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    24/02/2012

    A l'Ange Bleu, pédophiles et victimes partagent un café pour une thérapie

    « Quand des pédophiles ont pleuré en écoutant mon histoire cela a été une forme de reconnaissance »

    Par Anais Moutot

    Sur StreetPress Didier, pédophile condamné en 2007, se souvient de «la claque énorme» qu'il a reçue quand une victime d'abus lui a raconté son histoire. Latifa Bennari les fait se rencontrer pour «qu'ils se reconstruisent» ensemble.

    Il est 23h passé mais la voix au bout du fil semble ne jamais être fatiguée. Latifa Bennari a l’habitude. Tous les jours, elle assure seule l’écoute téléphonique des pédophiles dans le cadre de son association L’Ange Bleu , créée en 1998.

    Seule association en France à proposer d’aider aussi bien les victimes d’abus sexuel que les pédophiles, Latifa Bennari cherche à prévenir le premier passage à l’acte des personnes attirées sexuellement par les enfants, à contrecourant des politiques et des discours centrés sur la prévention de la récidive. Elle milite pour que la terminologie en usage change, contestant la définition courante d’un pédophile comme personne abusant sexuellement des enfants pour lui préférer celle de personne attirée sexuellement par les enfants. A travers cette redéfinition, elle souhaite mettre la lumière sur l’existence de nombreux pédophiles abstinents, n’ayant jamais abusé sexuellement d’enfants mais attirés par eux dans un cadre fantasmatique souvent lié à internet. « Tous les pédophiles ne sont pas des criminels », insiste Latifa Bennari. « Une fois qu’ils ferment l’ordinateur, ils n’ont souvent aucun désir pour les enfants ».

    Virtual insanity Didier*, la quarantaine, est l’un d’entre eux. Condamné en 2007 à 6 mois de prison avec sursis pour consommation d’images pédopornographiques, sa pédophilie est née au début des années 2000 avec internet et s’arrête pour lui à son écran. « Je n’ai pas jamais eu d’attirance physique dans la vraie vie pour les enfants, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Quand je vois une jeune fille dans la rue, je n’ai aucune envie de lui sauter dessus. C’est la relation à l’image qui m’excite », explique-t-il. Les juges ont d’ailleurs décidé de le laisser continuer d’exercer son métier de professeur au collège.

    « Je n’ai pas sombré dans la pédophilie du jour au lendemain, ça a été quelque chose de progressif, de lent, d’insidieux », raconte Didier. Consommateur banal de pornographie sur internet, il tombe sur des images de sexes épilés, qui le conduisent peu à peu vers des photos de sexes d’enfants.

    « J’avais des limites morales, comme tout le monde, puis je les ai repoussées en cherchant des images et des films de plus en plus horribles. »

    L’internet libre du début des années 2000 le fait chuter encore plus vite: « A l’époque, c’était d’une facilité saisissante, on pouvait simplement payer avec sa carte bleue pour accéder à ce genre d’images ». Puis l’engrenage autodestructeur s’emballe : « Plus je téléchargeais, plus je me sentais coupable, et plus je me sentais mal, plus je téléchargeais ».

    Pour Didier, internet devient un « refuge, un monde de fantasmes » vers lequel il se tourne dès que la réalité lui déplaît », qu’il se sent stressé ou agressé. Il développe des comportements obsessionnels : tel un « collectionneur de timbres », il passe des heures à archiver et classer des images et, surtout, à chercher celles qu’il n’a pas encore. « C’était devenu complètement ubuesque. Je me suis fait manger par mon obsession », raconte-t-il.

    La justice ne peut pas se substituer à ce type de démarche car le monde judiciaire c’est le cadre du conflit

    Je n’ai pas jamais eu d’attirance physique dans la vraie vie pour les enfants

    A qui en parler ? « Le problème pour ces gens-là, c’est qu’ils ne peuvent pas parler de cette attirance, et c’est parce qu’ils ne peuvent pas en parler, qu’ils risquent un jour de passer à l’acte », explique le psychanalyste Jean-Michel Louka. Pas de SOS possible, de numéro vert disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 mais la machine judiciaire qui s’abat presque toujours sur eux.

    Jean-Michel Louka est l’un des deux seuls psys sur Paris à accepter de recevoir des pédophiles abstinents à son cabinet. Il traite une dizaine de pédophiles, presque tous de sexe masculin, à l’exception d’une femme. Il dresse un profil commun :

    « 90% des pédophiles ont subi un abus sexuel. Ils sont fixés à cette scène. D’ailleurs, les pédophiles qui passent à l’acte le font souvent sur un enfant du même âge que celui auquel ils ont été abusés.  Ce sont souvent des personnes restées enfants, totalement immatures au niveau de la sexualité, qui ne se rendent souvent pas compte de ce qu’ils font, loin de l’image du pervers pédophile monstrueux véhiculée dans les médias et les discours populaires. »

    Didier a été abusé sexuellement dans son enfance et a reçu une éducation très violente de la part de son père. Pour lui, son passage de la pornographie classique à la pornographie pédophile relève de cette « recherche de la sanction, de la confrontation avec l’autorité », à laquelle il était habitué jeune. « Tout le monde sait qu’on va se faire avoir par la police en téléchargeant, mais cela ne nous empêche pas d’y aller, au contraire ».

    Comme la majorité des autres pédophiles, Didier n’a jamais parlé de l’abus sexuel qu’il a vécu dans l’enfance et encore moins suivi de psychothérapie ou de psychanalyse. « Je n’étais pas habitué à recevoir de l’aide ni à en demander », dit-il simplement. « C’est le passage en garde à vue qui m’a conduit à contacter L’Ange bleu. Quand j’ai vu que les policiers me considéraient comme un violeur, j’ai réagi : je ne voulais pas être ce type là. » Latifa lui propose au bout de quelques mails de venir assister à « un groupe de parole mixte», où se rencontrent pédophiles et victimes d’abus sexuel.

    Le problème pour ces gens-là, c’est qu’ils ne peuvent pas parler de cette attirance

    Je n’en revenais pas que des victimes puissent venir me parler, à moi, le pédophile

    Rencontrer « ses abuseurs » Parmi les 50 à 300 appels par mois que reçoit en moyenne l’association l’Ange bleu, les deux tiers proviennent de victimes ou de familles de victimes. « Nous récupérons les déçus des autres associations qui n’ont pas su offrir aux victimes de véritables moyens pour dépasser leur souffrance et se reconstruire », explique Latifa.

    « Lorsqu’une victime fait la démarche d’aller à ces rencontres avec des pédophiles, c’est un peu la carte de la dernière chance. »

    Sylvie est l’une de ces victimes, au parcours jalonné des clichés de l’enfance malheureuse : placée en famille d’accueil à l’âge de 2 ans, abusée par un voisin entre l’âge de 6 et 10 ans, récupérée par sa mère biologique à l’adolescence, violée par l’oncle de sa mère à 14 ans. Alors qu’elle veut amener « les pyjamas troués à l’entre-jambes avec traces de sperme » de son grand-oncle à la police, sa mère lui fait du chantage au suicide. Elle se tait pendant très longtemps, jusqu’à son premier groupe de parole en février 2010. Devant ces pédophiles et ces victimes, elle « déballe son histoire pour la première fois ».

    « Je ne m’étais pas sentie en confiance avec les psys. Le fait d’entendre les témoignages des uns et des autres, de ressentir la souffrance de chacun, m’a énormément aidé à vider mon sac ».

    C’est parce que L’Ange Bleu était la seule association à proposer de rencontrer des pédophiles que Sylvie s’est tournée vers Latifa. « Mes anciens abuseurs étaient décédés, je voulais rencontrer des pédophiles pour comprendre, pour poser les questions que je ne pouvais plus poser à mes agresseurs. Ceux que j’ai rencontrés avaient des profils très différents des abuseurs que j’avais connus. Mais quand certains d’entre eux ont pleuré en écoutant mon histoire, cela a été une forme de reconnaissance de la souffrance que j’avais subie remplaçant le déni de mon propre agresseur. »

    Didier parle lui « d’une claque énorme, d’une grande douche». « Je n’en revenais pas que des victimes puissent venir me parler, à moi, le pédophile. » Le groupe de parole lui permet surtout de parler pour la première fois de son propre statut de victime d’abus sexuel. « Je préférais toujours parler de moi en tant qu’auteur, en tant que pédophile. C’est en écoutant les autres victimes que j’ai été renvoyé à ce qui m’était arrivé enfant, à mon image de victime, et face à cette image, on n’a pas envie de faire ça aux autres. »

    Le fait d’entendre les témoignages des uns et des autres, de ressentir la souffrance de chacun, m’a énormément aidé à vider mon sac

    Un modèle jusqu’au Maroc Pour Latifa, « la justice ne peut pas se substituer à ce type de démarche car le monde judiciaire, c’est le cadre du conflit, de la haine, de la violence ». La pimpante quinquagénaire organise ces rencontres à Paris une à deux fois par mois, le temps d’une longue après-midi, autour d’un café et de petits gâteaux dans une ambiance qu’elle veut conviviale. Elle choisit toujours un lieu non institutionnel, souvent le restaurant d’un ami mais parfois aussi le sous-sol de sa maison, « quand mon mari n’est pas là ! », rigole-t-elle.

    Elle accepte que des professionnels du monde médical ou judiciaire soient présents à condition qu’ils ne parlent pas, sinon « le groupe ne fonctionne pas du tout de la même manière. L’ambiance se tend, les pédophiles se sentent jugés. Ça fausse la spontanéité et le naturel ». Didier a en effet fait l’expérience d’un groupe de parole coordonné par un psychiatre à Orléans et n’est pas convaincu des effets bénéfiques. « Dans le groupe de Latifa, il n’y a pas de jugement, mais beaucoup de franchise, on s’écoute et on s’autocritique, sans agressivité. A Orléans, les psys s’écoutent parler et ils coupent les cheveux en quatre en intellectualisant trop». Mais Didier est heureux de savoir que parfois des avocats ou des psychiatres assistent aux rencontres organisées à Paris. « Il y a même déjà eu un ou deux procureurs », dit-il, enthousiaste.

    Comme lui, Latifa a bon espoir que le regard de la société sur la pédophile puisse changer dans les années à venir. Une quinzaine de groupes d’étude l’ont interrogée en 2011, elle était invitée récemment par la brigade des mineurs de Versailles, bientôt par le centre d’études et d’action sociale du Var et par la ministre marocaine du développement social, de la famille et de la solidarité Nouzha Skalli. « Je peux mourir tranquille », dit-elle en rigolant.

    *Didier ne s’appelle pas Didier

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