En ce moment

    29/01/2024

    « Pépitaresque ! »

    Des caméras cachées hardcore aux formations masculinistes : La Menace, le youtubeur fan de Poutine

    Par Sara Chemin

    Censuré par YouTube, poursuivi pour des blagues douteuses, La Menace est un créateur de contenus controversé. Après ses canulars hardcore qui l’ont fait connaître, il s'improvise aujourd’hui coach en séduction et entrepreneur à la sauce masculiniste.

    En mai 2023, un certain Maxime Alexandrov, plus connu sous le nom de La Menace, publie une vidéo pour le moins excentrique. Manoir et grosse cylindrée pour décor, le youtubeur de 24 ans – 439.000 abonnés au compteur – s’affiche en costume taillé sur mesure, cheveux gominés et chien-loup en laisse. Titre du post : « Cette vidéo va déplaire à plus d’un… ». « Le but des élites est de détruire l’homme, il est devenu presque illégal d’être masculin », s’y agace-t-il, un poil complotiste :

    « Bientôt vous n’aurez plus le droit de faire du sport, d’être riche, cultivé ou de manger des côtes de bœuf. »

    L’homme s’est fait connaître en 2020 pour ses caméras cachées hardcore : dans l’une d’elles il orchestre une fausse fusillade en plein centre-ville, dans une autre il met en scène un corps couvert de sang dans sa baignoire. « À cause de ce prank, je suis encore en thérapie aujourd’hui », raconte la victime d’une de ses vidéos, qui a depuis porté plainte. Ses blagues vicieuses, son goût pour la baston et ses séjours au commissariat passionnent ses viewers. Certains de ses contenus ont atteint le million de vues.

    En avril 2023, changement de braquet pour le youtubeur : il annonce désormais s’attaquer à une « société gangrénée par la modernité ». À l’image d’un Julien Rochedy – ancien directeur national du Front national de la jeunesse reconverti en influenceur politique et formateur mascu’ – ou d’un Jean-Marie Corda – ex-compagnon de route d’Alain Soral, devenu youtubeur et coach en développement personnel, il surfe sur la mode du coaching avec son projet « Alpha », une formation en ligne pour « fabriquer des hommes que le système déteste ». Le vidéaste, qui porte en tatouage le symbole des Vor v zakone (mafia de l’ex-URSS), un poing américain et une Kalachnikov, a laissé place au bon père de famille, straight edge – qui ne consomme ni alcool ni drogue – et qui se rend à la messe tous les dimanches. Il se révèle, au passage, le porte-voix d’une extrême droite qui ne dit pas son nom.

    À LIRE AUSSI : Jean-Marie Corda, « gourou » de la dissidence épinglé par la Miviludes

    Pour ce portrait, StreetPress a pu interroger Maxime Alexandrov dans un entretien téléphonique qu’il a voulu très court – 10 minutes montre en main. « Ma femme est en train de cuisiner et elle n’aime pas qu’on mange froid », a-t-il prétexté. Nous avons aussi pu échanger avec plusieurs victimes de ses canulars, ainsi que des journalistes et des avocates qui ont suivi ses déboires. En revanche, les influenceurs et entrepreneurs de son entourage n’ont pas répondu à nos multiples sollicitations.

    Représenté par l’avocat d’Alain Soral

    Le succès de La Menace commence il y a quatre ans avec des pranks très crus. Accompagné par son petit frère Aynton à la caméra, il arrête des badauds dans la rue et joue tantôt les rôles du mafieux, tantôt celui du « dragueur cinglé ». Il s’amuse à gratter le numéro de téléphone de jeunes femmes, quand il ne leur dit pas « je veux te bouffer la chatte » ou « tu veux un coup de bite ». Dans sa vidéo la plus populaire, il se fixe le défi de faire tomber 1kg de ce qui ressemble à de l’herbe devant une équipe de police. En commentaires, ses viewers saluent son audace, son « contenu 100% authentique » et le remercient pour « les barres de rire ». « T’es un grand malade, un tueur, t’as baisé le YouTube game français », s’enthousiasme un internaute. « Plus mon contenu est sale, plus les fiottes s’énervent et plus on est contents », résume La Menace dans un post de ses débuts. Au point où Youtube a plusieurs fois censuré ses publications, jusqu’à supprimer sa chaîne en août 2023. En réponse, l’influenceur, qui avait déjà créé dès 2022 sa propre plateforme payante La Menace uncensored (« 100% hardcore, 0% censure »), s’est filmé dans une piscine, hilare.

    Les caméras cachées vont le conduire jusqu’au tribunal correctionnel de Bordeaux. Le 24 février 2023, il est poursuivi pour usurpation de qualité, après de faux contrôles d’identité musclés avec brassard de police. Le même jour, il est jugé pour un canular homophobe, inspiré du tueur en série américain Jeffrey Dahmer. « Il m’a contacté via une application de rencontre », se souvient l’étudiant victime de cette mise en scène cauchemardesque :

    « En entrant dans son studio, j’ai vu ce qui ressemblait à un corps plein de sang… Pris de panique, je me suis enfui en voiture, pensant qu’il me poursuivrait. »

    Direction la police, où le jeune homme porte plainte. « Au commissariat, les policiers ont tout de suite pensé à La Menace. » À l’audience, le youtubeur est représenté par Pierre-Marie Bonneau, avocat et militant nationaliste, qui a déjà eu pour clients Alain Soral, le négationniste (1) Faurisson et des membres GUD, le groupe union défense, syndicat étudiant d’extrême droite. Il a été relaxé pour les deux affaires.

    « Il m’a dit que ma tête allait atterrir sur la table d’à côté », se souvient Jérôme, qui a aussi déposé une plainte (classée sans suite) contre Maxime Alexandrov après que ce dernier l’a menacé à la terrasse d’un café le 10 août 2021 :

    « Ce mec se fait de l’argent sur le dos de personnes qu’il humilie et il ne les choisit pas au hasard : des femmes, des ados, des “cheveux bleus”, des “hommes soja” comme il dit… »

    Comprendre les personnes LGBT+ qui se teignent les cheveux pour les premiers et les écolos ou bobos pour les seconds.

    Quelques semaines plus tard, le 8 mars 2023 (journée mondiale pour les droits des femmes), il a été condamné pour violences conjugales à six mois de prison ferme aménageables et six mois avec sursis. Il lui était reproché d’avoir manipulé devant son ex-compagne un couteau à cran d’arrêt, d’avoir exhibé un fusil d’assaut face à elle et proféré des menaces de mort. « Je vais te brûler et faire passer ça pour un accident », « si tu me quittes, je te coupe la tête », « je vais te soigner avec une balle », note la journaliste Elisa Artigue-Cazcarra, qui a retranscrit l’audience pour Sud Ouest. Elle confirme à StreetPress que la petite amie en question ne s’est pas constituée partie civile et n’était pas présente au tribunal. L’arsenal de chasse de Maxime Alexandrov a été confisqué par les autorités. Il doit suivre des soins et il lui est interdit de détenir une arme pendant cinq ans. Il a fait appel de cette décision (2). Quelques mois plus tard, le 23 août, sa compagne va revenir sur son témoignage, affirmant qu’elle n’avait pas reçu de coups et que l’enregistrement audio sur lequel on entendait Maxime Alexandrov n’avait « rien de sérieux, car ils s’amusaient souvent à raconter n’importe quoi pour se divertir ». Le 29 février, la cours d’appel de Bordeaux a prononcé la relaxe totale du youtubeur et a ordonné la restitution des armes saisies.

    À LIRE AUSSI : Baptiste Marchais, le youtubeur faf vu chez Hanouna

    « Il y a des fragiles partout »

    Quand il repense à l’époque des canulars, Maxime Alexandrov assure à StreetPress qu’il poursuivait déjà le même objectif qu’aujourd’hui : « Élever les gens qui [le] suivent ». Gagner de l’argent, s’habiller « élégamment », anticiper les « red flags féminins », « booster sa testostérone »… Son tout nouveau projet, le programme Alpha, promet d’enseigner « tout ce que l’école ne vous apprend pas ». En quelques mois, La Menace a campé un personnage neuf de dandy flambeur, comparé tantôt à Thomas Shelby dans Peaky Blinders, tantôt à l’excentrique Jean-Claude Van Damme. Des vidéos « pépitaresques », selon sa propre expression, le montrent à Dubaï faisant rugir le moteur d’une Ferrari et sur un jet ski en costume. À Cannes (06), on le voit en peignoir au bord d’une piscine, arborant sa deuxième Rolex. À Bordeaux (33), où il habite, acheter un manteau en renard à 20.000 euros pour sa compagne ou inviter le champion de MMA Paul Denas à manger de la viande maturée à 750 euros le kilo. Ou encore brûler une paire de baskets à 200 euros, avec ce commentaire provocateur et méprisant pour toute une génération de jeunes : « Comment bien porter des TN ? » Souvent, il parade dans la rue, prend des selfies avec ses fans et distribue des billets verts à des personnes SDF. L’occasion de glisser quelques-uns de ses préceptes. « En France, t’as eu 30-40 ans de progressisme, c’est pour ça qu’aujourd’hui il y a des fragiles partout », s’insurge-t-il auprès d’un ado interpellé au hasard, après lui avoir offert un portefeuille Louis Vuitton.

    En parallèle des contenus « lifestyle », La Menace a ouvert des comptes plus virulents mais moins suivis (Alpha by La Menace, 91.000 abonnés). Il y relaie des prises de parole de personnalités d’extrême droite, la plupart nord-américaines : l’influenceur et kickboxeur Andrew Tate, mis en examen en juin 2023 pour trafic d’êtres humains, le journaliste Ben Shapiro, cofondateur du site d’extrême droite The Daily Wire, le podcast Fresh and Fit dont l’un des animateurs a récemment écrit : « Pourquoi les femmes méritent moins »… avec dans le viseur les luttes féministes et LGBTQI+. « Ne clique pas si ton pronom est “iel” », avertit Maxime Alexandrov dans la description de son compte TikTok. Quatre mois après sa condamnation pour violences conjugales, il aborde le sujet de la rupture amoureuse sur TikTok avec froideur. « Fais de toi un sauvage grâce à la douleur que t’a causé cette gonzesse », lance-t-il à ses internautes depuis sa voiture à Dubaï, où, dit-il, « il n’y que des putains d’avions de chasse ». À la même période, dans une interview accordée au média Omerta, soupçonné d’être financé par Moscou selon Le Point, l’influenceur se lâche encore : « Aujourd’hui on prône l’égalité alors que biologiquement on n’est pas égaux. On me pose souvent la question : si une femme gagne plus que toi ? Ça me rendrait inconfortable, je ne me sentirai pas bien dans mes baskets (…) Le rôle de la femme est (…) d’habiller son mari, de repasser ses chemises, de faire à manger, de faire la vaisselle. » Un extrait de cette vidéo a été relayé et loué par Alex Hitchens, gourou de la séduction misogyne.

    À LIRE AUSSI : Le virage « tradwife » de Thaïs d’Escufon

    Parmi ses comptes préférés : Papacito et Orsu Corsu

    Sur Instagram, dans la quarantaine de comptes que suit La Menace, apparaissent le militant et youtubeur d’extrême droite Papacito ou le freefighter et militaire néonazi Maxime Bellamy. Autre indice, pour la messe de Noël, le vidéaste s’est rendu à l’Église Saint-Eloi de Bordeaux, connue depuis un reportage des Infiltrés sur France 2 (« À l’extrême-droite du Père », 2010) pour avoir accueilli dans ses sous-sols le groupuscule de catholiques intégristes Dies Irae. La Menace se laisse aussi aller parfois à commenter l’actualité : « Au vu des émeutes et plus généralement de l’insécurité en France, je n’ai pas confiance en l’État. Je n’ai jamais appelé la police. Je m’entends très bien avec la police. Ils aimeraient faire bien mais ils n’en ont pas la possibilité. »

    Pourtant, quand on l’interroge sur ses velléités politiques, il botte en touche. « La politique n’est pas mon axe directeur, je ne me dis pas politisé, j’évite », répond-il à StreetPress :

    « Je suis un être humain qui répand sa pensée et qui veut une France meilleure. Mes valeurs sont certes conservatrices, mais je suis avant tout une personne droite, pas de droite. »

    En loup solitaire, Max La Menace veut rassembler une communauté de réactionnaires, à la fois à distance des groupes identitaires et hurlant avec eux.

    À LIRE AUSSI : Estelle RedPill, la TikTokeuse préférée de la fachosphère

    Il assume aussi une certaine adoration pour Poutine. Sur une photo récente, il porte un t-shirt où sont imprimés les yeux de l’homme d’État, à qui il reconnaît « un charisme exceptionnel » – la marque de ce haut, Konservateur, vend des casquettes « FAF » et « I love Jean-Marie Le Pen ». Au téléphone, l’influenceur raconte qu’il aurait passé les quinze premières années de sa vie en Russie, avant de s’installer en France pour suivre des études d’ostréiculture en Charente-Maritime. « La société russe n’est pas encore en déclin comme la société française », assure-t-il à StreetPress. « Là-bas, dans le bus, tous les hommes se lèvent pour laisser leur siège aux personnes âgées. » Autre source d’inspiration pour lui : son père, qui serait propriétaire d’un domaine viticole en Arménie. Le rejeton y a consacré une vidéo. « Les gens étaient choqués que je serre la main à mon père. Si je montre la façon dont j’ai été éduqué à une personne lambda, elle me dira qu’il faut porter plainte », s’amuse-t-il, avant de poursuivre son narratif :

    « C’est comme ça que ça fonctionne à l’Est. Il n’y a qu’en Occident et aux États-Unis qu’il y a cette parentalité positive qui donne des espèces d’endives qui marchent avec des sacs bio-organiques et achètent des bananes Fairtrade. »

    Un business sur Onlyfans et Myms

    « C’est une stratégie maligne », observe un youtubeur influent qui préfère garder l’anonymat pour s’épargner un déferlement de haine sur les réseaux. « Comme Le Raptor, il ne revendique aucune appartenance à un groupe parce que ce qu’il veut faire avant tout, c’est du pognon. » La nouvelle formation Alpha est-elle rentable ? « Les chiffres sont confidentiels », réplique La Menace à StreetPress, qui s’inquiète surtout de l’engouement constaté sur les réseaux sociaux. « Alpha est un projet purement altruiste. » Comme sa marque de vêtements éponyme, qui d’après lui s’autofinance. De toute évidence, il paye le prix de son changement de ligne éditoriale : ses dernières vidéos cumulent deux à trois fois moins de vues qu’auparavant. « Je n’ai jamais fait d’argent grâce à YouTube, mon contenu était trop viril », rétorque-t-il à StreetPress. « Mais l’argent est un levier primordial dans le monde actuel, il permet la sécurité de son foyer. » Heureusement pour lui, La Menace a plusieurs cordes à son arc. En plus de formations entrepreneuriales (« Alpha Gold ») à plusieurs milliers d’euros, il organise des « money reveal » gratuits pour transmettre les clefs de sa réussite et donner l’eau à la bouche à de jeunes ambitieux et crédules.

    « J’étais un bon à rien », confie dans un live du 8 octobre 2023 celui qui se veut proche des gamins en galère. « Je buvais, je fumais, j’ai été viré de quatre établissements scolaires. J’ai dormi sur un matelas pendant six mois, vécu dans un squat et été livreur chez Uber Eats », explique-t-il, avant d’ajouter :

    « Je ne voulais plus être la pute d’un patron. Les gens qui ne croyaient pas en moi aujourd’hui me sucent les couilles. Les pauvres qui vous critiquent on les encule. »

    Récemment, il s’est lancé sur un nouveau secteur : les agences controversées sur les plateformes porno-érotiques Onlyfans et Myms. Très à la mode, ces agences démarchent de jeunes femmes sur les réseaux sociaux pour les faire travailler en tant que modèles…« des muses qui vont imprimer des billets pour vous », selon l’expression de La Menace. « Elles ne sont jamais forcées de faire ce qu’elles ne veulent pas faire », insiste-t-il, face aux accusations de proxénétisme de ses followers :

    « Les hommes ont des besoins physiologiques : dormir, manger et se vider les couilles. Onlyfans permet de combler ce besoin. »

    Tel un professeur, il poursuit : « Mais attention, ce ne sont pas des hommes de haute valeur qui vont sur ces sites-là. Eux, c’est des gros bouffons qui payent des connasses. C’est aux antipodes de ce que j’essaie d’inculquer ». StreetPress n’a pas eu le temps de discuter de cette grande leçon avec lui. La Menace devait raccrocher, sa compagne l’appelait pour déjeuner.

    À LIRE AUSSI : Valek, précurseur de la nouvelle vague de la fachosphère

    Illustration de Une par Caroline Varon.

    (1) Mise à jour le 06/02 : Dans une première version, nous avions écrit que Robert Faurisson était révisionniste.
    (2) Edit le 30/08 : Maxime Alexandrov nous a transmis la décision rendue par la cours d’appel de Bordeaux que nous avons intégré au papier.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€ 💪
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER