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    23/04/2024

    Week-ends chamaniques et féminin sacré

    Sarah, Pauline et Marine, victimes des dérives sectaires de l'endométriose

    Par Pauline Ferrari

    Face à la maladie et au manque de solutions proposées par la médecine conventionnelle, certaines patientes s’orientent vers des thérapies alternatives, qui peuvent s’avérer physiquement et psychologiquement dangereuses.

    Il y a maintenant quelques années que Sarah a été diagnostiquée de l’endométriose. La femme de 38 ans en a même été opérée mais l’intervention chirurgicale lui a causé d’importantes séquelles, notamment de fortes douleurs. Écoeurée par la médecine traditionnelle, Sarah se tourne vers d’autres types de pratiques, comme la naturopathie. Au fil du temps, Sarah teste le yoga, les huiles essentielles, et tombe dans le domaine du coaching tourné vers le « féminin sacré », cette croyance selon laquelle la nature féminine et l’utérus seraient dotés de pouvoirs surpuissants. Mais comme elle le décrit désormais :

    « Ce sont des gens qui s’entourent d’équipes, et qui font des milliers d’euros sur le dos des malades. »

    À l’époque, Sarah multiplie les retraites spirituelles, les week-ends chamaniques et même des séminaires jusqu’en Thaïlande. « Des systèmes d’emprise se mettent en place, car si au bout de trois, quatre ou cinq ans rien ne fonctionne, on dit aux malades que c’est parce qu’elles “n’arrivent pas à manifester”, que leur énergie ne vibre pas assez haut, que leurs astres ne sont pas alignés », détaille-t-elle. La trentenaire reste près de cinq ans dans ces milieux, culpabilise de ne pas voir son état s’améliorer, et dépense des milliers d’euros pour essayer de guérir. Elle finit par se faire expulser de ces groupes. « On commençait à dénigrer la direction que prenait ma vie. Elles ont dû se douter que j’allais me rendre compte de certaines choses, et elles ont préféré me mettre à l’écart », analyse-t-elle aujourd’hui.

    Stages de guérison à base de bains vaginaux de plantes, naturopathie, invitations à se reconnecter à son « féminin sacré », travail sur les énergies… Les offres de ces solutions « miracles » pour « guérir » l’endométriose se multiplient, comme l’a décrit une enquête de France Bleu en novembre 2022. Peu connue il y a encore quelques années, l’endométriose est une maladie inflammatoire, où un tissu semblable à la muqueuse utérine se développe en dehors de l’utérus. Elle cause des douleurs chroniques, des troubles digestifs, et parfois, des troubles de la fertilité. Cette maladie gynécologique qui touche plus d’une personne menstruée sur dix et qui n’est diagnostiquée qu’au bout de sept ans en moyenne, n’a encore ni cause, ni remède identifié : beaucoup de malades se heurtent à des difficultés pour trouver un traitement adapté. En novembre 2022, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) alertait dans un rapport sur le fait que « les femmes victimes d’endométriose, maladie méconnue et très douloureuse, sont aujourd’hui doublement ciblées par les groupes sectaires ». 80% des femmes atteintes d’endométriose ont même eu recours au moins une fois à une pratique alternative.

    « Il y a toujours une idée un peu misogyne pour expliquer pourquoi les femmes ont plus recours à ces pratiques alternatives, comme si elles manquaient d’esprit critique. Mais c’est lié à l’insatisfaction de la médecine conventionnelle, l’errance médicale, le paternalisme des soignants, la psychiatrisation de leurs symptômes », indique Héléna Schoefs, doctorante en sociologie au Lapsco de l’Université Clermont-Auvergne. Face aux limites des professionnels de santé, certaines patientes vont « vers des solutions à l’opposée de la médecine, d’autant plus quand cette dernière s’est avérée violente », estime Héléna Schoefs.

    Retrouver sa « féminité »

    Pour Pauline, 37 ans, tout a commencé par des difficultés à tomber enceinte, après dix ans sous pilule contraceptive qui avait « gommé » ses symptômes, dont des douleurs menstruelles. Marquée par des violences du corps médical, elle sort du parcours traditionnel, pour « trouver la bienveillance et l’humanité que je n’avais pas trouvé chez les soignants ». Pauline s’oriente d’abord vers un spécialiste de la psychogénéalogie, spécialisé dans l’infertilité et les problèmes gynécologiques. « Il se vantait d’avoir plein de faire-part de naissance » dans son bureau, se rappelle Pauline. Il lui explique qu’étant fille unique, elle n’a pas la « bonne place » dans sa famille, et donc qu’elle ne pourrait pas laisser la place à un autre enfant, ce qui expliquerait son infertilité. Selon le praticien, Pauline aurait « un problème d’énergie au niveau des coudes », qu’il peut régler pour une cinquantaine d’euros la séance. « Il a donc essayé de réaligner les énergies de mes coudes pendant une demi-heure », soupire-t-elle :

    « Ça m’a renvoyé à une forme de culpabilité que j’avais déjà eue avec des soignants. C’était de ma faute parce que j’étais fille unique. »

    D’autres théories autour du « féminin sacré », comme celles qui ont happé Sarah pendant des années, sont très présentes en ligne. En quelques recherches Google, on peut tomber sur des sites indiquant que « l’utérus est la matrice de la femme », ou encore que « l’endométriose vous parle de vos barrières, de vos rêves que vous n’osez pas vivre au grand jour ». Une manière de renvoyer la cause des souffrances à la nature même des femmes, qui les silencie, les responsabilise et les culpabilise de leurs douleurs. Pour Barbara Mvogoh, de l’association JusticeEndo, qui lutte pour l’accès aux droits des malades, ces pratiques ne font pas seulement courir un danger physique, mais aussi psychologique :

    « Se faire promettre une guérison qui n’arrive pas, pour des personnes déjà vulnérables… On finit par les ramasser à la petite cuillère. »

    La zone grise des dérives thérapeutiques

    Marine, 33 ans, a elle commencé à tomber malade dès l’adolescence : douleurs de règles, problèmes de digestion et une fatigue qui la force à être alitée une semaine par mois. Autant de symptômes qui la poussent à aller consulter une trentaine de médecins nutritionnistes, ostéopathes, naturopathes et thérapeutes en France, en Belgique et en Allemagne. « Je suis tombée sur des personnes qui me disaient qu’elles avaient guéri de l’endométriose en ne consommant ni gluten, ni sucres, ni lactose, avec beaucoup de jus de légume », se souvient celle à qui on a répété que ses douleurs étaient dans sa tête. La trentenaire expérimente de nombreux régimes alimentaires différents pour soulager ses maux de ventre, « comme supprimer les féculents en mangeant beaucoup de fibres » tandis que ses douleurs augmentent. Elle sombre peu à peu et estime qu’à cette période, elle était vulnérable, « une cible de choix ». « Je me suis mise à la méditation, j’étais bonne élève, et je croyais dur comme fer que le problème venait de moi », se rappelle-t-elle. Elle regrette, amère :

    « On est capables de faire n’importe quoi. Je n’avais rien d’autre, aucune autre solution. L’espoir me faisait tenir, mais c’était un piège. »

    Finalement, des médecins diagnostiquent à Marine la maladie de Lyme. Elle découvre également qu’elle a de très fortes intoxications provoquées par tous ses régimes alimentaires et des carences qui datent de plusieurs années. « Mon microbiote était complètement détruit », dit celle qui a trouvé des pistes pour se soigner. Aujourd’hui, elle garde le sentiment de s’être fait berner. « Pourquoi je ne me suis pas réveillée ? », se questionne-t-elle. « Une dérive n’a pas besoin d’être sectaire pour être alarmante », rappelle de son côté Héléna Schoefs. Pour la chercheuse, ce sont des dérives thérapeutiques, « des pratiques qui ont des prétentions thérapeutiques non éprouvées scientifiquement ». De nombreux professionnels alertent ainsi depuis des années sur la naturopathie, qui sous-entend que l’état de santé dépend du fait de vivre en harmonie avec les lois de la nature. Ou bien que tout symptôme est révélateur d’un mal profond : ces théories entretiennent une vision individualisante et responsabilisante des malades, ce qui pose beaucoup de soucis dans une maladie aussi complexe que l’endométriose.

    Des professionnels de santé qui ne sont pas immunisés aux dérives

    Sur les groupes Facebook de patientes, et du côté des associations spécialisées sur l’endométriose, la plupart des témoignages de violences concernent le domaine médical, des généralistes aux gynécologues. « On ne parle que des gourous, comme si les médecins étaient forcément irréprochables », s’agace Marie-Rose Galès, patiente et militante pour une meilleure prise en charge de l’endométriose, membre du comité scientifique d’Endogalaxy, qui rappelle qu’il y a « des gynécologues connues qui affirment que les patientes doivent se réconcilier avec leur féminité pour guérir de l’endométriose ». Il y a quelques années, cette dernière voit ses douleurs exploser du jour au lendemain, après une rupture de kyste. Marie-Rose Galès se rend chez un gynécologue pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, « dans un cabinet en plein Paris, vue sur la Seine, avec mon compte-rendu d’hospitalisation ». D’emblée, le gynécologue lui dit qu’elle n’a pas d’endométriose, mais qu’elle a fait une fausse-couche, qu’elle aurait occultée. « Je m’indigne, car vu la date de mon dernier rapport, ce n’est pas possible », d’autant qu’un test de grossesse négatif est présent dans son rapport d’hospitalisation. Elle se rappelle encore : « Il insiste, me dit que j’ai été violée, mais que j’ai oublié ce viol. J’ai eu une bouffée de rage, en pensant à mes amies qui elles ont été violées mais qu’on ne croit pas ». Et d’ajouter :

    « J’essayais de garder mon sang-froid en lui expliquant mes douleurs pendant les rapports, il m’a coupée pour me dire que c’était parce que j’avais peur des pénis… Avant d’ajouter qu’il avait fait un DU en psychologie, donc qu’il connaissait bien la psychologie des femmes ! »

    En sortant du rendez-vous, Marie-Rose est dans un état second. C’est grâce à un documentaire sur les dérives sectaires qu’elle comprend son état, et écrit à la Miviludes, qui la rappelle en catastrophe : « Ils m’ont expliqué la gravité de ce que j’avais subi ». Elle finit par demander un signalement à l’Ordre des médecins, que les fausses croyances n’épargnent pas. « L’idée que la maternité permettrait de « guérir » l’endométriose, que la maladie serait liée à une mauvaise gestion de ses émotions, ou bien que la patiente a des problèmes psychologiques… Les professionnels de santé ne sont pas immunisés à ces pratiques », avertit la chercheuse Héléna Schoefs. Preuve de ce manque : ce n’est qu’en 2021 qu’un cours sur l’endométriose a été ajouté au second cycle de médecine. De quoi faire dire à Pauline que « si on veut lutter contre ces dérives, il faut une médecine qui permette aux gens de se soigner ». Et de pointer les déserts médicaux et le manque de spécialistes :

    « Quand il faut deux heures de route et des mois d’attente pour trouver un médecin, je n’avais pas de difficulté en zone rurale à trouver des énergéticiens. »

    Illustration de Une de Jérôme Sallerin.

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