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    03/10/2023

    « Maintenant, c’est dur pour tout le monde »

    Des bidonvilles aux centres-villes : « Mayotte a soif »

    Par Cyril Castelliti , Gregoire Mérot

    Restriction de l’eau, fermeture de classes, factures exubérantes, eau non potable… Mayotte s'enfonce dans une crise de l'eau aux conséquences dramatiques dans les quartiers les plus précaires.

    Mamoudzou, Mayotte (976) – « On veut de l’eau. » Pancarte dans une main, bouteille vide dans l’autre, des centaines de manifestants convergent vers le centre de Mamoudzou, ce mercredi 27 septembre 2023. Objectif : dénoncer la gestion de la crise de l’eau et ses responsables. « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous », peut-on lire sur plusieurs affiches. La phrase est de l’homme politique burkinabé et héros africain décédé Thomas Sankara, qui résonne avec justesse pour la population mahoraise, soumise à un manque de ressources inédit.

    Mayotte est concernée par des pénuries depuis 2016. Le rythme des coupures s’est intensifié et ne laisse désormais que deux jours d’eau courante par semaine. Écoles, hôpitaux, foyers : tout le monde est concerné. En cause, une sécheresse sans précédent, doublée d’un grave manque d’anticipation des pouvoirs publics. En fond, il y a aussi des scandales à répétition, mêlant absence de suivi et détournement de fonds.

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    Des centaines de manifestants convergent vers le centre de Mamoudzou, ce mercredi 27 septembre 2023. / Crédits : Cyril Castelliti

    « Maintenant c’est dur pour tout le monde. C’est triste. » Fazdati (1) a 20 ans et habite à 30 kilomètres au sud du chef-lieu, dans un village précaire, haut perché où la plupart des maisons n’ont pas l’eau courante. Les sévères restrictions des dernières semaines révèlent en réalité la précarité d’une partie de la population. Au moins un tiers des habitations n’a pas d’eau courante :

    « Avant, c’était dur seulement pour nous et tout le monde s’en fichait. Peut-être que ça va enfin bouger si tout le monde a soif… »

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    « Eau secours, Soif qui peut ! » Mayotte est concernée par des pénuries depuis 2016. Le rythme de coupures s’est intensifié et ne laisse désormais que deux jours d'eau courante par semaine. / Crédits : Cyril Castelliti

    Le quotidien de l’île impacté

    « Fermez votre compteur d’eau plusieurs jours d’affilée et vous verrez ce que ça fait ! » s’énerve Racha Mousdikoudine, coordinatrice du mouvement Mayotte a soif, à l’initiative du rassemblement. Depuis juillet et le début de la crise, son domicile sur les hauteurs du quartier des Badamiers, en Petite-Terre, n’est quasiment plus alimenté en eau. Elle est contrainte de remplir des bassines en contrebas. « On vit avec nos excréments sans pouvoir tirer la chasse d’eau. » Après plusieurs jours coupée, l’eau qui arrive dans les robinets des maisons est bien souvent marron et non potable à la réactivation du réseau.

    La femme de 34 ans et ses bénévoles rassemblent les pièces administratives de manifestants, pour poursuivre la Société mahoraise des eaux (SMAE), filiale de Vinci. L’un des premiers objectifs de l’événement est d’imposer l’annulation des factures, qui continuent de gonfler malgré les coupures.

    Plus loin, l’entrepreneuse et personnalité médiatique, Jane Jaquin, a du mal à répondre à toutes les sollicitations. Dès l’annonce des coupures de 48h, elle a lancé le visuel : « Mayotte a soif », sur ses réseaux sociaux. Elle en a ensuite fait des t-shirts, que de nombreuses personnes portent aujourd’hui. « Mon quotidien, c’est de stresser car je n’ai plus de linge propre. » Jane Jaquin s’est également résignée à se couper les cheveux pour limiter sa consommation d’eau et de produits. Elle, la présentatrice emblématique du rendez-vous capillaire mahorais, l’émission Cheveux chéris. Un choix qu’elle dit « écologique et économique ».

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    Les sévères restrictions des dernières semaines révèlent en réalité la précarité d’une partie de la population. Au moins un tiers des habitations n’a pas d’eau courante / Crédits : Cyril Castelliti

    Des institutions en sous-France

    « J’ai mis quatre heures pour récupérer une seule bouteille lors d’une distribution », s’indigne un jeune homme. Il y a les gestes perturbés du quotidien, mais aussi la nécessité d’eau potable. À Mayotte, un département où 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté, le pack de six bouteilles d’eau affiche des prix exorbitants : entre cinq et 10 euros. Alors le ministre délégué chargé des Outre-mer, Philippe Vigier – qui vient de débarquer en catimini pour une visite de deux jours –, a promis la distribution d’eau en bouteille. Une première action déployée en priorité par le gouvernement, qui en a commandé plus de cinq millions. Mais pour ce manifestant, les démarches sont trop compliquées et les queues infinies.

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    « J'ai mis quatre heures pour récupérer une seule bouteille lors d'une distribution », s’indigne un jeune homme. / Crédits : Grégoire Mérot

    Le calvaire continue dans les écoles. « On avait déjà des conditions d’hygiène et d’accueil déplorables. Là, c’est catastrophique », déplore le secrétaire général de la CGT Educ’action Mayotte, Bruno Dezile, qui n’a pas attendu la crise de l’eau pour tirer la sonnette d’alarme. Les collèges et les lycées sont censés être raccordés en eau malgré la pénurie. « Mais elle n’est pas potable », dénonce-t-il. Leurs alertes sont restées sans réponse :

    « Il a fallu mettre la pression sur le rectorat pour fermer les établissements lorsqu’ils n’étaient plus alimentés. »

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    Le ministre délégué chargé des Outre-mer, Philippe Vigier a promis la distribution d'eau en bouteille. / Crédits : Grégoire Mérot

    « L’hôpital a soif », s’indigne Echati M’chami, syndicaliste CGT au sein du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), le seul de l’île. Le service de maternité périphérique est impacté par le manque d’eau. « On a commandé des citernes, mais leur eau n’est pas potable. Chez les patients, on assiste à une augmentation de diarrhées aiguës et des infections dermatologiques… » Un drame particulièrement visible dans les quartiers précaires.

    La crise de l’eau permanente

    Fazdati dévisse le bouchon d’un jerrican bleu. Elle est de corvée d’eau, un exercice éprouvant et périlleux auquel se plient tous les jours les habitants de son village de Mtsamoudou. Il faut grimper un coteau pour arriver dans son quartier : une trentaine de cases en tôle surplombant un terrain de foot aride, qui ne semble plus avoir connu un brin d’herbe depuis des siècles. La vingtenaire fait le plein à la borne fontaine, avant de rejoindre sa maison, une centaine de mètres plus loin.

    Une très fine minorité des maisons voisines a l’eau courante ou l’électricité. « Ici, ça a toujours été la galère. » Fazdati emprunte une longue côte rocailleuse pour retrouver sa mère, Hadidja (1). Les deux femmes déversent le précieux liquide dans la réserve familiale : une citerne de 150 litres, qu’il faut remplir toutes les semaines pour la consommation des sept membres de la famille (2).

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    Fazdati fait le plein à la borne fontaine, avant de rejoindre sa maison, une centaine de mètres plus loin. / Crédits : Grégoire Mérot

    La mère de famille habite là depuis plus de 20 ans. « Avant, nous avions un arrangement avec des voisins qui habitent des maisons en dur : ils étaient d’accord pour qu’on se branche chez eux et on partageait la facture. » Mais en 2016, Mayotte connaît sa première grande crise de l’eau et les robinets des particuliers, particulièrement dans le sud de l’île, sont à sec plusieurs jours d’affilée. « À cette époque, beaucoup disaient que c’était de notre faute. » Hadidja et sa famille sont Comoriens, comme la plupart des habitants des bidonvilles de l’archipel français. Une communauté historiquement stigmatisée et victime de racisme. « Ça a créé des tensions. Alors les habitants ont arrêté de nous fournir ». La matriarche s’adosse au poteau de sa terrasse, dernière amélioration en date de la petite maison en tôle. Après un silence, elle confie à quel point leur quotidien s’est compliqué.

    Pendant plusieurs années, les habitants du village se débrouillent comme ils le peuvent : certains captent directement l’eau d’une rivière sans doute polluée ; les plus vaillants se fournissent à une lointaine borne fontaine, qui nécessite plusieurs heures pour s’y rendre et en revenir, tous les jours. Pendant un temps, d’autres puisaient des seaux dans une source au pied du quartier. Elle est désormais tarie.

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    Pendant plusieurs années, les habitants du village se débrouillent comme ils le peuvent : certains captent directement l’eau d’une rivière sans doute polluée ; les plus vaillants se fournissent à une borne fontaine. / Crédits : Grégoire Mérot

    Les bulldozers

    « C’était très dur, alors les mamans ont décidé de s’organiser pour réclamer une borne plus proche », se rappelle Hadidja. « C’était en quelle année déjà… ? » « 2020-ti ! » répond une autre maman depuis sa maison, derrière les tôles brûlantes. Cette même année, l’Agence régionale de santé (ARS) et le Syndicat des eaux décident de l’installation de dispositifs payants d’accès à l’eau potable près des quartiers défavorisés, dans l’espoir de stopper la propagation de maladies oubliées en Europe. La peste, le choléra ou la fièvre jaune restent endémiques dans le département le plus pauvre de France.

    Le récit local veut que les mamans aient obtenu, à force d’acharnement, l’installation de la borne. « Ça a été un soulagement », raconte la mère. « C’était encore fatigant », répond sa fille, qui lui remémore les heures de queues perdues en plein cagnard. Aujourd’hui, l’attente était moins longue. Le mois dernier, les autorités ont installé cinq robinets supplémentaires – appelés des rampes d’eau potable – pour enrayer la consommation de l’eau des rivières, non traitée ou stagnante.

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    Le récit local veut que les mamans aient obtenu, à force d’acharnement, l’installation de la borne. « Ça a été un soulagement », raconte Hadidja. « C’était encore fatigant », lui répond Fazdati. / Crédits : Grégoire Mérot

    Des conditions qui restent précaires, mais auxquelles les habitants n’ont pas d’autres choix que de s’en accommoder. Surtout que le quartier est désormais menacé de démolition par la préfecture de Mayotte. « On va devenir quoi ?! » Hadidja a peur. Si l’eau s’est arrêtée de couler partout dans l’île, les bulldozers continuent à démolir les bidonvilles dans le cadre de l’opération Wuambushu, dont les objectifs ne sont pas atteints. « C’est terrible, c’est ma vie qui s’effondre, tout ce qu’on a construit, même si ce n’est pas beaucoup. » Lancée en mai dernier par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, la gigantesque opération de lutte contre l’immigration illégale a provoqué l’expulsion de milliers de sans-papiers et la destruction de bidonvilles. La matriarche tranche :

    « Je crois que je préfère mourir de soif. »

    (1) À la demande de la famille, les prénoms ont été modifiés.

    (2) La consommation moyenne des ménages modernes mahorais est de 95 litres d’eau par jour et par personne. Selon Solidarités international, ONG spécialisée dans l’accès à l’eau, la consommation dans les quartiers précaires de Mayotte représente quant à elle 15 litres d’eau quotidiens par personne. Les rampes d’eau, régulièrement dénoncées par une partie de la population comme un accès indu et une source de gabegie hydrique qui, en 2022, représentaient 1% de la consommation de l’île.

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