Tribunal de Bobigny (93), 9 janvier 2025 – Il n’y a absolument personne face à la juge lorsqu’elle annonce la décision du procès de Luidji B. Ni le policier de 27 ans, ni sa victime ou leurs avocats respectifs. Comme s’il n’y avait aucune attente à la suite de cette audience. L’affaire est pourtant sérieuse. Le 6 février 2023, Luidji B. se rend avec son unité sur un point de deal dans la Cité Nouvelle, à Aulnay-sous-Bois (93). L’agent se jette alors, entre les tours HLM, à la poursuite d’un mineur consommateur : Noha (1). Sa matraque télescopique repliée en main, le policier rattrape le jeune de 16 ans et l’interpelle seul, avant d’être rejoint par ses collègues. Mais dans le véhicule qui l’amène au commissariat, Noha a la bouche en sang. Pris en charge aux urgences, les médecins constatent la perte de quatre dents, mais aussi une « fracture de l’os alvéolaire » dans lequel elles sont implantées. Des blessures sévères qui lui valent 14 jours d’interruption temporaire de travail et la poursuite des soins pendant « 999 jours ».
Jugé pour violences volontaires avec arme en décembre dernier, le gardien de la paix à la carrure imposante a finalement été relaxé par le tribunal, qui n’a pas « trouvé au dossier les éléments constitutifs de ces violences volontaires ». Dès le début du procès en décembre, l’avocat du policier, Frédéric Gabet, a bien concédé qu’il était « à l’origine des blessures mais il les estime involontaires ». Auditionné le soir-même de l’interpellation par l’inspection générale de la police nationale (IGPN), Luidji B. avait alors affirmé que c’était la tête de Noha qui avait heurté sa matraque. À la barre, le policier reconnaît désormais son implication : « Je ne peux pas l’attraper les mains dans les poches. J’ai fait un geste. Mais je n’ai pas voulu viser sa bouche », se défend-t-il. Avec une matraque télescopique apportée par ses six collègues venus le soutenir, le fonctionnaire mime le geste sur son avocat, l’attrapant par l’arrière en passant sa main portant l’arme repliée devant le visage. « Vous avez une bonne dentition, maître ? », plaisante la présidente, ce qui suscite des rires dans la salle d’audience bleutée au décor industriel.
Des difficultés pour s’alimenter et articuler
Noha, lui, ne rigole pas. Il regarde le sol. Le jeune homme, tout juste majeur, « un peu ailleurs » d’après ses parents, souffre de difficultés psychologiques depuis l’enfance. Interrogé à son tour à la barre, il s’exprime difficilement :
« J’ai senti un coup et je suis tombé entre deux voitures. Quand je me suis réveillé, j’étais dans le camion menotté, la bouche en sang. »
Mais le tribunal se questionne sur son premier signalement, envoyé le jour même sur le site de l’IGPN, dans lequel il dit avoir été frappé alors qu’il était menotté. À la barre, Noha confirme la version de sa plainte, celle d’un coup pendant la course-poursuite. « Il me courait après, il était derrière moi, c’est là que j’ai reçu un coup par derrière », répète-t-il. À nouveau, les magistrats peine à comprendre. Lui, à élaborer. Il répète encore, s’agite et mime le geste, se frappant la joue avec le poing, puis une seconde fois beaucoup plus fortement. Il ajoute :
« Je ressentais des cracs dans la bouche. »
Deux ans après les faits, il garde des difficultés pour s’alimenter et articuler. Deux dents lui sont toujours manquantes, faute de moyens pour l’opération. « Ça coûte très cher, ce n’est que partiellement remboursé », explique sa mère au téléphone. Le comportement de son fils, aussi, a changé :
« Il n’est pas bien, il a peur. »
Pas de « maladresse » dans la blessure
En décembre dernier, lors de l’audience, près de 10.000 euros ont été demandés par leur avocat, maître Younes Faher, en réparation des souffrances endurées, du déficit fonctionnel et du préjudice physique. Face à Luidji B., celui qui « n’a pas l’intention de jeter l’opprobre sur l’institution » trouve cependant les explications du policier « pas crédibles », pas plus que les autres fonctionnaires de l’unité, qui ont tous affirmé ne pas avoir vu l’interpellation : « Ils savent que s’ils racontent, ils incriminent leur collègue », fustige-t-il. Il insiste :
« J’ai dû expliquer à la victime que l’uniforme n’est pas une impunité. »
La procureure, elle, a désavoué dans son réquisitoire les poursuites initiées par son prédécesseur Loïc Pageot – parti à la retraite l’été dernier et réputé comme étant le garde-fou des forces de l’ordre en Seine-Saint-Denis : « Pas de vidéos, pas de témoins de la scène. Il nous reste les paroles de l’un contre les paroles de l’autre. Il me paraît difficile pour vous de rentrer en condamnation. » Quant au certificat médical, qui considère les lésions comme compatibles avec les violences décrites, elle rejoint le policier et son avocat, et demande une nouvelle expertise pour évaluer la comptabilité d’autres scénarios. La représentante du ministère public n’y voit pas non plus de « maladresse ou imprudence, qui constituait une faute de blessure involontaire ». Cette « histoire » ne lui semble par ailleurs « pas très compatible avec le dossier administratif » du policier, contre qui on « ne trouve aucune trace de plaintes à son encontre ». Sauf celle-ci.
Un mois plus tard, le tribunal semble avoir suivi ses demandes. À StreetPress, l’avocat de la victime a indiqué faire appel sur les intérêts civils.
(1) Le prénom a été modifié.
Illustration de Caroline Varon.
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