« J’ai été recruté à la Mutuelle assurance automobile artisanale de France (MAAF) en 1987, et j’ai gravi tous les échelons jusqu’en 2022, au moment où j’ai été licencié de manière complètement abrupte », proteste Alain (1), un ancien employé. Avec plus de 35 ans d’ancienneté, le sexagénaire a été licencié pour un supposé management toxique. S’appuyant sur des procès-verbaux d’auditions non signés, la direction a invoqué la faute grave, un motif évasif et imprécis qui permet à l’entreprise de se débarrasser de ses employés ayant plusieurs années d’ancienneté, parfois de manière injustifiée. « Je suis tombé sur le cul. C’est un coup monté de toutes pièces, les managers ne deviennent pas toxique du jour au lendemain ! », dénonce-t-il. Après deux ans de démarches, le Conseil des Prud’hommes a reconnu ce licenciement comme abusif en juillet 2024. À la suite du litige, la MAAF a été condamnée à verser 340.000 euros de dommages et intérêts à l’ancien employé, et conteste désormais la décision en appel. « Rien ne tient debout, c’est un feuilleton », ironise l’ancien employé, qui n’est pas le seul à avoir été reconnu victime.
Entre 2021 et 2023, la société d’assurance mutualiste MAAF – qui fait partie du Covéa, qui comporte les entreprises GMF, MMA et Fidélia – a licencié 274 personnes. En décembre dernier, la CGT a dénoncé par ailleurs les « méthodes arbitraires et partiales utilisées par la direction pour se débarrasser des salariés […] qui la dérangent », les « sanctions disproportionnées, voire injustifiées » et « un climat de peur » au sein de l’entreprise. StreetPress a pu recueillir le témoignage de six anciens employés qui estiment avoir été licencié abusivement.
Qui peut concurrencer la MAAF ?
Les motifs les plus souvent évoqués, à savoir « inaptitudes » et « fautes graves », interrogent. « Ce qui nous a frappé lors du bilan social 2024 établi sur l’année 2023, c’est l’augmentation grandissante de licenciements pour inaptitude par rapport aux années précédentes », signale Tony Hélion, représentant CGT et juriste au sein de Covéa. S’ils représentaient moins de 23% des licenciements totaux en 2021, puis 29,5% en 2022, ils sont aujourd’hui la raison évoquée pour plus de 40% des renvois, soit près du double en deux ans. Le syndicaliste, qui a accompagné plusieurs personnes dans leur démarche de licenciement, remarque un « processus bien rodé » permettant de congédier sans raison valable les collaborateurs.
Parmi les cas avérés, Pascal Perrin a subi le même sort que son ancien collègue Alain. Ancien directeur régional d’Auvergne-Rhône Alpes avec 32 ans d’ancienneté, le soixantenaire a lui été licencié pour insuffisances professionnelles. Paradoxalement, il a pourtant présenté des résultats de services exemplaires, avec notamment des bonus de management conséquents sur 18 ans entre 2002 et 2019. Il explique :
« Lorsque j’ai demandé des explications, on m’a fait comprendre que c’était dû à mon âge. »
Si le Conseil des Prud’hommes n’a pas retenu la discrimination fondée sur l’âge, il a tout de même condamné la MAAF en janvier 2022 pour licenciement abusif et a obligé la société a versé plus de 168.000 euros à l’ancien directeur régional.
Les procédures s’enchaînent
Au-delà des cas déjà jugés de Alain et Pascal Perrin, d’autres procédures encore en cours sont intentées contre la MAAF. Interrogés, les licenciés sont toujours dans l’incompréhension face aux raisons évoquées par la direction. « Manquement aux missions managériales », « contrôles excessifs », « inconstances dans les consignes », « favoritisme », « ingérences »… Philippe, tout comme Catherine, Jean et Patrick (1), dénonce leur éviction auprès de StreetPress, et tous s’accordent à dire qu’aucun reproche ne leur a jamais été fait au long de leur carrière. « En plus de trente ans de travail à la MAAF, je n’ai jamais eu d’avertissements ou de choses de la sorte. Mais peu importe ce que j’aurais pu dire ou faire, j’étais dans l’engrenage », certifie avec résignation Philippe, convoqué à deux reprises en l’espace de trois mois pour un entretien préalable au licenciement sur deux motifs différents. Une version qui corrobore avec celle de Catherine et Jean, ce dernier assurant n’avoir « jamais fait l’objet de sanction ou de recadrage » jusqu’à son licenciement. Catherine présente même des résultats remarquables au sein de l’assureur, avec des primes de plusieurs centaines voire milliers d’euros. Elle pointe :
« Malgré tout, j’ai été licenciée pour faute grave, exactement sur les mêmes motifs que mes collègues ! »
Comme pour Alain, l’administration se contente de ressentis d’employés, sans chercher à vérifier leur véracité. « [La direction] fait des audits par derrière en descendant dans les agences, et en prenant des témoignages à charge de collaborateurs, qu’ils soient vrais ou faux, et ils nous les imputent », indique Philippe. Un schéma qui se discerne aussi dans le cas de Patrick. « Ma responsable est venue travailler toute la journée dans mon agence, sans que je sois mis au courant », s’indigne-t-il. Il aurait reçu sa lettre pour un entretien préalable au licenciement juste après cette visite. Même situation pour Catherine. « Ma supérieure a profité que je sois en réunion dans un autre siège pour passer voir mes collègues dans mon agence », rapporte celle qui a passé plus de 20 ans en agence MAAF. « Le lendemain, j’ai remarqué que leur comportement avait complètement changé. Ils étaient froids avec moi, je ne les ai pas du tout reconnus », développe-t-elle, évoquant une possible pression de la cheffe. Contactée par StreetPress, celle-ci n’a pas répondu. Jean décrit de son côté les mêmes conditions de renvoi, également avec des verbatims à charge puis la remise de la lettre redoutée.
D’après Philippe, qui a saisi dans la foulée le Défenseur des Droits :
« [La direction] licencie de manière institutionnalisée, c’est leur façon de faire. »
Ce dernier, tout comme Patrick, Catherine et Jean, n’ont pas manqué de déposer un dossier auprès des Prud’hommes.
Un plan de licenciement déguisé ?
Sur les 274 licenciements actés en trois ans, une seule personne a été reclassée au sein de Covéa. La proposition de reclassement qui s’ensuit, obligatoire dans le cadre du groupe, s’apparente aussi à une manigance. « [La hiérarchie] commence avec une question en apparence anodine, à savoir en demandant à l’employé sous quel périmètre géographique il est prêt à avoir une mobilité », explique le représentant CGT Tony Hélion. « Cela peut paraître avenant, mais c’est en réalité un piège », s’offusque-t-il avec un exemple :
« On a eu le cas au CSE, où un poste était libre à quatre kilomètres de la distance cochée par le salarié. Ils ne lui ont pas proposé, et donc le salarié s’est retrouvé à la porte. »
Pour les salariés, les raisons derrière ces renvois qui leur paraissent arbitraires restent floues. Pour Patrick, il s’agit ni plus ni moins d’un « plan de licenciement déguisé ». « J’avais un salaire assez confortable, et ça revient moins cher de prendre un jeune débutant et de le payer en bas de grille plutôt que de me garder jusqu’à la retraite », avance-t-il comme la véritable cause selon lui. En licenciant pour un motif personnel plutôt que pour des raisons économiques, les entreprises qui recourent à un plan de licenciement déguisé privent le salarié d’accompagnement avantageux (contrat de sécurisation professionnelle, congé de reclassement, indemnités de licenciement majorées…) Aussi pointé par Laurent Mortreux, ce supposé plan pourrait faire suite à la condamnation d’une autre entreprise de Covéa : MMA. Les zéros tracas zéros blabla de l’assurance ont perdu face à McDonald’s en octobre 2024, un jugement qui pourrait coûter au groupe « jusqu’à un milliard d’euros », selon les dires de l’avocat Jérôme Goy du cabinet Enthémis Avocats, rapportés par L’Argus de l’assurance.
Et ces renvois pourraient ne constituer que la partie émergée de l’iceberg, puisque ces chiffres ne prennent pas en compte celles et ceux qui auraient été poussés à démissionner comme Sylvie (1). Cette ancienne employée a dénoncé le harcèlement de la part de sa supérieure après qu’elle ait pris la défense d’une personne licenciée. « C’était une personne très dure, avec un management répressif et réglant ses comptes publiquement », se remémore-t-elle. Sollicitée autour de ces causes, la MAAF n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Illustration de Une de Jérome Sallerin.