Nous sommes en 2012 après Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par Facebook. Toute ? Non ! Car un petit groupe peuplé d’irréductibles passionnés d’informatique résiste encore et toujours à l’envahisseur. Une communauté un peu geek (mais ne leur dites pas, ils détestent le terme) qui passe des heures à coder les programmes sur lesquels vous surfez en ce moment même.
Le Satan du web « Sans être prétentieux, on a une vision de l’intérieur d’un réseau social comme Facebook. T’as pas idée de la facilité qu’ils ont à piller tes données persos », explique Jonathan, en 2e année à l’Epsi, une école d’ingés informaticiens. Lui s’est désinscrit de Facebook il y a 4 mois. « Je trouve ce réseau flippant : dès qu’on installe une nouvelle appli, publiée par n’importe qui, on lui donne nos infos persos. Tu sais, tous les petits jeux chronophages peuvent savoir qui tu es et quelle tête tu as. » Et c’est même « encore pire » depuis l’apparition du bouton « like » sur des centaines de sites. « Facebook sait exactement quels articles tu aimes, quelles sont tes sensibilités, tes idées politiques. Maintenant, il sait aussi quelles photos tu prends sur Instagram. Et, à moins de demander à la Cnil, tu ne peux même pas supprimer définitivement toutes ces données. »
Robert Erra, prof, chercheur et directeur de master à l’Esiea, une autre école d’ingés, s’en amuse : «Facebook, c’est l’ennemi public numéro un ! Un compte peut très facilement être piraté, une identité numérique bafouée en trois secondes. » Mais ne seraient-ils pas un peu paranos ? « Pas paranos, mais conscients ! » Robert Erra ajoute : « D’ailleurs, je vais vous dire : le jour de la rentrée, je demande toujours à mes étudiants s’ils ont un compte Facebook et s’il est actif. Je vous promets que les meilleurs sont ceux qui n’en ont pas. » Pourquoi ? « Parce qu’ils sont davantage conscients des risques. »
Pour quelle utilité ? Outch, alors que Facebook pleure déjà à chaudes larmes, une jeune informaticienne, habituée à tripatouiller les bas-fonds des ordis, enfonce le clou en préférant rester anonyme : « Je ne donne jamais mon vrai nom sur Internet. Je traîne sur différents sites de hack, j’arrondis parfois mes fins de mois comme ça, alors j’ai pas envie de laisser de traces. Donc Facebook, imagine ce que j’en pense… »
Ça y est, on a fait le tour des défauts du géant bleu ? Non, pas encore : dans la bouche des jeunes informaticiens interviewés, deux mots reviennent beaucoup. « Aucun » et « Intérêt ». Aucun intérêt, quoi. Louis est en 4e année à l’Epita, une école d’ingés informaticiens, avec une branche jeux vidéo : « Je ne me suis jamais dit ‘‘un jour je vais m’inscrire’‘, je ne suis sur aucun réseau social, et franchement je n’y vois aucun intérêt. » Même pas pour garder contact avec la fille entrevue dans un bar il y a 15 jours ? Son pote Franck, dans la même école, sourit : « Moi, j’ai un compte, surtout pour garder contact avec la Réunion, où j’ai encore plein d’amis et quasi toute ma famille. » Après un temps, il poursuit : « Mais en réalité, j’y vais une fois toutes les trois semaines. Je ne sais pas si on peut dire que c’est un compte actif… »
Adrien étudie lui-aussi à l’Epita. Il a ouvert un compte, mais n’y va jamais : « J’ai pas envie d’étaler ma vie privée. Je préfère voir les gens en vrai, aller prendre un verre plutôt que de liker des photos de vacances. Surtout quand t’as passé la journée sur un ordi : à 20h t’as qu’une envie, t’éloigner de l’écran ! » Il poursuit : « Et puis, entre nous, il y a un effet de groupe inversé : si la majorité de tes potes n’est pas sur Facebook, tu n’y seras pas non plus. » Un de ses profs a fait le test il y a quelques semaines : sur les 35 étudiants de sa classe, seuls 3 avaient un compte Facebook actif.
Je vous promets que mes meilleurs étudiants sont ceux qui n’ont pas de compte Facebook
Innovation intéressante Avant que les pro-Facebook crient au loup, nuançons : oui, on ne peut généraliser aussi catégoriquement et, oui, certains informaticiens ont un compte actif. Benoît Charroux, prof et chercheur, notamment à l’Efrei (vous allez connaître toutes les écoles d’ingés informaticiens) et à l’Epsi, trouve par exemple que c’est « une innovation très intéressante. » « Les réseaux sociaux ont apporté de réels apports techniques, des avancées qui n’existaient pas avant. Aujourd’hui, les grandes entreprises s’en inspirent, utilisent largement plus le chat, par exemple. »
L’utilisation des réseaux sociaux semble également incontournable à sa collègue Marielle Alliot-Sangaré, prof d’informatique et chercheuse (notamment à l’Epsi) : « Ne pas les utiliser, c’est une erreur, rien que pour voir comment ça fonctionne. Mais je crois qu’on ne doit surtout pas oublier que c’est un outil de travail, et que ce n’est que ça. À partir du moment où l’on mixe données perso et outil de travail, cela me semble à proscrire. » Même conclusion pour Benoît Charroux : « Utiliser les réseaux sociaux si on en connaît les limitations et les dangers, si on les utilise pour du marketing, de la comm, pour les relations professionnelles, oui. Mais en dehors de ces utilisations, je le déconseille. »
Les informaticiens ont moins d’à-priori sur Twitter, parce que c’est un moyen de glaner des infos sur les failles et sur la sécurité
Quid des autres réseaux ? Assez parlé de Facebook : et Twitter alors ? Les avis sont plus nuancés. Globalement, Twitter a davantage la cote. Explications de Robert Erra : « Les informaticiens ont moins d’à-priori sur Twitter, parce que c’est un moyen de glaner des infos sur les failles et sur la sécurité. Une conférence sur la sécurité informatique, elle sera tweetée par exemple. C’est intéressant aussi parce que c’est en temps réel. »
Adrien, lui, n’y voit pas franchement d’intérêt : « Je ne vois pas trop à quoi ça pourrait me servir. Les infos qui m’intéressent, je sais où les trouver. » Même esprit chez Louis : « Je vais directement sur les sites spécialisés, comme jeuxvideo.com ou alors sur des forums. Je préfère prendre le temps pour lire à fond des articles, lire aussi les commentaires, plutôt que de suivre pendant des heures un fil d’actu. »
Au petit jeu des préférences, Jonathan, lui, opte pour Google + : « Je trouve que Google protège mieux nos dossées persos. Quitte à ne pas avoir de vie privée (plus personne n’en a de toute façon), au moins je choisis à qui je donne mes infos persos. Mais, honnêtement, je m’en sers assez peu. »
Les grands gagnants sont en réalité les réseaux sociaux pro type Viadeo ou Linkedin. « Parce que les jeunes ingénieurs informaticiens y sont prisés. J’ai fait le test avec mes élèves », raconte Robert Erra. « Au bout de 45 minutes, avec les bons mots-clés, le cobaye avait trouvé un boulot… à Google Irlande. Sympa, non ? »
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