En ce moment

    06/04/2012

    Pas simple de devenir puéricultrice ou animateur quand on a arrêté l'école trop tôt

    Les dreamjobs des décrochés scolaires

    Par Robin D'Angelo

    La mission locale de Juvisy (91) accompagne des jeunes décrochés scolaires pour qu'ils trouvent un projet professionnel. Souvent ils ont une idée bien précise, comme Fatoumata qui veut être vendeuse. Mais le chemin est encore long.

    14h à la mission locale de Juvisy (Essonne). Devant des verres de Cola Dia, un petit groupe de jeunes Black-Blanc-Beur planche sur le scénario d’un court-métrage. Galères pour trouver un emploi, journées à glander devant la Play, embrouilles avec le CPE ou la conseillère d’orientation : les 8 scénaristes d’un jour se torturent les neurones. Le film qu’ils vont réaliser doit raconter leur histoire jusqu’à leur arrivée à la mission locale. « Là où ils sont aidés à trouver un projet professionnel », comme l’explique Stéphanie, la coordinatrice emploi.

    Saoulés

    Les jeunes du groupe de travail d’aujourd’hui sont en « décrochage scolaire ». Comprendre qu’ils ont quitté l’école sans avoir terminé leur formation. Comme Sébastien, 19 ans, cheveux coiffés façon iroquois, qui a arrêté son CAP maçonnerie après 3 mois. Ou Quentin, 18 ans, qui s’est lancé dans une formation de boucher avant « d’être très vite saoulé ». Dustin, 21 ans et écouteur dans l’oreille droite, est plus amer que les autres : « J’ai passé 2 ans en CAP électricien. J’ai perdu 2 ans de ma vie. »

    « L’objectif c’est de les réinsérer soit par de la re-scolarisation, soit par de l’emploi et de la formation », précise Stéphanie qui encadre avec son collègue Karim la petite équipe. Les deux travailleurs sociaux accompagnent pendant 18 mois les jeunes dans leur quête d’un projet professionnel, depuis leur choix d’orientation jusqu’à la porte de l’employeur le jour de leur entretien d’embauche. Avec, inch’Allah, un contrat à la clé.

    MAP Juvisy c'est où ?

    Dreamjobs

    Grutier, cariste, puéricultrice, animateur, vendeuse… Quand les jeunes arrivent à la mission locale, ils ont souvent une idée très précise du métier qu’ils veulent exercer. Comme Fabienne, 17 ans, qui veut devenir éducatrice pour jeunes enfants, à défaut d’être éducatrice canin. « Je vis dans un foyer alors je n’ai pas le droit d’avoir un chien. »

    Vincent, petites lunettes sur le nez, souhaite, lui, « être conducteur d’engins depuis le collège », c’est-à-dire manier des pelleteuses, des grues et autres chariots élévateurs. Fatoumata, 22 ans, croit elle avoir trouvé sa voix dans le métier de vendeuse. La jeune fille au look très coquet vient de terminer un stage de 15 jours dans une boutique de fringues pour femmes à l’Agora d’Évry, le super-mall du coin. Une expérience qui lui « beaucoup plu ».

    Stéréotypes

    Karim et Stéphanie de la Mission Locale

    karim-stephanie_0.jpg

    « Le projet classique pour les garçons c’est l’animation ou la logistique. Pour les filles c’est de la petite enfance », chambre gentiment Karim, qui travaille dans l’insertion des jeunes depuis plus de 5 ans. Stéphanie, travailleuse sociale depuis 12 ans, est intarissable quand on lui demande les « dreamjobs » qui reviennent le plus souvent chez ses ouailles :

    « Il y a aussi tout ce qui est secrétariat. Ils se disent c’est un boulot qui n’est pas trop physique, avec des horaires administratifs. Et puis travailler dans un bureau c’est valorisant. Ils regardent aussi les perspectives d’évolution : être assistante de secrétariat pour peut-être après monter plus haut. »

    Karim explique :

    « Faut pas oublier qu’ils sont sortis du cycle scolaire, en échec, ils n’ont pas beaucoup de choix. Ils s’attachent à des images, à des représentations. »

    Sauf que …

    Les jeunes ont souvent une connaissance aussi maigre que Snoop Dogg de ces jobs auxquels ils aspirent tant. Cariste ? « Ils croient que c’est facile ! T’es sur ta petite voiture et tu conduis ! Sauf que quand on entre dans le vif du sujet, ils se rendent compte que ce n’est pas comme ça ! » remarque Stéphanie. Karim ajoute : « Ou alors ils arrivent en se disant : “la logistique c’est génial ! Y’a du boulot quand on veut !” Sauf que c’est physique et difficile. Leurs copains qui ont fait ce travail ne leur ont pas dit les choses négatives. »

    Autre écueil : travailler comme secrétaire, surveillant, hôtesse d’accueil ou dans la grande distribution ce n’est pas aussi simple que ça quand on a arrêté l’école trop jeune. « On demande de plus en plus de qualifications : le permis de conduire pour la manutention, un bac + 2 pour garder des enfants, parler anglais pour être hôtesse … » Stéphanie en profite pour casser le mythe de l’aéroport d’Orly voisin – « une tour d’ivoire » pour les jeunes en galère d’emploi :

    « L’aéroport c’est compliqué : faut parler anglais. Et surtout il ne faut pas avoir de casier judiciaire. Non seulement pour soi mais aussi au niveau familial. »

    Espoirs

    «Les gens qui sont en face de moi j'ai tellement honte de les regarder que je me renferme sur moi-même» Fatoumata

    Fatoumata, 22 ans, a traversé une grave dépression après le décès de sa mère il y a 2 ans : « J’étais bloquée, déprimée. Je me suis renfermée sur moi-même, il n’y avait rien qui m’intéressait, je ne voulais même plus sortir. » La jolie jeune fille souffre aussi d’un très léger handicap mental, elle raconte sa pénible expérience dans la restauration :

    « Quand on me dit une chose, je peux retenir. Mais dès que j’arrive dans la cuisine je suis perturbée. Je ne sais plus ce qu’on m’a dit, ce qu’on m’a envoyée chercher. Alors je dois redemander et la personne voit qu’il y a un problème avec ma tête… »

    Fatoumata a rejoint la mission locale pour aller de l’avant. Avec comme espoir de trouver un emploi de vendeuse – « parce que le contact avec les gens ça me plait. » Et un objectif : vivre dans son propre studio.

    Clash

    Karim a accompagné Fatoumata pendant ses entretiens d’embauche. Elle a réussi à décrocher un stage de vendeuse de 15 jours dans la boutique Armand Thiery de l’Agora d’Evry. Mais le conseiller emploi de la mission locale de Juvisy a quand même des doutes quant à son adaptation :

    « Le projet de vente est un peu compliqué pour elle, à cause de l’autonomie. Nous allons travailler sur un projet plus adapté pour elle. »

    Fatoumata, 22 ans veut être vendeuse

    fatoumata.jpg

    La jeune fille raconte : « je n’arrive pas à regarder l’employeur dans les yeux. Les gens qui sont en face de moi j’ai tellement honte de les regarder que je me renferme sur moi-même, que je ne dis plus rien … »

    L’équipe de la mission locale veut réorienter la jeune fille vers « les métiers de la restauration, du conditionnement et du linge. » Sauf que Fatoumata ne l’entend pas de cette oreille :

    « Je vais continuer à donner mes CV. Comme je veux travailler dans la vente, je vais faire mes démarches de mon côté. Moi c’est vraiment la vente. Si je fais la formation et que je me re-retrouve dans la restauration … »

    Frustration

    Stéphanie a un mot d’ordre quand elle parle des jeunes de la mission locale qui visent un emploi précis :

    « Il faut les confronter à la réalité. Je dis aux jeunes : ‘‘je sais que c’est ce que tu veux, que c’est le truc de tes rêves. Tu peux t’y confronter mais comment tu vas réagir si ça ne marche pas ? Et as-tu prévu quelque chose de secours ?’‘ Il faut leur ouvrir les yeux, sinon ils restent figés dessus. Ils n’avanceront pas. »

    La coordinatrice emploi de la Mission Locale de Juvisy compte beaucoup sur le « Pop », un Parcours d’Orientation Professionnel approfondi de 2 à 6 mois. Les jeunes décrochés y font « une enquête métier », « se renseignent sur les filières d’accès », font des stages en entreprise: « À la fin ils doivent valider leur projet, dire c’est vraiment ça que je veux faire. »

    Komo 20 ans a fui le Sénégal fin 2010 parce que ses parents « voulaient qu’[elle] se marie. » « Faire la cuisine pour toute la famille, je me suis dit c’est pas ma vie », se poile aujourd’hui la frêle jeune fille. Ce qu’elle veut dans la vie « c’est être juge pour enfant ». Sauf que la demoiselle n’a que le BEP. Après un premier stage comme hôtesse dans une pizzeria, elle fait du secrétariat dans un collège. Une frustration que Stéphanie a réussi à lui faire digérer :

    « On ne dit jamais un ‘‘non’‘ définitif. ll faut qu’ils se rendent compte que s’ils y arrivent, ce ne sera pas tout de suite et qu’il faudra passer par des petites portes. »

    bqhidden. Faire la cuisine pour toute la famille, je me suis dit c’est pas ma vie

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€ 💪
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER