Selon un récent sondage, le vote FN arriverait en tête chez les 18-24 ans, quelle est votre analyse ?
Guénaëlle Gault : Avant toute chose, ce qu’il faut bien voir, c’est que la principale orientation des jeunes, ce n’est pas le Front national, c’est l’abstentionnisme. Après, c’est vrai que selon les dernières estimations, les intentions de vote des 18-24 ans se portent sur Marine Le Pen, suivie de près par Jean-Luc Mélenchon et dans une moindre mesure sur François Hollande et Nicolas Sarkozy. On a vu très fortement progresser le vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon pendant les derniers mois. Depuis fin 2011, il a quadruplé chez les moins de 25 ans. Cela fait très sensationnel de dire que Marine Le Pen est en tête mais en réalité Jean-Luc Mélenchon n’est pas loin derrière. Ce qui se passe en général c’est que les jeunes s’orientent d’abord vers l’abstention puis vers les candidats antisystèmes.
Marine Le Pen incarne cette figure antisystème ?
Guénaëlle Gault : Elle cumule deux avantages. D’une part, elle incarne l’antisystème auquel les jeunes aiment se référer, de la même façon qu’ils le font avec Jean-Luc Mélenchon. En plus, elle a œuvré pour la dédiabolisation du Front national. Ce qui permet aux électeurs de se diriger vers elle avec sans doute moins de réticence que lorsque c’était Jean-Marie Le Pen.
Quels arguments séduisent les jeunes dans le discours politique de Marine Le Pen ?
Guénaëlle Gault : Je pense que c’est un peu paradoxal parce qu’en réalité, toute son argumentation et ses propositions sur l’immigration, les jeunes n’y sont pas très sensibles. C’est plutôt dans son incarnation et dans sa radicalité qu’elle séduit. Les nouvelles générations jugent qu’elles vivent de plus en plus mal par rapport à celles d’avant. Or, les générations précédentes ont vécu sous des régimes dominés par des forces traditionnelles et parlementaires. Donc ces jeunes qui sont dans une difficulté économique extrême, ce qu’ils veulent, c’est renverser le système. Alors ils s’intéressent aux candidats qui le leur proposent. Les valeurs que porte le Front National sont peu en adéquation avec les jeunes. En revanche, c’est cette proposition plus globale de rupture avec une politique classique qui séduit avant tout les jeunes.
Il existe un profil dominant chez les jeunes qui votent Front national ?
Guénaëlle Gault : Ils sont encore plus fragiles et précaires que ne le sont les jeunes en général. Beaucoup moins diplômés aussi. Les jeunes, c’est une catégorie qui est un petit peu artificielle parce qu’à l’intérieur des jeunes, évidemment il y a différents types de jeunes. Et ce qu’on constate c’est que ce sont plutôt les jeunes ouvriers et les jeunes employés qui peuvent aller vers Marine Le Pen. Pour leur part, les jeunes des classes moyennes vont plutôt vers Jean-Luc Mélenchon mais pour les mêmes raisons.
Le vote FN chez les jeunes, est-ce le reflet d’un certain pessimisme face à l’avenir?
Guénaëlle Gault : Il y a toujours un paradoxe très profond chez les jeunes. Ils sont assez optimistes pour eux-mêmes et heureux individuellement. Mais ils sont extrêmement pessimistes sur le plan collectif. Ce qui est marquant, c’est le taux très élevé de jeunes qui considèrent que leur génération vit moins bien que la précédente. Et au milieu, entre l’individu et la société en générale, il y a justement les politiques en qui ils ont de moins en moins confiance.
François Hollande a mis la jeunesse au cœur de son projet mais il ne se détache pas des autres candidats. Pourquoi ?
Guénaëlle Gault : Il est avec Nicolas Sarkozy un des deux candidats de la décision publique. Un des deux candidats du système. Il représente malgré tout une forme de continuité pour les jeunes. Or, ce qu’on voit c’est que les jeunes votent beaucoup plus dans la protestation que dans la continuation d’un système. C’est un système politique qu’ils refusent. Et ils l’expriment en n’allant pas voter ou en votant pour les gens qui se placent en marge du système politique. C’est pour ça qu’ils sont très intéressés par les votes extrêmes. Cependant en 2007, ils se sont aussi dirigés vers le vote Bayrou qui incarnait le refus des clivages traditionnels.
Le vote FN chez les jeunes est-il propre à cette élection ou correspond-t-il à un comportement électoral que vous avez déjà pu observer dans le passé ?
Guénaëlle Gault : Non c’est un comportement électoral assez régulier, qui a été moins prégnant en 2007 mais qu’on observe depuis 1995. Ils sont de plus en plus éloignés et désenchantés des politiques. Cela avait été différent en 2007 car Nicolas Sarkozy avait réussi à capter la droite de la droite et Ségolène Royal avait aussi réuni une partie de l’extrême gauche. Ainsi, les extrêmes étaient plus faibles en 2007. Les deux candidats avaient réussi parce qu’ils se présentaient en rupture du système. Ce n’était pas une rupture aussi radicale que ce que propose Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, mais ils proposaient tous les deux de renouveler la politique et la puissance du politique. Cependant l’élection de 2007 n’est qu’une exception dans un mouvement qu’on observe déjà depuis longtemps.
Les jeunes affichent-ils désormais plus clairement leur volonté de voter FN ?
Guénaëlle Gault : De la même façon que tous les Français, ceux qui veulent voter Front national, l’affirment plus volontiers qu’avant. Marine Le Pen donne sans doute une image qui permet davantage de l’exprimer. Elle est moins autoritaire que son père, elle fait beaucoup moins peur. A partir de là c’est beaucoup moins un vote honteux.
La principale orientation des jeunes, ce n’est pas le Front national, c’est l’abstentionnisme
Toute l’argumentation du FN et ses propositions sur l’immigration, les jeunes n’y sont pas très sensibles. C’est plutôt dans sa radicalité qu’elle séduit.
Il y a toujours un paradoxe très profond chez les jeunes. Ils sont assez optimistes pour eux-mêmes. Mais ils sont extrêmement pessimistes sur le plan collectif.
En 2007, les deux candidats avaient réussi parce qu’ils se présentaient en rupture du système.
div(border). C’est qui ?
Guénaëlle Gault, directrice du département Stratégies d’opinion de TNS Sofres, qui a publié en 2007 « Pour en finir avec la politique à Papa »
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