En ce moment

    20/02/2024

    Recel chez les militaires

    Comment des ordis volés du ministère des Armées se sont retrouvés sur Leboncoin ?

    Par Jeanne Actu

    En 2023, un militaire a volé des ordinateurs de la Défense au fort du Kremlin-Bicêtre. Via un caporal-chef, les machines se sont ensuite retrouvées sur Leboncoin, prêtes à être vendues à des particuliers. Récit d'une drôle d’affaire.

    En ce printemps 2023, la sécurité du fort militaire du Kremlin-Bicêtre (94) est embêtée. Dans cette caserne, qui accueille notamment l’état-major de la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la Défense (Dirisi), les équipes ont constaté que plusieurs cartons de l’atelier technique ont disparu… Ils contenaient des ordinateurs fixes et portables. Chez les experts de la « lutte informatique défensive », paré à « tous les types de cyberattaques » pour le réseau des armées françaises, l’affaire fait forcément tache.

    Très rapidement, les enquêteurs suspectent un homme, Manuel R., qui a pour habitude de passer ses week-ends à déplacer des cartons d’ordinateurs jusque dans son bureau. Un an plus tard, ce dernier comparaît devant le tribunal de Paris, au côté d’Alexandre R. Il est reproché aux deux hommes – qui ne sont pas de la même famille – d’avoir monté un petit business avec les ordis volés de la Défense. Ils sont accusés de vol aggravé et de recel.

    Des magouilles déjà sanctionnées

    « Pour moi, ce que je faisais n’était pas illégal », affirme Manuel R. à l’audience. Ce jeune milouf de 21 ans, né en Côte d’Ivoire, a pourtant déjà été pris la main dans le sac : des caméras de sécurité du fort l’ont surpris en train de faire des allers-retours entre son bureau et l’atelier technique. Là un week-end sur deux, il passe deux heures le samedi et deux heures le dimanche. Quand le ministère des Armées lui demande des explications, Manuel R., de sa voix un peu grave, dit donner du matériel à ses collègues de l’opération Sentinelle – des patrouilles de milliers de militaires dans toute la France, déployés après les attentats de janvier 2015. Habillé d’un jean et t-shirt noir et de baskets blanches à l’audience, il détaille au président du tribunal :

    « C’était des ordinateurs destinés à la casse. Si une touche d’un clavier ne fonctionnait plus, cela revenait moins cher de racheter que de réparer. »

    À l’époque, son badge d’accès à l’atelier lui est retiré. Mais l’homme qui dispose de 47 comptes bancaires est ingénieux. Quelque temps plus tard, les équipes de sécurité remarquent que la porte du fameux local technique ne ferme plus correctement. Une petite cale y a été glissée. Encore un coup de Manuel R. ? Le loustic ne semble en tout cas pas inquiété par les précédentes sanctions : il arrive encore à accéder à la pièce via des personnes tierces. Face au tribunal, il assure même avoir pu fournir un ordi à un haut gradé sans que cela ne semble inquiéter l’institution.

    « Les ordinateurs ne devaient pas sortir de l’armée », serine celui qui fait désormais une formation dans la… cybersécurité. Face au juge, il hésite, bégaie et semble inventer des réponses sur le tas. « Vous dites des choses absolument incohérentes », lui répond sèchement le magistrat. Manuel R. avoue finalement avoir « manqué de rigueur ». La procureure lui lance :

    « Il va falloir apprendre la différence entre don et vol. »

    Leboncoin

    L’affaire prend une tournure autrement plus embarrassante pour le ministère des Armées une fois qu’Alexandre R. rentre dans la combine. À la barre, ce caporal-chef de 28 ans, avec un tatouage de hache sur le bras, souligne qu’il est « fier de son pays et de son armée ». Droit dans ses bottes et les mains jointes derrière son dos, il explique avoir entendu parler de Manuel R. et de son matos informatique. Il lui en réclame et finit par posséder dix ordinateurs, qu’il stocke à son domicile. Un part chez sa mère, un autre chez sa sœur. Mais très vite, il commence à vendre certaines machines à des connaissances et demande même à sa petite amie de poster des annonces sur Leboncoin. Une manœuvre que ce tirailleur, qui veut devenir tireur d’élite, ne reconnaît pas tout de suite devant les enquêteurs.

    C’est quand Manuel R. voit que les ordis sont en vente libre sur internet que le petit trafic se serait arrêté. Il aurait appelé immédiatement son comparse pour l’informer que les ordinateurs étaient volés. Il prévient sa direction qu’il y a des ordinateurs de la base sur internet, sans dire qui est le coupable. Alexandre R. retire lui les annonces, mais se fait rattraper par l’adresse IP des publications. Si les deux hommes regrettent et se défendent désormais de toutes manigances, la procureure rappelle que la procédure a « démontré un vol » via l’exploitation de leurs téléphones. Manuel R., Alexandre R. et sa petite copine sont placés en garde à vue. Le tirailleur qui a fait le Mali, chef de groupe Sentinelle sur Paris, a déjà été puni de 25 jours d’arrêt par l’institution. Une seconde sanction l’attend en fonction de l’issue du procès, qui l’autorisera ou non à renouveler son contrat militaire.

    Un peu moins de quatre heures après le début du procès, le verdict tombe : les deux militaires sont condamnés à six mois de prison avec sursis, 500 euros d’amende et la non-inscription de cette entourloupe dans leur casier judiciaire.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER