En ce moment

    10/02/2012

    En hiver la bibliothèque est un précieux abri

    A Beaubourg, les SDF oublient le froid en écoutant Gold et Hendrix

    Par a/b

    A la bibliothèque du centre Pompidou «60% des gens qui viennent sont des SDF» assure Aki l'agent de sécurité. Le gus exagère sans doute mais comme Gérard, fan du groupe Gold, ils sont des dizaines à squatter la BPI depuis des années.

    Jeudi 2 février – Bibliothèque du centre Pompidou, Paris. La température extérieure avoisine les -5° et dans la file d’attente les étudiants se réchauffent comme ils peuvent en attendant de pouvoir entrer. A l’intérieur, devant une dizaine de vieux postes de télévision, un petit groupe d’hommes aux visages fatigués et vêtements usés regardent des jeux télé italiens, polonais ou turcs. Le premier étage de la bibliothèque accueille le coin télé, un des points de ralliement pour les SDF qui squattent Beaubourg pendant ce mois de février, le plus froid depuis 1986.

    « Toutes saisons ils sont là, l’été pour la fraîcheur, l’hiver pour le froid, c’est leur maison » explique, Aki, l’agent de sécurité de la bibliothèque Pompidou. Depuis 17 mois qu’il y travaille, il a eu le temps d’observer ces habitués inattendus qui viennent ici « regarder la télévision, écouter de la musique, lire ou dormir. »

    « C’est presque 60% des gens ici. C’est toujours les mêmes, s’il fait froid ils rentrent. »

    Les invisibles Au troisième étage de la bibliothèque du Centre Pompidou, Gérard, SDF, est allongé dans un coin avec ses affaires. Bonnet gris et barbe fendue d’un large sourire, il referme le livre qu’il s’apprêtait à feuilleter pour nous parler.  Ravi de pouvoir discuter, il propose d’aller sur la terrasse de la cafétéria. « Comme ça je vais fumer une cigarette. »


    Afficher Beaubourg sur une carte plus grande

    SDF depuis 20 ans, Gérard vit dans un squat du 14ème arrondissement de Paris et fait partie de l’association Don Quichotte dans laquelle il est chargé de trouver des squats pour les plus démunis. Très impliqué, il connait bien ces invisibles qui jonchent les allées de la bibliothèque:

    « Il y a de tout ici: ils viennent à l’intérieur pour le chaud; je connais une pelle d’habitués ici. Ils se mettent en réunion, ils discutent et s’amusent ensemble. »

    Lui son truc, c’est les arts au sens large « Baudelaire, Hendrix, Demis Roussos, Indochine, Gold… ». Le livre qu’il tenait entre ses mains avant que StreetPress ne le dérange était un condensé de l’œuvre du photographe Elliott Erwitt. Son titre: “Unseen” qu’on pourrait traduire par … « les invisibles. »


    L’espace télé de la BPI

    Se reposer Dans un coin discret de cette même terrasse, un autre SDF fume sa cigarette. Une roulée fumée d’une main tremblante, chaussures écorchées aux pieds, Frédéric vient ici quotidiennement depuis 2 ou 3 ans. « Ça me permet de lire. C’est bien, c’est agréable. Je remarque pas trop les SDF ». Lèvres serrées et regard franc, il prend la pause devant notre objectif. Des larmes coulent sur ses joues: « Vous êtes triste? » « Non, c’est le froid ». 

    Dans la file d’attente un homme grand, brun et plutôt bel homme. Il passerait facilement pour un doctorant s’il ne portait pas en permanence ses deux vieux cabas en plastiques qui le trahissent. Prétextant un rendez-vous, il refuse la discussion. David, SDF argentin analyse:

    « C’est normal qu’il n’ait pas voulu vous parler, vous êtes trop bien habillées pour qu’il vous accorde sa confiance. Ces gens viennent ici pour oublier leurs problèmes et parce qu’il n’ y a aucun autre endroit à Paris où on te laisse entrer sans te poser de questions quand t’es SDF. Ils se reposent. »


    Gérard qui aime Baudelaire et Gold

    De la solitude à la folie Aki, l’agent de sécurité, insiste sur la « bizarrerie » de ceux qu’il appelle « les fous ». Parmi ceux qui regardent la télévision ou lisent les journaux, certains parlent seul et ne semblent pas tenir compte de ce qui les entoure. Aki aurait-il raison? 

    « Non, ce ne sont pas des fous ! Ils parlent dans le vide parce qu’ils sont seuls » tient à souligner David.

    Arrivé en France depuis 2001, il connait bien les SDF qui viennent à la bibliothèque Pompidou, surtout les étrangers : « Ils viennent en France pour gagner leur vie mais ça se passe pas comme ça ici, c’est le système. Et ils ne peuvent pas revenir chez eux sans argent. » David a lui aussi connu la rue et les squats mais aujourd’hui il a obtenu des papiers et peut postuler à Pôle Emploi.

    « Quand je suis arrivé en France, j’étais tellement seul que je parlais tout seul dans la rue. J’ai demandé à la police de me faire déporter (sic) mais ils ont refusé et on m’a envoyé en hôpital psychiatrique. Je leur avais dit que j’étais pas fou, que je parlais seul parce que j’étais seul c’est tout. C’est la solitude. »

    C’est normal qu’il n’ait pas voulu vous parler, vous êtes trop bien habillées pour qu’il vous accorde sa confiance

    Ça me permet de lire. C’est bien, c’est agréable

    De l’autre côté « Ils viennent dire bonjour, ils papotent avec nous, ils prennent une feuille et un crayon, nous racontent leur vie ». Certains employés de la bibliothèque du centre Pompidou ont conscience du lien social que viennent chercher ici ces SDF. A l’image de cette employée qui les observe quotidiennement: « Ils peuvent regarder ce qu’ils veulent, personne ne va leur dire ‘‘tu peux pas aller là, tu peux pas faire ça’‘. Parfois la sécurité en met certains dehors s’ils sont alcoolisés ou malades psychologiquement mais ils ne dérangent pas »

    David voit même un côté positif dans ce curieux mélange entre SDF et étudiants:

    Quand un jeune voit ces SDF il prend conscience de ce que pourrait être son avenir

    « C’est bien qu’ils se retrouvent dans un même endroit. Quand un jeune voit ces SDF il prend conscience de ce que pourrait être son avenir. Il se responsabilise parce que ça peut arriver à tout le monde. »

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€ 💪
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER