Sur son bureau, à la mairie du 19e, des piles de paperasse, une lampe imposante et une photo de Jean Moulin scotchée dessus. « Ben oui, Jean Moulin ! Et encore, là, c’est rangé », s’amuse Christophe-Adji Ahoudian. « Je n’ai jamais le temps de mettre de l’ordre. Là, ça fait 48 heures que je ne me suis pas posé dans mon bureau. » Jeune adjoint au maire chargé de la jeunesse et délégué du maire dans le quartier Flandre Aubervilliers, il préfère arpenter son arrondissement en long, en large, en travers, 7 jours sur 7, 19h sur 24 (ou plus). Comme ce matin du mois d’avril, où, à la sortie du métro, alors que les visages recrachés sur Terre sont gris et fatigués, « Adji » tracte déjà sans relâche pour François Hollande.
Infatigable À regarder ce jeune homme, baraque et souriant, serrer des mains, on a l’impression qu’il connaît tous les habitants du quartier Riquet par leur prénom. Il s’intéresse, pose des questions, salue la moitié de la rue.
« Disons que c’est un quartier difficile… J’ai envie de tout faire pour apporter des solutions à tous ces gens. Quand je me lève, c’est une de mes premières pensées. »
Celui qui l’a poussé à entrer en politique, Mao Peninou, aujourd’hui adjoint au maire de Paris, sourit : « vaut mieux ne pas être trop pressé quand vous vous baladez avec Christophe-Adji. Pour un trajet de 10 minutes, vous en mettez 30. » D’autant qu’Adji se déplace toujours à pied : « je n’ai plus le temps de faire du sport, c’est le compromis que j’ai trouvé pour rester en forme. Quand tu fais 5 ou 6 trajets dans une journée, à la fin, t’es claqué ! Et puis ça me permet de rester au contact, pour moi, c’est ce qu’il y a de plus important dans la politique. »
Né au Burkina-Faso Adji n’a pas toujours été aussi sociable. Sa tante Marie – qu’il appelle « maman » – se souvient d’un ado « très calme » : « Il parlait très peu, c’était un garçon discret. Comme son papa. » Son père, Adji ne l’a pas connu, il est décédé avant même qu’il ne sache parler. À l’époque, le jeune Adji vit à des dizaines de milliers de kilomètres des tours du 19e. Il grandit dans le minuscule village de Tiébélé, au sud-est du Burkina-Faso. Dans une ferme sans eau, sans électricité, loin de tout. Il se marre : « La première fois que j’ai vu un touriste blanc, j’ai eu peur, je suis parti en courant. »
Il a 9 ans lorsqu’il prend un aller simple pour Paris. Il quitte le Burkina, le sable et sa mère pour débarquer chez son oncle, le frère de son défunt père, qui s’était promis de l’emmener un jour vivre en France. Près de 25 ans ont passé et Adji n’a jamais remis les pieds dans son pays d’origine. Il n’a jamais revu ni sa mère ni ses frères et sœurs. « La vie, c’est parfois compliqué » assène-t-il, le regard doux et sombre.
« Au début, tu aurais le temps mais tu n’as pas d’argent pour te payer le billet. Maintenant, j’ai l’argent, mais pas le temps. Je n’y suis pas retourné depuis tellement longtemps que je n’ai pas envie d’y passer seulement une ou deux semaines. Et puis, je déteste prendre des vacances. »
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La première fois que j’ai vu un touriste blanc, j’ai eu peur, je suis parti en courant.
Le choc de l’escalator Adji découvre les tours Riquet, curieux et impressionné. Le lieu où aujourd’hui il serre des mains à en avoir mal aux doigts. Ce dont il se souvient le plus, au-delà du déchirement, c’est sa peur panique des escalators une fois arrivé à l’aéroport. « Un peu comme dans le film Crocodile dundee, j’avais peur d’être happé. » Et ce choc, immense, à la vue des voitures, des lumières, de l’immensité des bâtiments. « Je me souviens aussi de la neige. Déjà qu’au Burkina, on avait très peu de pluie, alors de la neige… »
En cours, il bosse pour obtenir son bac compta. « Il avait envie de réussir, il en voulait. Et il était curieux de tout » se souvient Marie, la femme de son oncle. Très vite, 5 ans après son arrivée, son oncle décède. Marie l’élève seule en lui conseillant de « toujours savoir saisir sa chance. » Le bac en poche, il prend la direction de Paris 5, Descartes, où il entame un deug de socio – quand on appelait encore ça un deug. « Après le bac, il s’est ouvert. Une véritable explosion » poursuit Marie. Adji déménage, débarque dans un foyer de jeunes travailleurs, enchaîne les petits boulots, de déménageur à loueur de Dvd, pour se nourrir. « J’étais claqué, j’avais pas beaucoup de temps à consacrer à mes études. Mon rêve, à ce moment-là, c’était de travailler dans le social.»
Action et réflexion Et ça commence par de l’engagement associatif. En 1999, a même pas 20 ans, il se jette corps et âme dans l’asso qu’il cofonde, Braves Garçons d’Afrique. En parallèle, il manage un collectif de jeunes artistes. Est responsable d’une équipe de médiation immobilière 3F (de l’habitat social). Anime des après-m’ en centre de loisirs. Plusieurs temps-plein à caser dans la même journée. Élu sur la liste municipale dans le 19e, Mao Peninou le croise pour la première fois en 2001 :
« J’ai rencontré Christophe-Adji dans le cadre de 3F. La discussion devait durer 10 minutes, elle a duré 2h, il était passionnant, avec une vraie réflexion sur l’action politique. Rencontrer des gens comme Adji, c’est ce qu’il y a de meilleur en politique. »
En face, le jeune Adji est confronté en permanence à la politique : « quand tu crées une asso, tu es en contact permanent avec la mairie. » À force de discussions, d’échanges, de réunions, il prend sa carte au PS en 2006. Poussé par Mao Peninou qui croit très fort en lui. Après s’être engagé dans la campagne pour Ségolène Royal, en 2007, il s’y remet à fond pour celle des municipales, un an plus tard.
“Après le bac, il s’est ouvert, une véritable explosion”
> le forum citoyens de demain pour préparer à être de bons citoyens, mais pas seulement, pour également savoir bien s’insérer dans la société.
> La formation Bafa à moindre coût : 110 euros la première partie du brevet (plus théorique) pour devenir animateur, et pour la seconde partie (la pratique), la ville de Paris s’engage à proposer aux jeunes animateurs en herbe des contrats.
> La création de l’asso Braves garçons d’Afrique
> Un chantier de solidarité au Sénégal et au Mali.%
Devenir adjoint Le maire du 19e, Roger Madec, le suit de loin depuis déjà un moment. Quand il prépare sa liste municipale, en 2008, il pense à Adji.
« Il faisait un travail intéressant, c’était un interlocuteur reconnu des jeunes, et il avait un profil atypique. La campagne nous a confortés dans l’idée qu’il tenait la route. Vous savez, parfois, quand on ouvre une liste à la société civile, on se plante, mais là, je ne me suis pas planté. »
Pour Adji, voir son nom sur la liste municipale est un nouveau basculement. « C’est un changement de vie radical de passer du militantisme, où on pointe des problèmes, où on hausse la voix à l’action politique où il faut réfléchir et prendre des décisions. » Il laisse les potes de son asso. Des amis qui l’ont « soutenu » dans cette évolution. « Le quartier était fier. »
Fierté C’est le mot qui revient aussi dans la bouche de Mao Peninou : « il peut être fier de son parcours. » Un parcours chargé. Dense. Et ensuite ? « Je pense plutôt au présent, à ce que je vais pouvoir changer, je n’ai pas de plan de carrière parce que ça peut s’arrêter en permanence. » Dans ses yeux, une nouvelle fois, on sent que les mots prononcés ont un sens. Si, il a tout de même une requête pour le futur : ne pas grimper dans la hiérarchie politique parce qu’il est noir. « Je ne veux pas qu’on me voit comme un élu de la diversité. C’est quoi la diversité ? On dit élu de la diversité pour ne pas dire immigré, alors qu’en fait, quand on ajoute les minorités, cela forme une majorité. La seule chose qui m’intéresse, c’est comment mieux vivre ensemble. » Adji poursuit : « je vais vous dire, qu’on soit noir ou blanc, ça ne change rien. Sur le terrain, personne ne me parle jamais de ma couleur de peau, les gens, ils veulent juste qu’on améliore leur vie. »
Autant dire qu’une carrière politique nationale, il y pense éventuellement en se rasant les cheveux à ras. Mais pas pour tout de suite, plutôt dans 10 ou 20 ans. « Je ne suis jamais à l’heure, je ne vois pas pourquoi je me presserai dans ma vie politique. »
“Là, ça fait 48h que je ne me suis pas posé dans mon bureau”
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