« Éternels polluants, tellement puissants, Pfas toxiques, on est toute une clique. Encore là dans 100.000 ans à moins qu’une loi passe, mais pour ça faudrait que ça se sache. » Lunettes de soleil, gants noirs et foulards multicolores, Rachel et Mathilde dansent sur le tube mondial Toxic de Britney Spears. Les paroles revisitées pour l’occasion, sont chantées par Hélène. (1) Diffusée sur la page Instagram du collectif Planète Boum Boum (PBB), la vidéo est visionnée plus d’un million de fois et atteint les 40.000 likes. Elle participe à une stratégie d’influenceurs écolos d’interpeller massivement le public à la veille de l’examen par les députés de la proposition de loi à l’Assemblée visant à interdire l’usage des polluants éternels, les Pfas. Avec un certain succès : la loi passe avec les voix de la majorité, malgré un avis gouvernemental peu favorable.
La chanson Pfas de Planète Boum Boum s’inscrit plus largement dans leur activisme depuis un an, avec des pastilles sur le fret ferroviaire, les retraites, les pesticides ou encore le climat. Le collectif est issu du mouvement citoyen Action Justice Climat (AJC) – ex-Alternatiba Paris –, dont les neuf membres du collectif font partie. Il y a Mathilde, alias MC danse pour le climat, qui s’est fait connaître par ses danses sur de la techno dans les manifs contre la réforme des retraites. Son compère Rémi, aussi DJ de manif ou le porte-parole d’AJC Sasha Arfeuille. D’autres sont des invités récurrents des vidéos de Planète Boum Boum, comme Gaetan Gabriele, créateur de contenu écolo suivis par 240.000 followers et au bonnet noir vissé sur la tête, ou Charles Merlin, vulgarisateur de contenus sur Instagram, sous le nom Vivremoinscon. Primé par des élus ou repartagé par des influenceuses écolos comme Camille Etienne, le collectif PBB leur permet de porter des revendications et des messages écolos par la création de musiques originales ou de danse. « On voit bien que juste parler du contenu des rapports du GIEC, ça n’intéresse personne. Mais si on raconte la même chose en dansant, en faisant la teuf, en chantant, ça n’a pas du tout la même force ! », s’enthousiasme Loup Espargilière, rédacteur en chef du média écolo Vert, qui connaît certains membres.
Utiliser les codes du divertissement des réseaux
« Pas de retraités sur une planète brûlée… Retraite, climat, même combat ! » L’idée de Planète Boum Boum est née dans les cortèges des manifs contre la réforme des retraites, en mars 2023. Les neuf membres du collectif sont tous militants au sein d’Alternatiba Paris, devenu AJC, chargés de l’animation du cortège dans le cadre d’une entente avec l’Alliance écologique et sociale. « Ça a donné une énergie assez folle à ces manifs, ça a trop bien fonctionné », se souvient Rémi, souvent perché en haut du camion sono dans les cortèges. Ils surfent sur le buzz autour de Mathilde Caillard-Mc danse pour le climat. Toutes les semaines, ils se donnent rendez-vous à l’Académie du climat où ils occupent une petite résidence qui leur permet de réfléchir à de nouvelles créations musicales. Le crew d’animation, qui est sollicité sur plusieurs dates de concert, reverse tout l’argent à Action Justice Climat Paris.
« On a vraiment besoin de ce genre de mouvement, on a besoin de joie, on a besoin de musique ! », abonde Magali Payen, fondatrice du mouvement de mobilisation citoyenne pour le climat On est prêt, qui tente aussi d’incarner une écologie joyeuse et solutionnaire malgré la gravité du propos. « Aujourd’hui on ne peut pas faire sans les codes du divertissement des réseaux sociaux », affirme de son côté Charles Merlin, alias Vivremoinscon sur Instagram. Cet ancien mécanicien vélo a fait de son métier la vulgarisation engagée de l’actualité à ses 150.000 abonnés et apparaît parfois sur les vidéos de PBB et de ses membres, comme Gaetan Gabriele, créateur de contenu pour le média Vert. Community manager pendant dix ans, il connaît tout des algorithmes et des codes des vidéos virales. « Dans ma tête j’ai deux tableaux Excel, je me dis telle info sur l’écologie peut fonctionner avec telle trend sur Insta (une vidéo ou un style de contenu particulier qui devient très populaire). Et là, ça fait boum Eurêka, j’arrive à planter des petites graines dans la tête des gens et en plus je les fait marrer, c’est trop cool », s’amuse-t-il. « C’est assez génial d’être capable de faire quelque chose de grand public avec des informations qui à la base sont expertes et obscures », confie Loup Espargilière, un de ses proches et red chef chez Vert. Un combat numérique essentiel pour rompre avec la vision négative portée par certains courants politiques, qui parlent « d’écologie punitive » et associe chaque demande à un retour à l’âge de pierre. Magali Payen explique :
« Pour rendre l’écologie sexy, il faut arrêter de faire culpabiliser les gens. L’enjeu c’est de leur donner envie de rejoindre le mouvement donc la fête est centrale ! »
Une caisse de résonance
Après les cortèges retraite, les membres du collectif n’avaient pas l’intention de poursuivre leur combat. Mais ils ont été sollicités par des mouvements pour faire des sons hors de l’écologie, qui y voient un moyen original de visibiliser leurs propres combats. « L’objectif c’est de pouvoir être une caisse de résonance pour les mobilisations en cours », fait savoir Rémi. À l’image de leur clip sorti en février dernier avec le syndicat de cheminots Sud-Rail. « Nous on a des goûts basiques, On aime le service public, les bonnes recettes de grand-mère, on veut du fret ferroviaire ! », interprète Rémi, casquette de contrôleur sur la tête, sur le rythme de la célèbre scène des Tuche, « des frites, des frites, des frites », ici transformé en « du fret, du fret, du fret ». Entourés des cheminots, fourchettes à la main, les membres de PBB dénoncent la potentielle liquidation de Fret SNCF, l’opérateur public de transport de marchandises en train, bien plus écologique que les poids lourds, qui entraînerait la suppression de nombreux emplois. La pétition vers laquelle renvoie le clip comptabilise plus de 30.000 signatures à ce jour, une des pastilles sur Instagram a engrangé 930.000 vues.
« Il faut vraiment qu’on bosse en équipe », assure Charles Merlin, qui encourage les créateurs engagés à mélanger leurs audiences en apparaissant sur les vidéos qui défendent d’autres engagements. Comme dans cette chorégraphie likée près de 60.000 fois sur Blue Monday de New Order pour alerter sur les aires marines protégées. L’ancien mécano y voit une manière de faire converger les luttes, malgré leur hétérogénéité. « Il y a les féministes d’un côté, les antiracistes, les LGBT, les écolos… c’est très important de réussir à nous mélanger pour avancer », expose-t-il. Rémi, membre actif de Planète Boum Boum décrit aussi un moyen de lier des combats très différents, comme avec les cheminots. « Les victoires, ce sont les connexions qui se créent avec d’autres branches militantes grâce à la fête et à la musique, au partage », observe-t-il.
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« Chacun peut trouver la façon de lutter qui lui convient »
Dans les commentaires, certains internautes soulignent un aspect « cringe » et « gênant » envers les vidéos du collectif. D’autres reprochent une façon de militer négligeable. « Chacun peut trouver la façon de lutter qui lui convient, Planète Boum Boum en est une », défend Marie, une des membres du collectif. Elle renchérit :
« L’enjeu c’est d’avoir conscience qu’on ne se parle pas qu’à nous-mêmes. »
Le jeune collectif tâtonne encore sur la tonalité à donner au mouvement mais garde comme boussole d’être utile au combat. « On s’inscrit vraiment dans les lignes politiques et dans les modes opératoires de dix ans de lutte d’Alternatiba Paris », affirme Sasha, le porte-parole d’AJC.
D’autres remarques sont beaucoup plus violentes. « Bande de tocards », « le gauchisme est une maladie mentale », « faut les interner », « la gênance ultime des bobo-gauchiasse »… « Les réseaux sociaux, c’est des arènes de gladiateurs, sur Twitter-X ou TikTok c’est horrible. Il vaut mieux ne pas regarder les commentaires », déplore Sasha, qui relève « la force de frappe impressionnante des sympathisants des idées d’extrême droite » sur ces réseaux ou Instagram. Et dans le cas de certains membres à forte visibilité, comme Mathilde Caillard. « C’est allé très loin », pose Sasha, qui se souvient des commentaires sexistes et des menaces de mort que la militante a reçues. « Elle se faisait même suivre jusqu’à sa salle de sport. » En voyant ce déferlement de haine, ils ont créé une cellule de crise pour les protéger. Une autre raison pour laquelle les membres de PBB veulent promouvoir ce militantisme fun. Rémi confie avec un sourire :
« Même si on va vers la catastrophe, au moins on se sera marrés en essayant de changer de trajectoire. »
Édit le 27/05/24 : Contrairement à ce qui a été indiqué précédemment c’est Rachel et Mathilde dansent, et Hélène qui chante les paroles revisitées.
Photos de Une de Basile Mesré Barjon pour Alternatiba Paris et Rachel Dano.
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