La scène devient habituelle. La nuit tombée, un drone survole le quartier du centre de rétention administrative (CRA) de Marseille (13). L’arrêté préfectoral autorisant l’opération avance un risque de « jet de ballotins par-dessus les murs d’enceinte ». Ils pourraient contenir des marchandises illégales ou interdites dans le centre. Depuis le début de l’année, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône signe ce type d’arrêté une à deux fois par semaine en moyenne. Hormis le stade Vélodrome les soirs de match, aucun lieu du département n’est surveillé par drone avec une telle régularité sur cette période.
En décembre 2024 pourtant, le tribunal administratif de Marseille a tenté de freiner la pratique. Il a annulé un arrêté qui autorisait la captation par drone au-dessus du CRA pour un mois, renouvelant un précédent signé en octobre. Au tribunal, la préfecture de police a défendu les drones pour pallier la vétusté des caméras de surveillance au sol. Argument rejeté par la justice, qui a estimé que la rénovation des caméras de surveillance, moins intrusives, est possible et préférable à l’usage des drones. D’autant que le périmètre de vol comprend les habitations aux alentours sur un rayon de 200 mètres.
La surveillance continue
Mais depuis, la préfecture de police continue de faire décoller ces aéronefs en multipliant les arrêtés de quelques heures. De quoi irriter la Cimade, l’association à l’origine du recours. « La préfecture effectue un contournement de la décision de justice », soutient la responsable des questions d’expulsion, Mélanie Louis. Cette méthode complique également la possibilité de recours, selon elle :
« Le temps de saisir le juge, l’autorisation de survol est déjà finie. »
L’association a tenté tout de même une procédure d’urgence par référé en janvier, mais le tribunal administratif a donné cette fois raison à la préfecture. À 60 mètres de hauteur, les drones ne peuvent pas filmer à l’intérieur des bâtiments, avance le juge. « Encore heureux », soupire Mélanie Louis.
Même incompréhension du côté de l’ordre des avocats du barreau de Marseille, qui s’est joint à la Cimade pour les deux procédures. « Le tribunal est revenu sur sa propre jurisprudence », ironise la bâtonnière Marie-Dominique Poinso-Pourtal. La professionnelle ne comprend pas comment un tribunal qui a reconnu une atteinte aux droits des avocats en décembre peut la rejeter en janvier. « Les avocats qui sont amenés à intervenir au sein du centre de rétention se retrouvent filmés et identifiés », argumente la bâtonnière.
Une fréquence sans précédent
Un tel usage des drones pour surveiller un CRA est inédit. Jusque-là, les quelques cas d’usages étaient ponctuels et restreints à des événements inhabituels, comme pour surveiller une manifestation devant le CRA de Rennes en 2019. Par ailleurs, l’avis du Conseil constitutionnel sur la question est à priori stricte : le recours aux drones « ne peut être décidé par le préfet sans qu’il soit établi que le recours à ces dispositifs aéroportés demeure le seul moyen d’atteindre la finalité poursuivie ».
Mais difficile de savoir comment ceci est évalué. Interrogée par StreetPress, la préfecture de police se contente de rappeler qu’elle a obtenu gain de cause lors de la deuxième procédure judiciaire. Impossible de savoir sur quoi l’institution se base pour déterminer les jours de survol ou la nécessité du dispositif. Un manque de justification qui fait craindre une normalisation d’un système pensé pour être l’exception. La bâtonnière développe :
« Le recours à des aéronefs s’inscrit ainsi dans une logique de banalisation toujours plus importante de la surveillance de l’espace public, fondée sur la croyance que la sécurité passe par la surveillance. »
Les conditions de rétention en question
Face à cela, la Cimade n’abandonne pas et envisage un nouveau référé, cette fois-ci avec la Ligue des droits de l’homme. « On fait face à une volonté de carcéraliser les CRA », explique Mélanie Louis de la Cimade. « Cela instaure un climat de criminalisation des retenus. » Dans un rapport de 2023, le bâtonnier de Marseille allait jusqu’à demander la fermeture du centre face à des conditions de vie « indignes », bien loin de « l’équipement de type hôtelier », prévu par le Code du droit d’asile.
Pour rappel, les retenus sont des personnes sous obligation de quitter le territoire français, avec un profil « TOP » (trouble à l’ordre public), une notion « pas formalisée ni partagée entre les services », comme le pointait la Cour des comptes en 2024. La rétention, qui ne peut excéder 90 jours, est donc justifiée pour des raisons très diverses. La représentante de la Cimade rappelle :
« Les personnes enfermées n’y sont pas parce qu’elles sont délinquantes, mais parce qu’elles n’ont pas de papiers. »