8 rue des écoles – Paris. Il est 18h22 quand Michaël et son pote Pierre, venu de Toulouse lui faire un coucou, sont interrompus en pleine séance de visionnage du film Clerks. L’épicier du coin – un habitué – vient rendre Time Out, le dernier film qu’il a loué sur les conseils du proprio du vidéoclub. « On donne un avis personnalisé selon les goûts des clients, explique Michaël le co-gérant. On n’a pas peur de dire qu’ une bouse c’est une bouse. »
Les employés modèles Le vidéoclub s’appelle Clerks, comme le film culte du même nom. Mais n’allez pas croire que les proprios, Michaël et Fabien, matent H-24 le chef d’œuvre de Kevin Smith. «Là c’est complètement par hasard. C’est parce que mon ami Pierre ne l’a jamais vu.»
Dans Clerks – sorti en 1994 – Dante et Randal, vendeurs dans une épicerie et un vidéoclub, tuent l’ennui et leur déprime post-adolescente à coups de vannes grivoises et de références à la culture pop. Un peu comme dans le vidéoclub de Fabien et Michaël où les murs sont décorés de fausses citations. Ici Martin Scorsese, réalisateur du terrible Aviator : « Je sais que mes derniers films sont pourris, mais je m’en fous, j’ai réalisé Casino. »
« On partage le côté travail à la cool avec les héros du film… » rigole Michaël, 34 ans. « Mais attention on ne mate pas de porno comme Randal ! » Dans sous hoodie rouge et avec son pantacourt, il ressemble à un étudiant qui sèche les amphis. Le jeune homme cite Quentin Tarantino : «C’est le meilleur job du monde, on peut parler de cinéma toute la journée, regarder tous les films qu’on veut.»
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Crise Les jours de Clerks sont-ils en danger ? Michaël, co-gérant du vidéoclub, ne se fait pas trop d’illusions : « Un jour, il faudra changer d’activité. » Les chiffres de son vidéoclub sentent un peu le sapin : 50 locations par jour en moyenne en 2012 contre 100 en 2006. Même Jay et Silent Bob flipperaient.
Autre tuile : le manque de sous pour acquérir les dernières nouveautés. Le vidéoclub achète 5 films à mettre en location par semaine contre 12 à son apogée. Et la politique de programmation de Clerks a un prix : « On se restreint sur les grosses nouveautés pour acheter des petits films qui nous intéressent. Mais du coup on en loue moins, c’est un cercle vicieux ». Le vidéoclub s’est séparé de son unique employé en 2009 tandis que les gérants ne se sont pas versés de salaire – le Smic – un mois en 2011.
Michaël et Fabien ont bien tenté quelques coups d’éclat pour gagner plus d’oseille : « on proposait une livraison gratuite pour les habitants de l’arrondissement… Mais comme on a eu 2 demandes en 1 an, on a laissé tomber. » Le co-gérant se souvient aussi de la période où ils faisaient « des conneries à manger. » Chou blanc : les gastronomes préféraient aller ailleurs.
Nettoyage « En 2004, il y avait 5.500 vidéoclubs en France. Aujourd’hui il en reste 1.500 », explique joint par StreetPress Michaël Blossier, redacteur en chef du magazine professionnel Le journal de la vidéo. Mais derrière ces chiffres qui plombent l’ambiance, le spécialiste est en fait… optimiste ! « C’est plus que le nombre de disquaires ou de magasins de jeux vidéo ! » Il compare volontiers les derniers vidéoclubs indépendants à « des cavistes qui vendent aux amateurs de vin ». Et si Clerks connaît la crise, la fermeture ce n’est pas non plus pour tout de suite: « Le fonds nous fait tenir parce que les gens viennent louer des vieux films », se réjouit Michaël, qui rappelle que le vidéoclub survit aussi grâce à la vente de DVD.
Jean-François Regue, adhérent du Syndicat des vidéoclubs de France (SVCF), ne cache pas son plaisir quand il rappelle que les premières victimes de la crise de la location ont été les grosses franchises : « ils étaient là pour faire du business, pas pour faire du cinéma ! » Comme Vidéofutur, le leader des franchises de vidéoclubs en France, qui a déposé le bilan en 2008.
« Leur système c’était de ne pas garder de fonds de catalogue et d’avoir beaucoup de nouveautés. Mais le jour où le téléchargement est arrivé, ils l’ont pris en pleine figure parce qu’ils avaient la même offre. Les vidéoclubs indépendants avec un fonds de catalogue ont mieux résisté. »
Depuis, Vidéofutur a été repris mais mise sur la VOD et la livraison. Et toujours pas sur les classiques.
Ça bosse sec
En 2004, il y avait 5.500 vidéoclubs en France. Aujourd’hui il en reste 1.500
Taxi Driver, c’était pas mal non plus
Cinéphiles Dans les rayons de Clerks, on croise Philippe, 41 ans venu pour louer Un si doux visage d’Otto Preminger. « Pas le genre de film qu’on peut trouver facilement sur Internet ou dans un vidéoclub ! » 10 minutes plus tard, c’est Marco Cherqui – producteur de Un Prophète et Kaboul Kitchen, entre autres – qui vient prendre ses provisions du soir tandis qu’un adolescent zieute le rayon à la gloire de Martin Scorsese.
Le vidéoclub sert aussi de lieu de pèlerinage aux fans parisiens du film Clerks : « Deux types sont venus déguisés en Jay et Silent Bob pour un enterrement de vie de garçon », se remémore Michaël, tout sourire. « Et les Américains qui passent s’arrêtent presque systématiquement devant pour prendre une photo. » Une web-émission sur le cinéma a même fait du vidéoclub son plateau – avec en prime, pour son générique, un remake de la première scène du film . Et comme pour les remercier d’apporter la lumière aux fans français, Michaël et Fabien ont reçu il y a quelque mois un mail d’encouragement signé du grand Kevin Smith en personne. « Si on avait appelé le vidéoclub Star Wars, on aurait certainement eu un procès de George Lucas à la place d’un petit mail sympa ! » rigole Michaël.
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