Nous sommes tous fous à lier. Ce matin, à 9h30, 500 mètres de queue humaine piétinent devant un bâtiment gris du boulevard Lafayette. Levées aux aurores, les premières arrivées poireautent dans le froid depuis 7h du mat’. Cernes, peau grise, emmitouflées dans de longues doudounes noires, elles s’affligent un châtiment corporel et psychologique. Le but ? Être les premières au lancement de la collection « capsule » de la maison de couture Marni, qui s’est associée pour l’occasion avec H&M. Une collection dessinée par Consuelo Castiglioni : 43 pièces colorées et des accessoires en plastique. « Je veux le collier blanc, celui à pétales épais, j’en rêve depuis un mois », raconte Sophie, 23 ans. Sa copine Madeleine, elle, « préfère le collier à pétales fins.»
Sofia Coppola herself Si elles sont si au courant, c’est que, depuis un mois, la collection a déjà fait le tour du web. Sofia Coppola a réalisé le clip de promo (463 000 vus) et les « lookbooks » fleurissent sur les blogs. A l’image de la blogueuse Balibulle, tout le monde affiche sa wish list (soit pour elle pas moins de 25 articles sur les 70 proposés)
Dans la queue, un homme aux cheveux sales et à la peau rougie par le froid tire sur sa clope, impassible devant les 30 personnes qui râlent autour de lui à cause de l’odeur de tabac. (parmi elles des asiatiques, des personnes à l’odorat sensible : souvenez-vous des masques pour la grippe H1N1). Dans le sac de l’homme à la peau rouge, bien mis en évidence, on aperçoit des carnets de croquis. Cet homme est donc styliste. La profession de styliste – au-dessus du commun des mortels en matière d’accès à la mode – serait donc elle-aussi prête à endurer les pires horreurs pour un bout de chiffon ? Oui.
Afficher H&M La Fayette sur une carte plus grande
Droit d’être belles Heureusement, les vigiles ont compris qu’il fallait éviter de laisser les gens (trop) réfléchir. Les portes s’ouvrent, la foule se jette sur les portiques. En une seconde, tous les articles sont engloutis. La petite veste à pois bleus ? Elle a disparu en moins de 10 secondes. Tous les accessoires aussi. Une demi-heure plus tard, des clientes arrivent après la bataille. « Il ne reste plus rien », soupire un vendeur. Avec ses collègues, il se presse pour remplir les portiques vides par des vêtements H&M normaux.
Sofia et Tania, deux dames de 50 ans, ont de la chance : elles sont koweïtiennes, comme la vendeuse. Elles auront droit aux articles sur les mannequins. Les autres clientes râlent :
« Et moi !! C’est degueulaaaaasse, nous aussi on a le droit d’être belles. »
Le responsable boutique met le holà : «Plus aucun article sur les mannequins ne sera donné aux clientes.» Fin des stratagèmes pour acheter les vendeuses.
La promo par Sofia Coppola
Dans les cabines, dernier endroit où on peut espérer chopper un peu du rêve dans ce chaos, une trentenaire essaie une robe à capuche en boubou africain. Ça ne lui va pas du tout. Elle se rassure : “c’est tellement confortable, je la porterai en pyjama.” Prix de la robe futur pyjama : 99 euros. Puis direction les caisses, où des montagnes d’habits s’entassent sur les comptoirs des vendeuses. A ma gauche : 423 euros. A ma droite : 416 euros. On dirait que toutes les combinaisons d’articles coûtent 400 euros. Les actionnaires vont être contents.
C’est tellement confortable, je la porterai en pyjama
Ebay Pendant ce temps, dehors, dans le froid, des femmes piétinent et trépignent. Celles qui sont arrivées les premières ressortent du magasin avec deux, trois, quatre sacs plein à craquer. Dans la queue, les autres sont furieuses de jalousie. Sophie, grande blonde de 19 ans, abandonne : “moi je rentre chez moi. Ça sert à rien, j’aurai rien.” Sous ses yeux, une quadra sort avec 6 sacs – soit toute la collection au complet (40 pièces et 30 accessoires). Elle a dû en avoir pour 2000 euros. Une heure après l’ouverture, les articles seront déjà en vente sur Ebay pour le double voire le triple du prix. Allez vérifier, la petite robe à pois bleus, vendue 149 € est en vente en ce moment pour 199 €.
Après ce grand 8 émotionnel (ennui/attente/espoir/joie/ jalousie/tristesse/déception), une question surgit dans notre esprit de femme : ces vêtements, s’ils n’étaient pas en stock limité, et filmés par Sofia Coppola, est ce qu’on les achèterait ? Sans doute pas. La crise est là, mais la collection Marni sera restée moins de 5 minutes en boutique.
bqhidden. Et moi !! C’est degueulaaaaasse, nous aussi on a le droit d’être belles
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER