« À 19 ans, on commence à vivre. On lui a retiré sa jeunesse », se désole Aarthy (1), ingénieure francilienne de 31 ans. Son cousin Richy est plongé dans un coma artificiel depuis un mois à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, à Paris. Le 1er juillet 2024, à 5h du matin, dans le cossu 6ème arrondissement de la capitale, il est entré en collision avec la moto d’un policier. Il souffre d’un traumatisme crânien sévère, d’une infection pulmonaire et de nombreuses fractures aux jambes. Son pronostic vital est engagé. L’agent de police serait également blessé et aurait « plusieurs fractures », précise le parquet.
La famille a déposé deux plaintes pour mise en danger de la vie d’autrui et omission de porter secours par personne dépositaire de l’autorité publique. La première a été déposée auprès du tribunal judiciaire de Paris et la seconde auprès de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices.
En service ou pas : deux versions s’opposent
« Richy a été heurté par un policier motocycliste qui roulait à une vitesse manifestement très excessive », déclare Henri Braun, l’avocat de la famille, dans la première plainte envoyée le 9 juillet 2024. Le croisement entre la rue de Buci et le boulevard Saint-Germain est une zone limitée à 30 km/h. D’après les informations recueillies par la famille, notamment auprès des témoins sur place, les policiers roulaient bien sans gyrophare ni sirène. Un des témoins travaillait au Mabillon, le bar en face duquel a eu lieu l’accident. L’homme aurait dit à Aarthy que le policier « allait plus vite que 100 km/h ». Auprès de StreetPress, l’employé de la brasserie confirme avoir décrit ce qu’il a vu à la cousine de l’accidenté, ainsi qu’à la police, mais ne souhaite pas s’exprimer davantage.
« On est face au problème de la police qui fait n’importe quoi et se croit tout permis. Ce sont les policiers qui mettent les contraventions et eux-mêmes peuvent ne pas respecter le code de la route en toute impunité ! », tonne Henri Braun. Contacté par StreetPress, le parquet nous a donné une version dont la famille n’a jamais eu connaissance : le policier était dans ses horaires de travail. « Deux motards de la police nationale, en service, ont franchi une intersection au feu vert, et le deuxième est entré en collision avec un cycliste ayant franchi un feu rouge », affirme la juridiction. À ce stade de l’enquête, le parquet ne peut cependant affirmer que gyrophare et sirène étaient bien allumés, comme l’impose la règle en cas d’intervention justifiant un excès de vitesse. « Un certain nombre de points font l’objet de vérifications », explique-t-il.
En apprenant cette nouvelle version, Aarthy est sous le choc :
« Ils ne nous ont jamais dit ça ! Depuis un mois, la police nous dit que l’agent était en fin de service et sans gyrophare. »
« Je déplore que le parquet n’ait pas répondu à mes demandes d’informations. Si le policier était en service, cela signifie que c’est bien la police qui est en cause et que l’IGPN doit enquêter sur cette affaire », complète Maître Henri Braun.
À quelle vitesse roulait le policier ?
Depuis le drame, les parents de Richy vivent dans le flou. L’étudiant en économie à La Sorbonne habite chez ses parents dans le 20ème arrondissement de Paris. Le lundi 1er juillet, vers 15h, sans nouvelle de son plus jeune fils qui aurait dû rentrer de son travail saisonnier, Rehaa (1) appelle Richy à plusieurs reprises. Jusqu’à ce qu’un médecin de l’AP-HP décroche pour lui annoncer son hospitalisation. La maman a du mal à trouver le sommeil depuis qu’elle a vu son cadet défiguré et recouvert de bandage. Questionnés, les soignants auraient répondu aux parents que le véhicule motorisé devait probablement rouler entre 90 et 100km/h.
Ce n’est que le lendemain de l’accident, au bout de vingt minutes d’audition au commissariat, que la famille apprend que Richy a été percuté par un fonctionnaire de police. « Ils nous ont tout de suite demandé si on était Pakistanais puis si Richy avait l’habitude de griller des feux rouges ou de consommer des stupéfiants », se souvient sa mère, comptable Franco-sri-lankaise de 49 ans. L’agent de police aurait fini par expliquer que le motard policier allait tellement vite que le vélo s’est plié en deux.
« Ils ont massacré mon fils », s’émeut Raayan (1), le père de Richy, chauffeur de métier. Pour ce réfugié tamoul arrivé en France en 1989 pendant la guerre civile au Sri Lanka, ce qu’il s’est passé « n’est pas normal » :
« S’ils roulaient à 30 km/h, il n’aurait pas eu ça. Un accident en ville doit être léger, pas comme sur l’autoroute. »
« J’ai toujours aimé ce pays parce qu’il nous a accueilli, mais depuis l’accident, je ne comprends rien », regrette le papa.
Les vidéos pourraient permettre de mettre en lumière la vérité. Quand la famille a demandé à voir les images, la policière aurait répondu qu’il était préférable qu’ils ne les visionnent pas pour ne pas être traumatisés. Les images de vidéosurveillance ont été versées au dossier et, selon le parquet, une expertise du Vélib’ et de la moto est en cours « afin de faire préciser la vitesse à laquelle ils circulaient ».
(1) Les prénoms ont été changés.
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