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    27/02/2024

    Il est sponsorisé par Moscou

    Meetings, selfie avec des députés et médaille d’honneur, la tournée française du panafricaniste et antisémite Kémi Séba

    Par Audrey Parmentier

    En tournée à Paris, en Guadeloupe et en Guyane, Kémi Séba, condamné pour antisémitisme, a rameuté des foules qui voient en lui un anticolonial. Celui qui est accusé d’être téléguidé par la Russie a aussi rencontré deux députés français.

    Cayenne (973) – Le petit amphithéâtre de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Guyane déborde ce 22 février. Chaque mètre carré est rempli par une personne debout ou assise. Environ 400 spectateurs se sont pressés, au sens propre comme au figuré, pour venir voir Kémi Séba, militant panafricaniste et suprémaciste noir, condamné à plusieurs reprises pour antisémitisme. Sur les réseaux sociaux, le Franco-Béninois de 42 ans jubile devant ce succès « malgré une campagne active de diabolisation de quelques relais coloniaux ». Durant son séjour, il a aussi bénéficié du soutien de deux députés français de la Nupes : Jean-Victor Castor et Davy Rimane qui l’ont accueilli en Guyane. Les deux hommes appartiennent au groupe parlementaire de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), où siègent douze députés du PCF et dix députés ultramarins. Et Davy Rimane est même le président de la délégation Outre-mer à l’Assemblée.

    Contactés, les deux députés GDR n’ont répondu à aucune des nombreuses sollicitations de StreetPress. Embêté, leur groupe parlementaire estime que « les députés disposent d’une pleine autonomie » :

    « Cette rencontre n’a à voir ni avec le groupe ni avec le Parti communiste. À titre personnel, André Chassaigne [député et président du GDR] s’oppose aux positions de Kémi Séba, à l’opposé des valeurs que portent les députés communistes. »

    Est-ce que le PCF et le GDR condamne cette rencontre ? Pas de réponse. Pour couronner le tout, Kémi Séba a également reçu une médaille des mains de la maire de Cayenne, Sandra Trochimara (Nouvelle force de Guyane). Le point final d’une tournée de février qui visait aussi Paris et la Guadeloupe. Contactée, celle-ci a confirmé par SMS avoir reçu Kémi Séba. « Et il n’est pas nécessaire d’en discuter », a-t-elle terminé. Circulez, il n’y a rien à voir.

    Une annulation à Paris

    Quant à la chambre de commerce et d’industrie de Guyane qui a accueilli le raout, celle-ci se dédouane : « La CCI de Guyane n’est pas à l’origine de cette conférence, nous avons juste loué notre salle. » Même embarras à Paris. « Kémi Séba ? Nous ne le connaissons pas », répond un restaurant parisien à l’autre bout du fil. Le lieu devait recevoir le conférencier le 11 février dernier. Pas de bol pour Seba, la gérante a fait machine arrière : « Nous avons reçu plusieurs mails et appels de citoyens inquiets annonçant une manifestation si le meeting était maintenu […] Nous avions juste loué la salle à une association qui a omis de nous informer de l’intervention de Kémi Séba. » L’association Micra (Mouvement international de lutte contre le racisme et l’antisémitisme) fait partie de celle qui a mis en garde l’établissement :

    « Il y avait une communauté juive importante là où il devait se produire […]. En France, il a écopé de plusieurs condamnations pour antisémitisme ou négationnisme… »

    Un discours qui porte en Outre-mer

    Barbe taillée au millimètre, diction parfaite et boubou souvent orné d’une carte de l’Afrique, Kémi Séba s’affiche en héros de la diaspora africaine. Auteur de plusieurs ouvrages, dont « Philosophie de la panafricanité fondamentale », le quadra se présente comme un défenseur de la cause noire. Son compte Instagram, fort de près de 300.000 abonnés, ressemble à celui d’une rock star : des dates de meeting en pagaille, une communication bien rodée et même une photo avec le rappeur Gazo, postée fin 2023. « Ce n’est un secret pour personne qu’il est aujourd’hui très populaire auprès d’une grande partie de la jeunesse africaine et diasporique francophone », assure par téléphone un proche de Kémi Seba. Ce dernier revendique 2.000 personnes à un meeting à Bobigny en mars 2023, 1.200 l’année précédente à Grigny ou encore 1.500 sympathisants en Guadeloupe en 2022. Un chiffre similaire à celui qu’il a annoncé pour sa venue sur l’île, la deuxième date de sa tournée, le 16 février 2024.

    « Kémi Séba représente une forme de panafricanisme réactionnaire qui a malheureusement un certain succès aux Antilles, car son discours a l’air simplement anticolonialiste et plutôt positif », considère Zaka Toto, éditeur de la revue Zist, chercheur en science politique à l’Université des Antilles. Celui qui a longuement travaillé sur les nationalismes et les identités contemporaines aux Antilles françaises et a écrit sur l’idéologue, ajoute :

    « En Guadeloupe et en Guyane, tout le monde voit qui est Kémi Séba. Il est régulièrement sur les plateaux télé et les radios à chacun de ses voyages. Il a aussi trouvé des relais à travers des influenceurs locaux. »

    À chacun de ses passages, le natif de Strasbourg (67) ressert le même discours, comme le 16 février en Guadeloupe. Selon Kémi Séba, les Antilles sont victimes du système colonial et il faudrait encourager la « rébellion » dont la Guadeloupe serait « le centre de gravité ». La foule applaudit. Galvanisé, le militant vêtu d’un boubou kaki, enchaîne :

    « Ils sont en train de repeupler la Guadeloupe, comme ils ont repeuplé la Palestine. Vous êtes une colonie comme la Palestine ! »

    Des soutiens syndicaux

    Sur ses vidéos en ligne, des drapeaux rouge et vert de l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe flottent dans la salle Jonksyon, à Sainte-Anne. Pour Kémi Séba, la Guadeloupe n’est pas un département, mais « un pays ».

    Selon Zaka Toto, le militant profite d’un vide politique pour se faire une place : « Dans les Antilles, il y a eu un moment où on avait des forces politiques fortes et organisées. Or c’est beaucoup moins le cas maintenant. Pour la Martinique et la Guadeloupe, Kémi Séba arrive au moment de la plus grosse zone de flottement politico-social de la région et ça marche. Il y a encore 20 ans, ce genre de personnage n’était pas crédible intellectuellement et politiquement. »

    Afin de booster sa popularité, Kémi Séba s’ancre dans des combats plus locaux, comme la défense des « grands frères », ces jeunes arrêtés et suspectés de violences en marge des manifestations contre l’obligation vaccinale en novembre 2021. « Une pensée pour leurs familles qui vivent un calvaire dans le silence assourdissant d’un peuple asphyxié par le coût de la vie ou l’injustice sociale […] On attaque les nègres rebelles », clame-t-il lors de son meeting. Il évoque aussi le chlordécone – herbicide empoisonné qui a intoxiqué 92% des Martiniquais et 95% des Guadeloupéens – ou la vie chère.

    Sur l’île, il s’affiche aussi au côté d’Élie Domota, « son grand frère ». Le syndicaliste est porte-parole du LKP, Liyannaj Kont Pwofitasyon (Collectif contre l’exploitation) et figure du mouvement de grève de 2009. Il est aussi un sympathisant de Dieudonné qui lui avait remis une « quenelle d’or ». Zaka Toto :

    « Certains politiques et syndicalistes se disent qu’on peut s’appuyer sur Kémi Séba pour montrer le fait qu’ils seraient engagés sur des problématiques antiracistes. »

    Un compagnon de route de Soral et Dieudonné

    Kémi Séba se fait connaître au début des années 2000. À l’époque, Stellio Capo Chichi – son vrai nom – est proche d’Alain Soral, idéologue d’extrême droite, et de Dieudonné dont il partage les thèses antisémites. Le Franco-Béninois débute à la tête de la tribu Ka : un groupuscule dissous en 2006, après avoir revendiqué une descente rue des Rosiers, quartier juif de la capitale. C’est aussi lui qui vole au secours de Youssouf Fofana, responsable du meurtre d’Ilan Halimi. « Si d’aventure il vous prenait l’envie d’effleurer ne serait-ce qu’un seul des cheveux du frère, au lieu de lui laisser avoir un procès équitable, nous nous occuperons avec soin des papillotes de vos rabbins », envoie-t-il aux organisations juives. Interrogé par le site internet Hardcoremotion.com, il dit préférer en 2009 « Hitler à Bonaparte », jugeant qu’« au moins, sous Hitler, les Noirs trouvaient du travail (…), parce qu’ils étaient engagés dans les armées pour lutter contre le péril nazi, alors que sous Bonaparte, ils étaient rémunérés à coups de fouets ».

    Depuis une décennie, l’image du quadragénaire s’est lissée. S’il considérait encore Dieudonné comme son « frère » en 2014, Kémi Séba assure avoir rompu avec Alain Soral. Président de l’ONG Urgences panafricanistes, on le voit, par exemple, distribuer des kits sanitaires à un hôpital malien en 2021. Il enfile aussi le costume de chroniqueur politique et se réapproprie la croisade contre le franc CFA. D’ailleurs, il sera expulsé du Sénégal en 2017, où il vivait, après avoir brûlé un billet de 5.000 francs CFA. Il est évincé également du Burkina Faso ou de Côte d’Ivoire.

    À LIRE AUSSI : En 2019, le panafricaniste Kemi Seba murmurait à l’oreille du gouvernement italien

    À chaque déplacement, son discours antisioniste cache mal son bon vieil antisémitisme. À cela s’ajoutent des propos complotistes, par exemple sur France Inter en juin 2020 où il parle de « république maçonnique française ». Le lendemain, la radio publique s’excuse et la séquence semble introuvable sur leur site. Et quand StreetPress demande une interview ? Pas de réponse. On insiste auprès de sa garde rapprochée :

    « On vous dit qu’on ne souhaite pas répondre à StreetPress, mais vous continuez… Ou bien le refus d’un noir n’a pas de signification pour vous ? »

    La Russie dans l’oreillette

    Journalistes, dirigeants africains, occidentaux… Kémi Séba tape sur tout le monde, sauf Moscou. Selon plusieurs enquêtes, l’oligarque russe à la tête du groupe Wagner Evgueni Prigojine, désormais décédé, a téléguidé et financé ses actions entre 2018 et 2019. Au total, l’activiste a encaissé 400.000 dollars de la part de Wagner, organisation paramilitaire russe connue pour ses exactions. En échange, Kémi Séba relaie le narratif de Moscou. Il va par exemple qualifier l’invasion russe en Ukraine de « guerre contre les Occidentaux et ceux qui refusent l’hégémonie de l’Occident », lors d’une interview à Aloha News, le 19 février 2023. Par ailleurs, l’influenceur excite le sentiment anti-français sur le continent africain. En juin 2023, il est invité à un meeting au Mali piloté par le groupe panafricaniste pro-russe, Yerewolo. Dans la foule flottent des pancartes floquées d’une tête-de-mort sur le drapeau bleu blanc rouge. « Mali, capitale de la résistance africaine », crie Kémi Séba.

    En France, Kémi Séba est adoubé par l’extrême droite. Et pour cause : il nourrit leur rhétorique anti-immigration en prônant une ségrégation raciale. Autrement dit, les différentes cultures doivent être séparées. En 2007, il déclarait : « Nous combattons tous ces macaques qui trahissent leurs origines […]. Les nationalistes sont les seuls Blancs que j’aime. Ils ne veulent pas de nous et nous ne voulons pas d’eux. » Quinze ans plus tard, les mots sont moins crus, mais l’idée reste. Au micro de Sud Radio, en avril 2023, Kémi Séba défend « un séparatisme d’existence » et affirme vouloir lutter contre le « déracinement » et la « victimisation » du peuple noir. Face à lui, André Bercoff, figure de la mouvance complotiste, boit du petit-lait. Kémi Séba lui sourit. Sa notoriété a encore de beaux jours devant elle.

    Article d’Audrey Parmentier, illustration de Caroline Varon.

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