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    17/10/2024

    Des jeunes racontent la mort de Nahel et les violences policières qui continuent

    « Si les émeutes devaient recommencer, j’y retournerais »

    Par Vincent Marcelin

    À quelques kilomètres de Nanterre, des jeunes ayant participé aux révoltes urbaines à Bezons restent marqués par le souvenir de la mort de Nahel. Ils racontent les violences policières qu’ils vivent eux aussi.

    Bezons (95) – L’école maternelle Angela Davies est plongée dans un calme plat cette matinée de juin. Une petite flotte de poussettes vides est garée devant. Des parents attendent la sonnerie pour récupérer leur enfant. Rien ne laisse présager qu’il y a tout juste un an, à Bezons, l’asphalte du trottoir actuellement en travaux était attaqué par les flammes. Dans la nuit du 28 au 29 juin 2023, la façade en bois du groupe scolaire de Bezons a pris feu après l’incendie de plusieurs véhicules. La mort de Nahel, jeune homme de 17 ans tué lors d’un contrôle routier à Nanterre, a créé l’émoi dans la commune du Val d’Oise, située à quelques petits kilomètres du drame. Plusieurs commerces ont été la cible de pillages et le poste de police a été visé par une tentative d’incendie. Le lendemain, Élisabeth Borne, alors première ministre, s’est rendue sur place pour appeler à « éviter toute escalade ».

    « Il fallait faire comprendre que ce qui est arrivé à Nahel, ça ne se fait pas. » Clémence (1), 16 ans, a pris part aux révoltes de cet été et confie n’avoir « aucun regret ». La lycéenne passe souvent devant le poteau où s’est écrasée la voiture de Nahel, régulièrement recouvert de fleurs en hommage :

    « Aux jeunes qui passent, je leur explique ce qui s’est passé. »

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    Clémence, 16 ans, a pris part aux révoltes de cet été et confie n’avoir « aucun regret ». La lycéenne passe souvent devant le poteau où s’est écrasée la voiture de Nahel. / Crédits : StreetPress

    Le souvenir de Nahel omniprésent

    Les traces ont persisté plusieurs mois en centre-ville : les vitres brisées de la mairie ont été remplacées récemment, après avoir été longtemps recouvertes de panneaux de bois sur lesquels un graffeur local avait peint une fresque colorée représentant une Marianne sous les traits d’une héroïne Disney. Dans les esprits aussi, les événements ont laissé des souvenirs à vif. Clémence cache son menton dans la capuche de son sweat par timidité, mais aussi par émotion. « Nahel n’est pas le seul petit qui est décédé à cause de la police », témoigne-t-elle, avant de citer Sabri, jeune homme mort en mai 2020 après avoir perdu le contrôle de sa motocross à Argenteuil, ville limitrophe de Bezons. Sa famille pointe la Brigade anti-criminalité (Bac) d’Ermont (95), présente dans les environs au moment des faits. Clémence connaît la grande sœur. D’autres jeunes de Bezons ont également été marqués en mars par le décès du jeune Wanys, percuté en scooter par un véhicule de police après un refus d’obtempérer, qui a entraîné l’attaque au mortier du commissariat de La Courneuve (93).

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    Dans les esprits, les événements ont laissé des souvenirs à vif. / Crédits : CLPRESS

    Clémence s’est plusieurs fois imaginée avec le même destin que ces trois jeunes hommes. Elle a multiplié les gardes à vue pour divers délits et raconte qu’elle aurait été la cible de plusieurs violences physiques de la part de la Bac d’Argenteuil – souvent présente à Bezons et connue dans tout le Val d’Oise pour ses passages à tabac répétés :

    « La police d’Argenteuil ne te laisse pas la parole. Tu parles, ils te tapent. Je me suis déjà fait balayer, pris une claque. Ils m’ont déjà pris la tête pour la cogner contre le mur… »

    En 2021, StreetPress a récolté 42 témoignages mettant en cause la Bac d’Argenteuil pour de multiples passages à tabac, menaces de mort et de viol, insultes racistes, fausses dépositions…

    Le soir du 11 février, à 2h du matin, Younès (1), 17 ans, rentre des Champs-Élysées avec des amis. Il a emprunté la voiture de sa sœur pour célébrer la victoire de la Côte d’Ivoire à la Coupe d’Afrique des Nations. « Arrête-toi ! » Le jeune homme se retrouve nez à nez avec des agents de la Brav-M, une brigade à moto. « Un agent a crié, mais j’ai lâché le frein sans le faire exprès, c’était une boîte automatique. La voiture est partie toute seule. » Il aurait remis le frein dès qu’il s’en serait rendu compte. Mais, selon son récit, un agent a braqué son arme et ses collègues ont brisé les vitres de la voiture avec des matraques télescopiques. Une version confirmée par une vidéo publiée sur Twitter. Un coup aurait percuté le crâne du jeune homme.

    Il aurait pu être Nahel, se répète Younès. « Pendant les auditions, les agents de l’Officier de police judiciaire (OPJ) m’ont dit : “Si tu n’avais pas freiné à cette seconde-là, ils t’auraient tiré dessus”. » Après un temps, il traduit :

    « Si je n’avais pas freiné, je serais mort. J’ai réalisé que ça n’arrive pas qu’aux autres. »

    Lui aussi a pris part aux révoltes urbaines de juin 2023.

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    Des jeunes ayant participé aux révoltes urbaines à Bezons racontent les violences policières qu’ils vivent eux aussi. / Crédits : CLPRESS

    Une colère intacte

    Habitant de la résidence HLM Christophe-Colomb, surnommée « Alcatraz », à quelques mètres du commissariat de Bezons, Yassine (1) serait quotidiennement contrôlé par la police. « Tous les matins, midis, soirs… Je les croise plus que mes parents ! », s’amuse le jeune homme vêtu d’un maillot de Liverpool. S’il tient à faire la différence entre les « bons » et les « mauvais » policiers, sa colère reste intacte 12 mois après la mort de Nahel, qu’il connaissait personnellement :

    « Avec mes amis, on parle de quand il était encore là, des petits souvenirs qu’on a avec lui. Il nous manque. »

    Rayan (1), 17 ans, parle du « meurtre de Nahel ». « Si les émeutes devaient recommencer, j’y retournerais. » Il est persuadé que ce qui s’est passé à Nanterre aurait pu lui arriver à Bezons. Lui aussi a commis plusieurs délits et refus d’obtempérer :

    « Moi, les condés, j’ai la haine contre eux. Récemment, en garde à vue, ils m’ont frappé et écrasé la tête contre le sol. Il faut être fort mentalement : face à ça, on est impuissants. »

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    Rayan, 17 ans, est persuadé que ce qui s’est passé à Nanterre aurait pu lui arriver à Bezons. / Crédits : CLPRESS

    Des peines conséquentes

    Ces jeunes n’ont jamais été inquiétés par la justice depuis les révoltes. Karim, lui, a été arrêté en juin 2023 pour détention de mortiers. Le garçon de 17 ans aurait été la cible répétée de coups et d’insultes racistes de la part des policiers pendant la garde à vue :

    « Ils nous tapaient dans la cellule, ils m’ont dit : “Sale chien“, “sale arabe“, “retourne dans ton pays“. »

    Il a gardé la balle de Flash-Ball qu’il a reçue dans les jambes lors d’une des soirées de dégradation et l’a montrée à StreetPress.

    Entre juin et janvier, Karim a été soumis à un contrôle judiciaire, avec interdiction de quitter le territoire et de sortir entre 21h et 6h du matin. En novembre 2023, il dénonçait des humiliations quotidiennes au commissariat d’Argenteuil :

    « Parfois je pointe, ils ne m’ouvrent pas la porte et me font attendre pendant des heures. Mais je suis bloqué, parce que la juge m’a dit que si je ne respecte pas mon contrôle, ils me remettront en prison. »

    Il a depuis été condamné à quatre mois de détention avec sursis pour détention de mortiers. Dans l’attente d’un second jugement pour détention d’explosif, celui qui dit s’être « rangé dans le droit chemin » en travaillant dans une entreprise de plomberie, a toujours l’interdiction de quitter le territoire français.

    Soukeina Mabrouki, éducatrice à l’association Contact, promet d’accompagner Karim à son jugement. C’est ce qu’elle compte faire pour la quinzaine de Bezonnais visés par des poursuites judiciaires depuis l’été dernier :

    « Un jeune a généralement plus confiance en nous qu’en son avocat. On les aide à s’exprimer et on les soutient, peu importe qu’ils aillent en prison ou pas. »

    Soukeina Mabrouki souligne : « Des violences policières, on en voit tous les jours ». Sur les huit Bezonnais de 16 à 18 ans interrogés par StreetPress, sept témoignent avoir déjà subi des violences physiques de la part de policiers. Contactée, la Police nationale n’a pour le moment pas donné suite à nos sollicitations.

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    Les photos sont des images d’illustrations prisent par StreetPress et CLPRESS à Nanterre.

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