucoup d’intérêts en commun.

    La France a-t-elle gagné des contrats ?

    Non. La France jouit d’une bonne image en Libye, évidemment, tout comme la Grande-Bretagne. Mais les partenaires actuels, hormis la Russie, sont globalement les mêmes qu’avant. L’Italie est très bien placée, notamment avec la compagnie ENI, mais ce n’est pas nouveau, elle l’était déjà avant. La Turquie aussi se positionne très bien, c’est très clair, mais elle-aussi était déjà bien placée.

    Le parallèle est assez évident avec la Syrie…

    Oui, d’autant que la Syrie est un acteur économique majeur pour la Russie. D’une, les investissements russes sont importants dans le domaine énergétique. De deux, et c’est très important : depuis 1971, les Russes disposent d’un port dans l’ouest de la Syrie, le port de Tartous, où ils peuvent accoster librement, sans aucun contrôle. Il s’agit pour les Russes de leur unique accès à la Méditerranée. De trois, ils ont de gros contrats d’armement avec la Syrie. Quand on sait ça, on comprend mieux pourquoi la Russie soutient Bachar al-Assad. Et là-aussi, la Chine vote comme son allié russe à l’ONU, mais elle est plus effacée sur le terrain. Si Bachar Al-Assad venait à céder le pouvoir, les conséquences seraient bien moins importantes pour la Chine ».

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    Qui es-tu Luis Martinez ?

    Spécialiste de la Libye et de l’Algérie, Luis Martinez est directeur de recherche au Ceri – Sciences Po. Plus d’infos ici.

    La réalité, c’est que les dirigeants libyens n’ont aucun pouvoir sur la Chine

    L’ancienne garde rapprochée de Kadhafi est réfugiée dans le Golfe ou en Algérie

    La France jouit d’une bonne image en Libye mais n’a pas gagné de contrats.

    bqhidden. Sur la Syrie, la Chine vote comme son allié russe à l’ONU, mais elle est plus effacée sur le terrain

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