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    26/02/2010

    Haïti – Partie 2 : Laisse béton

    En Haïti, la vie « comme si rien n'avait jamais eu lieu »

    Par Laura Aguirre de Carcer

    Incroyable faculté de résilience, pour Fanny, ou bien déni et trauma latent, pour cet étudiant de Léogâne qui promet qu'ils seront bientôt « nombreux à devenir fous ». Ici, tout doit avoir l'air comme avant. Reste la peur du béton.

    Notre webdoc Haïti: Retrouvez la partie 1 Do you speak logbase et la suite à venir sur StreetPress

    Dans la pente raide qui mène à la Primature, le Matignon haïtien transformé en camp de fortune, une jeep kaki percute violemment un jeune garçon d’à peine dix ans. Plaqué contre le pare-brise, puis projeté à terre, il se relève difficilement sur ses genoux. Attirés par le bruit sourd du choc, les femmes lâchent leurs casseroles, les enfants abandonnent leurs jouets, et tous accourent auprès du jeune garçon. Dès que le petit bonhomme se remet sur ses deux pieds, tous les habitants font demi tour et s’empressent de retourner à leurs occupations. La panique est vite dissipée, le calme reprend ses quartiers.

    En l’espace d’un instant, plus aucune trace de l’accident, emblématique de la capacité d’oubli des Haïtiens. A peine trois semaines après le tremblement de terre, dans une ville où l’on a encore faim et où règnent chaos et précarité, les habitants veulent montrer que la vie a repris son cours.

    Andres : le même esprit qu’avant le séisme

    Andres Castro Mercado, jeune médecin chilien, barbe de trois jours sur peau bronzée, façon « beaux gosses sans frontières » travaille auprès des populations les plus pauvres. Il résume les choses ainsi : « C’est comme si rien n’avait jamais eu lieu». Pour lui, qui a connu Haïti avant le séisme, « c’est déroutant à quel point l’état d’esprit qui règne dans la capitale, la façon de vivre des Port-au-Princiens est identique à ce que j’ai connu lors de ma dernière mission ici ».

    Il consulte sous la tente un peu bancale de la croix rouge haïtienne, plantée en plein milieu du camp, entre l’escalier royal et la terrasse qui domine la ville. Le jeune médecin y reçoit les mêmes types de consultations qu’avant le séisme. Un enfant qui tousse, une blessure mal soignée, beaucoup d’allergies, en somme de banals troubles du quotidien. Ils sont tout de même quelques-uns à se plaindre de troubles du sommeil mais cela reste très minoritaire.

    Habitués depuis longtemps à vivre dans le chaos et la débrouille

    Pour Andres, l’explication est simple « Finalement, les Haïtiens les plus pauvres étaient déjà habitués à vivre dans une situation similaire dominée par le chaos et la débrouille ». Dans les rues de Port-au-Prince, le commerce a vite repris et la période traumatique semble bien loin. Pour Fanny Devoucoux, qui travaille depuis plus d’un an sur l’île, cela tient à « l’incroyable faculté de résilience » des Haïtiens.

    Mais pour ce jeune étudiant rencontré à Léogâne, le calme apparent cache un déni et le trauma est latent : « Aujourd’hui nous pensons tous à survivre, à nous nourrir, mais le choc sera d’autant plus grand demain, une fois l’urgence passée, estime-t-il. Le jour où nous nous rendrons compte de l’ampleur des dévastations, alors nous serons nombreux à devenir fous. »

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    Aversion pour le béton

    Ce que tous partagent ici, c’est la peur d’un nouveau séisme. Mercredi 3 février, la terre a tremblé de nouveau à Leogâne, ville la plus proche de l’épicentre. Une grande secousse vers minuit. Le lendemain, sur toutes les lèvres se lisent les mêmes mots apeurés. Dans tous les regards, la peur réprimée. Ici, tout le monde a développé une aversion pour ce matériau de construction. Les Haïtiens sont terrorisés de voir à nouveau le béton, à l’apparence si solide, se retransformer sous leurs yeux en sable.

    Une peur qui pousse certains à dormir sous la tente alors que leur maison n’a pas été endommagée. Antoine Leroy travaille pour une ONG et est quotidiennement confronté à ce problème. « Lorsque hier j’ai demandé à une jeune femme de rentrer dans nos locaux pour un entretien qui pouvait déboucher sur un travail, elle s’est arrêtée, et a rebroussé chemin, raconte-t-il. La peur de pénétrer le bâtiment était plus forte que la possibilité, rare en cette période de crise, de trouver un travail stable ».


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    Voir aussi :

    Partie 1: Do you speak logbase
    Entre beaux gosses bronzés et spaghettis auto-chauffantes, le kit de survie de l’humanitaire dans la logbase de Port-au-Prince

    Et la suite du webdoc à venir sur StreetPress

    Source : Laura Aguirre de Carcer | StreetPress
    Photos : Gaylord Van Wymeersch pour StreetPress

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