Dans une de tes oeuvres, on voit des savons avec les inscriptions “Sale blanc” “Sale noir”, “Sale juif”, “ Sale arabe”, peux-tu nous en parler ?
Dans mes œuvres, j’aime bien utiliser l’humour pour parler de sujets sérieux. Donc là je parlais un peu de l’auto-ségrégation, la façon dont les gens se ségréguent eux-même. Là c’était un peu une blague, j’ai fait un savon. Je voulais prendre un dénominateur commun, quelque chose que tout le monde utilise mais le marketer pour des races différentes. Comme c’est du savon, ça lave donc le “sale”. J’en ai profité pour mettre quelques insultes et donc, il y a l’insulte, “sale blanc” “sale noir” “sale arabe” “sale juif”, un savon pour chacun. Ce qui est marrant c’est que les gens me disaient “Ah c’est bien cette œuvre” mais ils avaient pointé pour eux. Un tunisien m’a dit, par contre, sale arabe c’est pas cool. Il n’avait pas vu pour les autres. C’est ce coté auto- ségrégation, que je trouvais marrant
Dans tes œuvres, les questions d’identité sont très présentes et en filigrane apparaissent des rapports de dominé-dominant, je pense notamment à un tableau où l’on voit un jeune noir se faire contrôler par la police
Cela traduit un peu la dynamique dans laquelle on a grandi, une dynamique qui existe depuis l’esclavage, la colonisation. Maintenant, je pense que les gens luttent contre ça, noirs et blancs d’ailleurs, tous, européens et afro-descendants pour qu’il n’y ait pas ce rapport là. Mais c’est vrai qu’il y a un combat pour les afro-descendants et les personnes dont les parents viennent d’ex-colonies et qui sont tout autant français que les autres. C’est vrai que moi-même je l’ai vécu, de part le racisme, la brutalité policière, la discrimination… Ce sont des anecdotes, mais qui sont assez insupportables et dont il faut parler.
Qui es-tu Alexis Peskine ?
Alexis Peskine est né le 29 septembre 1979. Cet artiste plasticien place l’identité au cœur de sa réflexion. De ses origines multiples, un père franco-russe, une mère afro-brésilienne, un grand père rescapé de l’holocauste, il puise un esprit tolérant, curieux et ouvert aux autres cultures. Elevé dans une famille porté sur l’art, il se dirige dans un premier temps vers un CFA des Arts graphiques. Repéré pour faire le Nike Camp en 1997, il part aux Etats-Unis faire du basket en sport-études. Arrivé à l’université, il étudie l’art ,et décide de s’y concasser à 100 pour 100.Tes oeuvres sont-elles une manière de dénoncer ?
Plus que dénoncer, je veux apporter de la réflexion. Je propose un thème, mais pas de façon fermée. Je veux que les gens se rendent compte de certains aspects sociaux et qu’ils apportent eux même leurs réflexions à ces questions.
Un autre thème revient dans tes oeuvres, celui de l’histoire des noirs, d’où te vient cet intérêt?
Cela m’intéresse pour plusieurs raisons, peut-être un peu par mon vécu. J’ai des origines diverses mais c’est vrai que quand une partie de ce qui forme sa propre culture, de ce qui forme sa propre identité est attaquée, en général on a tendance à s’intéresser à cette partie. Peut-être aussi parce que j’ai fait des études dans une université noire aux États-Unis. Pour remettre dans le contexte, aux États-Unis, les noirs n’avaient pas le droit d’étudier donc il y a eu des écoles spécifiquement pour les noirs. Mais maintenant qu’on soit en France, ou aux Etats-Unis, une grande partie de l’histoire est omise et seuls ces centres culturels apprennent l’histoire des peuples noirs.
Tu donnes l’impression de vouloir réhabiliter les choses, de te faire un peu professeur en voulant amener les gens à travers tes œuvres vers des sujets dont on parle peu
Mon travail est peut-être une réaction à l’ignorance, je pense que l’on réagit tous un peu différemment par rapport à l’ignorance. Y’en a qui peuvent se braquer, être encore plus véner et être agressif. Quand j’apprends des choses, j’aime bien en parler et que les gens comprennent mon point de vue. C’est ma façon de lutter contre l’ignorance, les stéréotypes, les clichés qu’on voit en abondance dans notre société et à tous les niveaux même dans les classes de gens éduqués, ayant fait beaucoup d’études, ayant beaucoup voyagé, et qui peuvent parfois être très ignorants.
Où voir l’expo ?
Alexis Peskine sera exposé du 12 au 19 mars 2011 à l’Adam Studio, 47 bvd Sébastopol, Métro Rambuteau.
Parle moi du cheminement de ton cerveau jusqu’à cette œuvre, Nettoyage éthnique, accroché au mur ?
Nettoyage éthnique, c’est une œuvre que j’avais fait par rapport à un sujet qui m’attriste: celui du blanchiment de la peau, ou plutôt l’éclaircissement de la peau, parce que pour la plupart ces femmes ne veulent pas être blanches, elles veulent être claires. Déjà au niveau sanitaire c’est horrible, et puis esthétiquement, la peau noire c’est quelque chose de très beau, surtout les peaux bien foncés qui absorbent bien la lumière. On voit que c’est quand même une personne au complexe apparent, un manque d’amour de ce qu’on est, un rejet de sa propre identité, après si c’est juste ça c’est pas grave, des gens peuvent aspirer à être autre chose mais bon ça c’est quand même quelque chose de très destructeur et moi c’est ça qui me dérange. J’en ai parlé d’une manière un peu cynique, en utilisant des icônes que tout le monde reconnait. J’ai réfléchi: “blanchiment”, “éclaircissement”…les produits sont un peu toxiques, je suis donc passé par M. Propre, car certaines vont jusqu’à se mettre de l’eau de javel sur la peau. Sur le deuxième tableau qui parle de ce sujet, je vais encore plus loin. On y voit une femme nue et M. Propre lui envoie de l’eau de javel car je voulais que les tâches touchent son corps.
Les clous sont un élément central dans ton travail pourquoi ?
Les clous pour moi c’est un idiome, c’est devenu une langue visuelle que j’ai développé, qui représente la transcendance. Les clous, c’est quelque chose qui heurte et en même temps, c’est quelque chose que l’on utilise pour bâtir des choses. Les clous c’est un peu ce courant de pensée que j’ai développé et que j’ai appelé le Négrifique: Prendre quelque chose de banal et le transformer en quelque chose de beau. La créativité vient du manque, et beaucoup de peuples qui sont en manque de certaines choses ont cette créativité. On voit ça un peu partout dans le monde: En Afrique, les gens se débrouillent pour réussir à faire quelque chose de beau avec peu de choses. C’est un peu une métaphore, c’est pour ça que souvent sur ces clous je mets de la feuille d’or. C’est pour montrer que par exemple avec des patates on peut faire de l’alcool.
Quand une partie de ce qui forme sa propre identité est attaquée, en général on a tendance à s’y intéresser
Pour finir tu as dit: “On peut très bien s’imprégner à la fois de la culture KFC, de la culture hip-hop et de la culture musée…”?
Oui, quand on voit la culture pop, ce sont des choses que l’on voit dans les musées mais qui viennent de la rue. L’art ne doit pas être élitiste mais on voit beaucoup de formes d’art, beaucoup d’artistes qui le sont. Pour moi ce qui est intéressant c’est que le plus de gens possible s’intéressent à ces œuvres parce que quand j’exprime quelque chose ce n’est pas pour l’exprimer à une poignée de personnes qui sont informées et instruites par rapport à l’art. Les gens qui voient mes œuvres m’apportent quelque chose et m’imprègnent. Quand j’ai exposé au Fesman (Festival Mondial des Arts Nègres ndlr), il y a avait un public informé, des critiques d’arts mais aussi des soldats, des enfants, cela m’a touché, les gens venaient, posaient des questions, se prenaient en photo devant et interagissaient avec les œuvres. Voir des gens que l’on ne verrait pas forcément dans un musée s’intéresser à une œuvre, c’est ça qui m’intéresse. Pour moi l’Art c’est quelque chose qui vient d’un endroit très particulier, très interne dans un recoin intime d’un être et qui va venir se loger dans un coin intime d’un autre être.
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