Ils n’ont pas fait ça toute leur vie, une dizaine d’années tout au plus. Il y a Rachid, le timide, Elisabeth, la blonde souriante, Hacik, le schtroumpf à lunettes. Les trois ont un accent d’ailleurs et un âge avancé. Kiosquier, c’est le métier de la dernière chance pour « ceux qui ne trouvent malheureusement pas de travail », nous explique l’un d’entre eux. Premières victimes de la crise de la presse, ils ressentent à l’échelle humaine la baisse du lectorat. En 2010, la vente des titres en kiosque a chuté de 11% et 300 points de vente ont disparu au cours de la même année. Hacik, kiosquier depuis 14 ans, nous raconte : « à l’époque, on attendait un ou deux ans pour avoir un kiosque, maintenant il y a beaucoup de kiosques mais plus personne n’en veut ».
Grève La presse magazine s’en sort mieux que les quotidiens. « Heureusement » soupire Hacik. Seulement, en décembre, 1.200 points de vente de Paris et d’Île-de-France ont vu la livraison des magazines retardée d’au moins trois semaines. Le Syndicat du livre et de la communication écrite (SGLCE) a lancé une grève à Presstalis , le premier distributeur de presse français, pour protester contre le projet de restructuration de sa filiale parisienne, structurellement déficitaire, la Société de presse Paris service (SPPS).
Conséquences pour les kiosquiers: perte de chiffre d’affaires et perte de clientèle. « Certains clients se sont tournés vers Internet ou bien ont pris un abonnement », nous explique Hacik. Aujourd’hui encore les kiosquiers se retrouvent avec des masses d’invendus non repris. Elisabeth tient un kiosque étroit dans lequel il est difficile de contenir autant de stock.
Aide à la presse Forcément quand on leur parle de l‘« aide exceptionnelle aux diffuseurs » promise par Frédéric Mitterrand lors de ses vœux à la presse du 25 janvier, ils sont sceptiques. « 10 millions d’euros ?» Rachid, kiosquier depuis 4 ans, est le plus au courant « avec ce montant là il devrait y avoir près de deux mille euros par kiosquier ». Insuffisant selon lui. « Ca nous aiderait » reconnaît Hacik. « S’il n’y a pas d’autres crises… », précise Elisabeth, kiosquière depuis dix ans.
Le ministre de la culture n’est pas le seul à avoir réagi. Bertrand Delanoë, le maire de Paris, a annoncé qu’il verserait 200.000 euros aux diffuseurs de la capitale. Pour le moment, nos trois kiosquiers n’en n’ont pas vu la couleur.
S’il y a une seule personne qui travaille dans la famille, c’est catastrophique
Concurrence Plus réactive: Médiakiosk, société de gestion des kiosques de presse, a avancé 400.000 euros d’aides prévues en principe pour février. Depuis 2005, cette société est chargée de renforcer le réseau dans le cadre d’une Délégation de service public, confiée par la ville de Paris.
Les Messageries de presse lyonnaises, concurrentes directes de Presstalis, avaient choisi d’aider les diffuseurs en reportant des échéances de paiement. Profitant de la situation pour dénoncer des « comportements mettant en danger l’ensemble du secteur » et tirer sur son concurrent. Actuellement, elles proposent de revoir les contrats des diffuseurs, notamment en matière de rémunération.
Presstalis s’est aussi décidée à verser une « aide exceptionnelle » de 500.000 euros aux diffuseurs de presse parisiens, touchés par de la crise de décembre.
Pris au piège Les conséquences ne sont pas seulement matérielles. Elles sont « psychiques » : Elisabeth a eu des troubles de la mémoire durant tout le mois de décembre. Stress, incertitude : «Personne ne pouvait nous répondre ». « Trois semaines, c’est long » commente Rachid. « S’il y a une seule personne qui travaille dans la famille, c’est catastrophique » ajoute Elisabeth.
Il faut dire que les kiosquiers se sentent peu écoutés, voire pris au piège par la SPPS. Ils n’ont pas leur mot à dire dans le choix des titres et des quantités livrés. C’est la SPPS qui impose un contrat de diffuseur. Résultat : il leur arrive très souvent de recevoir en grandes quantités des magazines qui se vendent mal. Ou bien, l’inverse. Si le kiosquier voit qu’un magazine marche, il ne peut pas commander de livraisons supplémentaires. Hacik tempère : « on critique, on critique, mais ils ont les e-statistiques. On croit parfois qu’un magazine marche mais cela dépend des sujets. »
A l’époque, on attendait un ou deux ans pour avoir un kiosque, maintenant
Il reconnaît aussi que les distributeurs sont soumis aux pressions de certains éditeurs qui souhaitent faire un effet de masse. Un paquet de journaux en kiosque étant la meilleure garantie de visibilité.
Problème : ces quantités de magazines, les kiosquiers doivent les payer. La SPPS récupère ensuite les invendus et les rembourse. Les kiosquiers n’apprécient guère le système : « Ils nous prennent pour leur trésorier » ou encore « Ils se font de l’argent sur notre dos ». Jugement à nuancer : sur un journal vendu, Presstalis gagne seulement 7% du prix du journal, moins qu’un kiosquier.
Tours eiffels multicolores Selon Médiakiosk, un kiosquier gagne 21% sur les quotidiens et 22% sur le reste des publications. Ce taux a augmenté de 4 points depuis 2005. Interrogée, la direction de la communication tempère cette revalorisation en raison de la baisse des ventes : « si les taux ont évolué positivement, le revenu réel des diffuseurs est à peine stable, voire en baisse». D’autant plus que les kiosquiers sont soumis à des charges sociales lourdes, presque 50% de leur chiffre d’affaires. Rachid estime gagner 10% net par journal. Sur un Libé vendu, il gagnerait donc 14 centimes …
Le kiosque d’Elisabeth est situé dans le quartier latin. Suffisamment touristique pour qu’elle puisse vendre des bonnets « Paris » et des Tours Eiffels multicolores. Ce n’est pas le cas d’Hacik qui tient son kiosque à la sortie du métro Nation. Il a bien essayé les cartes postales mais sans succès.
Tous ces à-côtés ne sont que tolérés, alors qu’ils permettent à une profession en crise de survivre. Dans d’autres pays, les kiosquiers peuvent vendre des cigarettes ou des boissons, en France ils sont totalement dépendants des ventes de la presse. La mairie de Paris compte néanmoins autoriser les activités de vente hors presse, notamment de produits édités par la ville de Paris (cartes, guides, cartes de stationnement), voire de titres de transport RATP.
Apprentis ministres A la question : « quelles solutions proposeriez-vous si vous étiez ministre de la culture ? », Rachid et Elisabeth répondent la même chose : supprimer le monopole de la SPPS, autoriser la vente d’à-côtés, augmenter la marge du kiosquier sur un journal vendu. Elisabeth y ajoute le choix des titres et des quantités. Rachid voudrait être payé uniquement sur ce qu’il vend. Hacik, lui, ne voit de toute façon plus grand avenir dans ce métier…
Avec le montant de l’aide il devrait y avoir près de deux mille euros par kiosquier
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