Un mercredi après-midi, dans une pharmacie du 19ème arrondissement de Paris. Sur les étagères, des patchs, des substituts nicotiniques, mais pas de cigarettes électroniques. Vous savez, cette fausse cigarette qui en a la couleur et vaguement la forme, censée être moins nocive que l’originale. Cet après-midi là, la pharmacie n’en a plus. Sympa, la pharmacienne (qui a voulu garder l’anonymat) propose de vérifier que les stocks sont vides, et d’appeler ses collègues situés en Essonne, chez qui elle se fournit.
C’est interdit ? Nous lui avouons alors qu’elle n’a pas le droit de nous en vendre. « Ah bon ? C’est interdit ? Mais depuis quand ? » Alors qu’elle pensait il y a encore quelques minutes en recommander, elle fait soudain marche arrière. « C’est fou ça, je ne savais pas ! »
Derrière son petit comptoir, sa collègue semble être mieux informée : «C’est l’Afssaps qui a recommandé de ne pas en vendre. » L’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, rebaptisée Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en 2011) s’est effectivement prononcée contre la vente de cigarettes électroniques en pharmacie, dans une lettre d’information qu’elle publiait le 30 mai 2011 :
« À ce jour, aucun type de cigarette électronique ne dispose d’une AMM (autorisation de mise sur le marché), aucun fabricant n’ayant déposé de demande en ce sens. Par ailleurs, les cigarettes électroniques ne peuvent être vendues en pharmacie car elles ne figurent pas sur la liste des produits dont la délivrance y est autorisée. »
Pas un médicament L’AMM est obligatoire pour commercialiser un médicament. Or, la cigarette électronique n’a jamais été reconnue comme médicament. Ne figurant pas non plus sur la liste des ventes autorisées en pharmacies, définie par le Code de la santé publique, ce produit n’aurait donc rien à faire dans une officine.
Contactées par téléphone, les principales institutions concernées, comme la Direction générale de la santé ou celle de la répression des fraudes, ignorent souvent elles-mêmes la réglementation en vigueur en pharmacie. Manon Chevassut, de l’Afssaps, finit par nous éclairer :
« Ce qui pose le plus de problèmes, c’est le dosage de nicotine dans les recharges. Ça peut être très toxique. Mais on a fait des lettres aux professionnels. Ce n’est pas normal que certains ne sachent toujours pas que c’est interdit. »
Une cigarette électronique fonctionne avec une batterie rechargeable et des flacons de liquides, qui permettent d’inhaler de la vapeur
div(border). À quel prix ?
Les prix varient en fonction de la qualité du produit. On peut trouver des cigarettes électroniques jetables dès 10 euros. Mais il faut compter au moins 40 euros pour avoir de la qualité. Sur le site La Centrale Vapeur, les prix vont ainsi de 40 à 90 euros. Idem chez Clopinette. En pharmacie, il faut en général compter 50 euros au minimum, sans compter les accessoires qu’il faut racheter un jour ou l’autre, comme la batterie. Quant au “e-liquide”, chaque flacon coûte en moyenne 6 euros et dure l’équivalent d’environ 7 paquets de cigarettes.
Pharmacies hors-la-loi ? Bien compliqué tout ça. A tel point que même ceux qui sont censés être les mieux informés ignorent parfois tout de cette recommandation. Ou choisissent de passer outre.
La pharmacie voisine, toujours dans le 19ème arrondissement, continue à vendre des cigarettes électroniques. Sur le présentoir, l’employée ouvre un joli petit coffret où l’on trouve un tube jaune et blanc qui a tout d’une vraie cigarette. Du moins, en apparence. Celle-ci fonctionne avec une batterie rechargeable et des flacons de liquides, qui permettent d’inhaler de la vapeur. Pas de goudron, ni de tabac, mais de la nicotine, que l’on peut doser à sa convenance. Si certains n’en mettent pas du tout, d’autres optent pour la dose maximale autorisée en France : 20 mg. Bien qu’elle ne vende qu’une cigarette électronique par mois en moyenne, l’employée (qui a elle-aussi souhaité rester anonyme) a choisi de garder le produit en stock.
« Je crois que c’est déconseillé par l’Afssaps, mais c’est flou. C’est une recommandation, pas une interdiction formelle. Au pire, on peut nous retirer le produit »
Aude Jolly-Jaspart, titulaire d’une officine dans le 11ème arrondissement, semble être du même avis : « Ce n’est pas une faute grave. » Mais elle a tout de même décidé de se fier à l’avis de l’Afssaps. « J’avais un présentoir, c’est parti en deux semaines. Mais on n’en vend plus car ce n’est pas considéré comme médical. »
De son côté, l’Ordre national des pharmaciens parle de « sanctions disciplinaires. » Anne Castot-Villepet, médecin qui travaille au pôle Veille et alerte sanitaire de l’Agence régionale de santé, confirme : « La pharmacie peut faire l’objet d’un examen par l’Ordre national des pharmaciens et la chambre de discipline. Après, au niveau des sanctions, tout est possible. » Tout est tellement possible que personne n’a été en mesure de nous donner les sanctions exactes auxquelles devaient s’attendre les pharmaciens. Notamment parce que l’ARS ne semble avoir enregistré aucun signalement de ce type pour l’instant : « Les gens s’en procurent surtout sur Internet », souligne Anne Castot-Villepet.
Incompétence ? Raphaël Freund a ouvert un site Internet consacré à la cigarette électronique, La Centrale Vapeur. Il confie d’ailleurs fournir plusieurs pharmacies parisiennes, tout en dénonçant l’incompétence de certaines en la matière. « Le problème, c’est que les pharmaciens et les bureaux de tabac ne testent pas les produits, ils s’en foutent. Résultat, quand l’utilisateur s’y rend, il peut tomber sur de la merde. »
Magali, vendeuse à Clopinette, la seule boutique consacrée à la cigarette électronique en région parisienne, fait le même constat. Et dénonce, de manière plus générale, le « vide juridique » à ce sujet. Cette ancienne grosse fumeuse, qui carburait à deux paquets par jour, a acheté sa première cigarette électronique en pharmacie. « On m’a sorti un coffret à 80 euros, mais je ne savais pas ce que j’achetais et ça a tenu seulement une semaine », raconte-t-elle.
Dans la boutique, Christophe, qui vient se fournir à Clopinette depuis une semaine, va dans le même sens : « Ici, ils savent de quoi ils parlent. » Lui, qui fumait un paquet par jour depuis 20 ans, a décidé d’arrêter grâce à la cigarette électronique. Pour son premier essai, il a choisi un liquide goût « tabac », mais il pense se mettre bientôt au « caramel ». Sur les étagères blanches du magasin, des arômes alimentaires à foison. De « thé vert » à « cacahuète », les « vapoteurs », comme on les appelle, ont l’embarras du choix. Il existerait même un goût « poulet rôti », pour les plus aventuriers.
Mais les vendeurs de Clopinette ont beau quasiment tous avoir adopté le produit, ils reconnaissent que cela ne remplacera jamais une vraie cigarette. À la fermeture de la boutique, ils n’ont qu’une seule pensée : se griller une clope, une vraie. L’un d’entre eux confie : « On entend parler de ça toute la journée, donc à la sortie, je m’en fume une, même si je ne l’apprécie pas, c’est plus fort que moi ! »
Un produit pas considéré comme médical
À la fermeture de la boutique, ils n’ont qu’une seule pensée : se griller une clope, une vraie
“Le problème c’est que les pharmaciens et les bureaux de tabac ne testent pas les produits, ils s’en foutent.”
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