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    20/03/2025

    50 femmes ont saisi la justice

    « Elle me disait de vendre mes affaires » : d’anciennes élèves d’une influenceuse Instagram portent plainte pour escroquerie

    Par Wassila Belhacine

    Sur Instagram, l’entrepreneuse « Amel se motive » donne ses conseils et vante sa formation à 3.000 euros à presque 100.000 personnes. Mais une cinquantaine d’élèves l’accusent d’escroquerie et estiment avoir été victimes de manipulation émotionnelle.

    « Depuis cette formation, je n’avance absolument pas dans la vie, je ne fais qu’y penser, c’est un véritable traumatisme », se confie Sarah (1) en un souffle. Comme 49 autres femmes, cette mère de famille accuse l’influenceuse « Amel se motive », de son vrai nom Amel Belaouinat, d’escroquerie. Suivie par plus de 90.000 personnes sur Instagram, l’entrepreneuse propose des cours de « coaching en business », grâce à une formation en ligne nommée « La Meute Academy », qui coûte la généreuse somme de 2.990 euros. Durant 90 jours de cours à distance, via des vidéos hébergées sur une plateforme en ligne et des lives, l’entrepreneuse propose à ses élèves un accompagnement dans le but de développer, ou créer, une idée de business afin de faire « exploser le plafond de verre » et « créer de la valeur ». D’après le contrat signé par les coachées, le client devrait générer un chiffre d’affaires de 3.000 euros à l’issue de la formation (2). Son contenu s’est avéré être très décevant, comme l’a révélé Le Parisien en février dernier.

    Un collectif s’est formé et a porté plainte contre X pour « escroquerie », « pratiques commerciales trompeuses » et « abus frauduleux de l’état de faiblesse ». Elles sont cinquante à avoir franchi le pas de la justice mais, derrière elles, des dizaines d’autres racontent la même désillusion. Sur Instagram, le compte Jungle Therapist, qui recueille les témoignages contre Amel Belaouinat, en aurait reçu plus d’une centaine depuis son lancement en septembre 2024. Durant cette enquête, StreetPress a recueilli le témoignages de 16 anciennes élèves, neuf plaignantes et sept qui n’ont pas passé le cap mais reprochent à Amel Belaouinat des faits similaires.

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    Les clientes s'estiment lésées après la formation d'Amel, qui semblait être créé par ChatGPT, avait révélé Le Parisien. / Crédits : Zoé Maghamès Peters

    « Réussir à partir de rien »

    Depuis ses débuts sur les réseaux sociaux en 2019, Amel Belaouinat balance ses élans, ses colères, ses passions, sa danse et surtout ses discours de motivation. À ses abonnées, elle raconte un parcours cabossé, marqué par des épreuves violentes et un divorce à encaisser. Un combat qu’elle expose sans filtre : « Je suis bien la preuve qu’un sourire peut cacher anxiété, dépression, stress et violence », raconte-t-elle dans une vidéo sur TikTok. L’influenceuse vend sa reconstruction à l’étranger et transforme son expérience en activité de coaching sur les réseaux sociaux. Sa résilience et son succès captivent ses abonnées. Parmi elles, Sarah, qui l’a suivie trois ans avant de sauter le pas et de s’inscrire à sa formation, pleine d’admiration. « Elle partait de rien et grâce à ces compétences elle est devenue libre », raconte la mère de famille. Le parcours d’Amel inspire aussi Nora (1), une autre maman qui réside en région parisienne. En cours de reconversion professionnelle, le discours de l’influence résonne chez elle :

    « Les stories d’Amel étaient très incitatives. Elle disait que la motivation pouvait nous faire réussir à partir de rien. »

    Ce récit de réussite personnelle, calqué sur le modèle américain du self-made entrepreneur, repose sur un levier redoutable : la culpabilisation. Il laisse entendre que l’échec n’est qu’une question de volonté. « On ne devait pas se laisser limiter par nos doutes et ça ne dépendait que de notre volonté de passer le cap », retrace Nora.

    Proximité ou manipulation ?

    Après un premier contact, souvent avec Amel elle-même, les futures élèves basculent entre les mains de « closeuses », des intermédiaires auto-entrepreneuses chargées de transformer l’hésitation en achat. Elles servent de pont entre Amel et les cibles à convaincre. Officiellement, leur rôle est d’accompagner la réflexion. Officieusement, selon d’anciennes élèves, elles orchestrent la seconde phase de la manipulation émotionnelle. Pression à l’achat, exploitation des failles, instrumentalisation de la religion… Tout serait bon pour conclure la vente. Sarah se souvient du premier entretien :

    « Elle avait une habileté incroyable pour me faire parler. J’ai confié des choses très intimes et pleuré devant une inconnue. Ça ne m’était jamais arrivé. »

    Myriam (1) se souvient également d’un entretien allant tout de suite sur le terrain du privé. « Je signe pour une formation et toute la discussion était orientée sur ma vie et non pas sur le contenu », se souvient-elle :

    « Elle me disait qu’Amel m’avait choisie et qu’elle avait vu en moi un grand potentiel. »

    Nisrine raconte également avoir été dupée par l’emploi d’un vocabulaire religieux islamique, la confession de la majeure partie des plaignantes et des closeuses d’Amel. Ce référentiel cultuel était, selon les femmes en colère, utilisé pour les inciter à l’acte d’achat. « Elle me disait de vendre mes affaires en me parlant de Dieu et en utilisant des formules religieuses », détaille Nisrine (1). Nora, elle, a confié à sa closeuse son envie d’effectuer dans un futur proche le hajj, le pèlerinage musulman à la Mecque. Ce voyage s’élève en moyenne à une dizaine de milliers d’euros : « Elle me disait que je pourrais me permettre de faire le pèlerinage assez rapidement grâce aux revenus générés par la formation. » « Je ne joue jamais sur la religion », a répondu Amel Belaouinat au Parisien, qui évoquait également ces faits.

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    Le bagout des closeuses d'Amel se motive s'est révélé dévastateur pour des clientes. / Crédits : Zoé Maghamès Peters

    Une autre élève raconte avoir été poussée par sa closeuse à parler de sa relation avec ses parents afin de comprendre ses « blocages vis-à-vis de la formation ». L’employée d’Amel l’aurait également incitée à consulter un kinésiologue, une technique de « rééquilibrage psychocorporelle », non reconnue par la communauté scientifique et même considérée comme une dérive sectaire par la Miviludes.

    « Abus frauduleux de l’état de faiblesse »

    Maiwelle Mezi, l’une des avocates du groupe des plaignantes, dresse parmi ses clientes le portrait de femmes en situation de détresse lors de la souscription à la formation. Leurs fragilités ont été, selon l’avocate, utilisées contre elles :

    « Des leviers autour de leur souffrance ont été activés pour les pousser à l’acte d’achat. Les stratégies utilisées posent la question d’un abus frauduleux de l’état de faiblesse. »

    Deux femmes rapportent également avoir été incitées à ne pas évoquer avec leurs époux leur inscription à la formation. « J’avais des doutes et lorsque j’ai confié à la closeuse vouloir d’abord parler de cet achat avec mon mari, elle m’a poussée à ne pas le faire, par peur qu’il m’empêche de m’inscrire », rapporte par exemple Leila (1). Inès (1), ancienne closeuse d’Amel, conteste de son côté toute forme de manipulation lors des séances téléphoniques :

    « On s’appuie effectivement sur des biais psychologiques pour les mener à l’achat mais nous ne mettons pas de couteau sous la gorge. On essaie de les challenger et de les motiver. »

    De son côté, Amel conteste toute forme de manipulation et pointe la responsabilité de ses clientes :

    « Si certaines ont eu des échanges mal interprétés avec des membres de mon équipe, elles auraient dû nous en parler immédiatement, et non pas après coup, dans le but de nourrir une polémique. »

    « J’étais à découvert »

    Le bagout de certaines closeuses s’est révélé dévastateur pour des clientes. Nisrine fait partie de celles qui ont tenté le tout pour le tout pour faire partie des élèves d’Amel. Touchée par une dépression sévère, la jeune femme s’avère également être très précaire financièrement au moment de son premier contact avec la closeuse. Cette dernière lui aurait préconisé de vendre ses affaires afin de pouvoir payer les presque 3.000 euros requis pour accéder à la formation. Convaincue par son discours, Nisrine s’exécute :

    « Elle m’a contacté plusieurs fois par semaine pour savoir où en étaient les ventes de mes vêtements, de mes meubles ou de mes bijoux. Je devais lui dire combien j’avais exactement sur mon compte. »

    Pour la convaincre, l’intermédiaire promet à Nisrine qu’elle récupérera la coquette somme via la vente de ses affaires personnelles pendant la formation, qu’elle touchera même bientôt 5.000 à 10.000 euros via la création de son activité. Elle soupire :

    « J’étais à découvert, ces montants me faisaient rêver. »

    Face à la situation de Nisrine, Amel Belaouinat conteste. « Nous dissuadons les personnes en difficulté financière de rejoindre la formation et toutes les fois où j’ai pu parler de mon programme publiquement, je précise que ce n’est pas la cible », indique-t-elle et soutient que « 80 % de [s]es clientes sont des cadres ». Inès, l’ancienne closeuse de l’influenceuse, abonde : « Nous avons pour interdiction de placer quelqu’un en difficulté financière pour qu’il puisse suivre une formation. »

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    La plupart des femmes n'ont pas discuté avec leur conjoint ou famille de leur souscription à la formation. Elles se retrouvent donc seules avec le sentiment d'avoir été escroquées. / Crédits : Zoé Maghamès Peters

    « J’ai tellement honte »

    Au cours des semaines de cours, une fois l’argent lâché, c’est la désillusion. De nombreuses femmes font part de leur désir d’arrêter ou de se faire rembourser, selon des captures d’écran auxquelles StreetPress a eu accès. Le mécontentement est tel que lors d’un sondage improvisé sur un groupe Telegram, elles sont 70 % à indiquer être insatisfaites par la formation. Sabrina (1) se souvient avoir été interrompue alors qu’elle tentait de formuler des critiques : « En plein live, j’essaie de dire que je veux arrêter et je suis virée de la discussion à l’instant même. »

    « J’ai essayé d’être remboursée mais mes demandes sont restées sans réponse. »

    Amel Belaouinat estime, elle, que toutes les exclusions, qu’elle appelle « modérations », était justifiées. Si elle n’exclut pas « les critiques constructives », elle vise certaines femmes qui « ont pu perturber l’expérience des autres participantes », et auraient ainsi « briser l’énergie du groupe ».

    « Certaines ont dépassé les limites du respect et de la bienveillance », argue l’entrepreneuse, qui tance auprès de StreetPress « certaines personnes qui ont suivi la formation en intégralité et ont tout de même récupéré leur argent » (3).

    Reste alors seulement la honte pour une grande partie de ces plaignantes. La plupart d’entre elles n’ont pas discuté avec leur conjoint ou famille de leur souscription à la formation. Elles se retrouvent donc seules avec le sentiment d’avoir été escroquées : « J’ai tellement honte que je n’arrive même pas à passer le cap de la plainte », souffle Nora.

    Afin de surmonter la douleur, le groupe compte sur la force du collectif. Ancienne cliente d’Amel, la créatrice du compte The Jungle Therapist recueille des témoignages des anciennes élèves de l’entrepreneuse : « J’ai voulu transformer ce sentiment de solitude en une force », explique-t-elle. « J’espère que des filles ne sont pas tombées dans le panneau grâce à ce compte. » Sarah trouve également du « réconfort grâce aux autres filles » :

    « On se bat pour que justice advienne. »

    (1) Le prénom a été changé.

    (2) Dans le contrat, il est écrit que « si après six mois à compter du début du programme », la personne n’atteint pas les 3.000 euros de revenu, la Meute et Amel « s’engage à poursuivre l’accompagnement personnalisé » jusqu’à ce que la personne atteigne le chiffre, avec des sessions de coachings et l’accès aux appels de groupe de la formation décriée.

    (3) Interrogée sur cette question, Amel Belaouinat n’a pas voulu communiquer le nombre exact de contestations.

    Illustrations de Zoé Maghamès Peters. Enquête de Wassila Belhacine.