Au téléphone, Vanessa Langard se retient de pleurer. Entre deux bouffées de cigarette, l’ex-Gilet jaune se dit encore sous le choc :
« J’ai appris, le 4 avril, que mon avance d’indemnisation avait été refusée. Je ne comprends toujours pas. »
Le 15 décembre 2018, Vanessa, 34 ans à l’époque, prend un tir de LBD40 en pleine boîte crânienne lors d’une manifestation sur les Champs-Elysées. En théorie, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) est chargé d’assurer la réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne. À ce titre, il indemnise les préjudices physiques, moraux et économiques. Ça, c’est sur le papier, sauf que dans les faits ça coince. Vanessa a pourtant perdu la vue de son œil gauche et souffre d’une nécrose cérébrale en conséquence de ses blessures. Son séjour à l’hôpital, son entourage brisé, son handicap… Vanessa déroule son récit d’un seul trait. En fait, elle l’a déjà répété des centaines de fois.
Le 21 janvier 2019, la banlieusarde du Val-de-Marne (94) dépose plainte pour des faits de violences volontaires commises par une personne dépositaire de l’autorité publique. Si elle a tiré un trait sur sa vie d’avant, elle espère au moins une reconnaissance en tant que victime. Sauf que les délais judiciaires ont l’habitude de s’étirer : son procès n’aura pas lieu avant « plusieurs années ». En attendant, ses camarades mutilés lui conseillent de réclamer une avance au FGTI.
Même pour un oeil, l’État négocie
18 septembre 2019. Vanessa Langard, accompagnée de son avocate Chloé Chalot, saisit la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (Civi) du tribunal judiciaire de Créteil. Objectif : arracher une avance de 15.000 euros au FGTI. Cette somme lui permettrait de compléter les 960 euros mensuels grâce auxquels Vanessa survit : 860 de la sécurité sociale et un complément de l’AAH (allocation aux adultes handicapés) d’une centaine d’euros. Cette ancienne décoratrice sur verre et ex-auxiliaire de vie auprès de sa grand-mère soupire :
« Avec ce putain de tir, ils m’ont foutue dans une précarité énorme ! Je suis handicapée catégorie 2 et le médecin de la sécurité sociale me déconseille de travailler. Si je suis souvent chez ma mère, en Bretagne, c’est pour me nourrir. »
Des difficultés auxquelles la Civi reste sourd : le 10 juin 2020, elle sursoit à statuer, tant qu’il n’y a pas de rapport d’expertise médicale. Dix mois plus tard, le précieux document, enfin rédigé, liste les principaux handicaps qui découlent de ses blessures : troubles du langage, de l’odorat, dépression… En s’appuyant sur ces éléments, maître Chalot chiffre les dommages à 108.195 euros. Le 29 juin 2022, la Civi fixe enfin une indemnité provisionnelle à la charge du FGTI de 30.000 euros, considérant « qu’aucune violence ou faute de nature à réduire ou exclure son droit à indemnisation n’est établie ou alléguée par le FGTI ». Bien conseillée par l’association des Mutilés pour l’Exemple, Vanessa Langard n’en retire que 1.000. Elle fait bien : le fonds dédié aux victimes interjette appel le 22 août 2022. Même pour un œil, l’Etat négocie.
« Hors-sol »
Plus d’un an après, le 15 février 2024, c’est à la Cour d’appel de Paris de trancher. D’un côté, le FGTI refuse de donner l’avance, sous prétexte que « rien ne permet d’établir que le tir de LBD par un membre des forces de l’ordre (…) constitue une infraction. » Pour le fonds de garantie de l’État, « la légitimité ou non du tir de LBD » ne peut être déterminée tant que l’instruction est en cours. Pourtant, le rapport d’expertise médico-balistique acte « avec certitude » que Vanessa Langard n’avait pas un comportement répréhensible au moment des faits et, donc, que le tir de LBD était parfaitement injustifié et illégitime.
« C’était évident qu’aucune faute ne pouvait être opposée à Madame Langard. Son dossier aurait pu être un cas d’école », assure Maître Chalot. D’où sa surprise à la découverte du délibéré le 4 avril 2024 : la Cour d’appel de Paris sursoit à statuer « dans l’attente de l’issue définitive de la procédure pénale en cours ». Traduction : l’ex-Gilet jaune ne recevra pas un centime avant des années. Vanessa s’insurge :
« J’en avais besoin pour souffler, et non pour acheter du luxe. Maintenant, je me retrouve avec une dette de 1.000 euros envers le fonds de victime, c’est hors-sol ! »
« Même la reconnaissance de mon statut de victime, on ne me l’accorde pas »
En plus des conséquences financières, la décision a aussi une portée symbolique : « Même la reconnaissance de mon statut de victime, on ne me l’accorde pas. Ça aurait été ma seule victoire. » Selon Vanessa, trois autres Gilets jaunes connaissent la même situation. « La jurisprudence en la matière tend à être de plus en plus précautionneuse et à diminuer les cas de provision versés avant un aboutissement de procédure », remarque maître Chloé Chalot qui défend de nombreuses victimes de violences policières, notamment dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes.
Avec sa décision, l’État contraint Vanessa à lancer une nouvelle cagnotte pour éponger sa dette et payer certains soins. Recommandée par les médecins, sa cure (neurologique, rhumatologique et psychologique) n’est pas entièrement couverte par la sécurité sociale. « Le logement reste à ma charge. Pour trois semaines, ça tourne souvent autour de 1.200 euros… Maintenant, je suis obligée de quémander si je veux la payer », déplore-t-elle. Si Vanessa ne peut pas compter sur le dispositif d’aide aux victimes, il reste au moins la solidarité de ses camarades.
Si vous souhaitez soutenir Vanessa ou le collectif des Mutilé.e.s pour l’exemple, vous pouvez le faire ici pour la première ou ici pour les seconds
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