« Kerchak, Favé, HD La Relève, Thahomey, Joysad,… » Assis à la terrasse du Magnolia, dans le 20e arrondissement de Paris, Vicelow énumère sur les doigts de sa main les artistes qu’il accompagne aux Ardentes. Le festival liégeois réunit sur une même programmation une centaine de rappeurs francophones. Pendant quatre jours, et pour la seule fois de l’année, tous performent les uns à côté des autres :
« C’est devenu le rendez-vous annuel où il ne faut pas se taper la honte. Ah oui, ça en fait suer plus d’un ! »
Depuis 2018, Cédric Bélise – de son vrai nom – s’est lancé dans le coaching scénique, un nouveau métier de l’industrie du rap. L’Accord arena de Niska, le Nouveau casino de So La Lune, ou la Cigale de SDM : il a participé à monter tous ces shows et à aider les artistes à se préparer. « C’est un honneur de travailler avec lui », commente SDM, certifié double platine et signé chez 92i. « Je ne me rendais pas forcément compte de sa carrière. J’ai découvert qu’il était une bête de scène. »
Vicelow dans son clip Jamais. / Crédits : DR
Le « tonton », comme il l’appelle, est un ancien du groupe mythique Saïan Supa Crew. « J’ai trois grands frères et quatre grandes sœurs. Donc Angela et les tubes du Saïan, ça tournait chez moi », raconte la superstar Tiakola, avec qui il collabore également. Début 2000, les six membres écument les scènes pour se faire un nom. « Leur ascension a été fulgurante, en partie grâce à la singularité de leur show. C’était des phénomènes », assure Anne-Sophie Gadray, leur tourneuse de l’époque. « On était avant-gardiste, on a marqué le milieu quelque part », assure Vicelow, avant de poursuivre :
« Aujourd’hui, ça m’épanouit de prendre les petits frères sous mon aile, pour leur faire gagner du temps. »
Vicelow accompagne Joysad pour le festival les Ardentes. / Crédits : Pauline Bajzak
La gestu’…
Vicelow, 45 ans, est posé, bavard. Il se souvient de tous ses coachings, a un mot doux pour chaque artiste, même ceux avec lesquels il a brièvement travaillé (1). « Luidji, en termes de narration et de proposition artistique, c’est un des plus chauds. » Gazo ? « C’est une autre école : il arrive avec son flow, sa gestu’, ses tubes. Il faut presque canaliser le délire. » Passionné, il pointe aussi ce qu’il reste à perfectionner, pour « poser un truc et faire monter la culture ». Tous n’ont pas la même appétence pour le live, il le sait, et prend l’exemple du mélodieux So La Lune. « Le man, c’est pas son truc la scène. Mais il est lucide et respectueux, un bel humain. Il sait que c’est son travail de rencontrer son public ». Après une pause, il contextualise :
« Le coaching commence toujours avec un scanning de la personnalité de l’artiste. Pour comprendre quels sont ses besoins. »
« J’étais bloqué comme si j’étais un juke-box », se souvient SDM. « Il m’a aidé à parler au public et à passer du studio à la scène. » Quand il prépare sa première tournée en 2021, avec en point d’orgue sa date parisienne à la Cigale – 1.500 places – il fait appel à Vicelow pour préparer sa scénographie. « C’est beaucoup de travail. Quand il vient pour bosser, il peut être fatigant. Mais il met de l’amour dans ce qu’il fait. » Vicelow coache le rappeur, mais aussi son backeur et son DJ. Ils construisent ensemble une trame : une intro pour débuter le show, l’ordre des morceaux, ils ajoutent un pianiste, des arrangements, les moments de discussion avec le public, travaillent les automatismes de déplacements pour occuper la scène. « Le pire, c’est l’essuie-glace : courir de droite à gauche. Il faut s’ancrer », assure le coach, animé, qui enchaîne les poncifs à éviter. « Bosser avec des grands ce n’est pas facile : ils ne restent pas droits, ils ont tendance à se courber. » Le mentor hyper investi le suit sur ses premières dates. « Il était même impliqué sur les lights ! », rit SDM, reconnaissant de l’accompagnement :
« Il m’a grave embelli mon show. Sans mettre des feux d’artifice, on a créé quelque chose de fort qui me ressemble. »
Aujourd’hui, le rappeur ne se voit pas commencer une nouvelle tournée sans écouter ses idées. « Il fait partie de l’équipe de fou. Il amène une bonne vibe. »
« Kershak, Favé, HD La Relève, Tahomé, Joysad,… » Vicelow énumère sur les doigts de sa main les artistes qu’il accompagne aux Ardentes. / Crédits : Pauline Bajzak
… Et l’esprit
Ce sont les tourneurs, parfois les managers, qui font appel au coach. Ils ne sont d’ailleurs pas nombreux dans le milieu. Rémi Corduant, cofondateur de la nouvelle structure dédiée au live Nouëva Productions, est le plus ancien et sûrement le plus connu. Le rappeur OGB, backeur historique de Kery James et membre de la Mafia K’1 Fry, a encadré quelques artistes en développement. « Aujourd’hui, une carrière peut démarrer très vite et de jeunes artistes sont jetés dans le grand bain sans avoir jamais fait de scène. » Témoin des angoisses et des doutes des artistes, parfois avant leur monter sur scène (1), il assure :
« Tes complexes sont multipliés par 100 sur scène. C’est pour ça que l’aspect psychologique est hyper important. »
Il n’aime d’ailleurs pas le terme de coaching scénique. Trop restrictif. Il préfère le titre de « live mentor ». Il prend l’exemple de Tiakola, qu’il suit depuis 2020, un moment où l’artiste s’épanouit encore avec son groupe 4Keus. « Sa grande timidité est ressortie : il n’avait plus ses potes », traduit Vicelow. « Ça a été clairement un gros point au début de mon travail », abonde Tiakola par message. L’artiste ajoute :
« En solo, on ne peut compter que sur soi-même. Le public ne regarde que moi, si je ne suis pas à 100%, ça se verra beaucoup plus. »
Hyper motivé, le jeune homme prend aussi des cours de chant et digère rapidement les conseils. « Ce sont beaucoup de petites remarques qui, mises bout à bout, font vraiment progresser et changent la donne. » À Vicelow d’ajouter :
« J’ai des raisons de le comprendre. Moi aussi je me suis construit avec mes gars. »
47Ter, Meryl, Zamdane,... le name dropping est trop long pour être exhaustif. Une cinquantaine de mentorings plus tard, Vicelow le répète et l’affirme : « Je me sens beaucoup plus épanoui en donnant aux autres. En tant qu’artiste, j’étais refermé sur moi-même, sur mon nombril. » / Crédits : 73shot
Scène par scène
Retour en 1999. Vicelow a 21 ans et forme le Saïan Supa Crew avec Féfé, Leeroy, Specta, Sly Johnson et Sir Samuel. Une bande qui s’est en partie trouvée sur scène. « On avait soif. » Scène après scène, salle après salle, ils construisent leur succès. « On arrivait avec des chapeaux, des tenues bizarres à la Busta Rhymes. » L’un fait du beatboxing, d’autres chantent, tous ont des influences musicales éclectiques. Ils sont bientôt repérés par la télé. Les Taratata – programme musical culte animé par Nagui –, les émissions de Canal+, Hit Machine et même les JT réclament le Saïan. « Une fois qu’il y a eu les tubes, BOUM c’était lancé ! », contextualise Anne-Sophie Gadray, gérante de la société de production À gauche de la Lune, qui a été leur tourneuse. Leur premier album KLR est disque d’or, le second est couronné d’une victoire de la musique. Ils y concourent également dans la catégorie meilleure tournée.
« Ils étaient facétieux », sourit Anne-Sophie Gadray. « Ils avaient 20 balais et vivaient une histoire extraordinaire. Et en même temps quand il s’agissait de bosser, ils étaient là. » Ils préparent des chorégraphies et des saynètes. « On était happés, qu’on connaisse ou pas. Ils emmenaient les gens dans leur euphorie. » Quant au rôle de Vicelow dans le groupe, il s’exclame :
« Moi ? J’étais un gremlins ! J’étais le mec qui se mettait torse-nu et qui courait partout ! Je faisais du crossfit sur scène ! »
Angela
Raz-de-marée, La preuve par trois, mais surtout Angela, sont des cartons. « Angela a été un morceau tellement puissant qu’il a effacé une partie de notre univers. » Le morceau porte une partie de l’histoire de Vicelow et de ses origines guadeloupéennes. Les congés bonifiés et les voyages tous les quatre ans sur l’île avec sa mère, agente administrative dans un hôpital, l’ont inspiré. Des années plus tard, le morceau est repris par le français Hatik, et redevient un tube : le single est disque de diamant (500.000 ventes). Autre reprise, celle de la superstar colombienne J Balvin, sur le morceau Amarillo : 174 millions de vues sur YouTube. « On tournait beaucoup sur la chaîne MCM, diffusée aux Caraïbes et en Amérique du Sud », contextualise Vicelow, pas plus enthousiaste que ça. Les deals négociés quand il avait 20 ans sont « plein de carottes », et le succès musical ne s’est jamais traduit financièrement.
À la fin de la décennie 2000, le contrat qui lie les six membres du Saïan se termine. « Il y a eu un long moment de frottement avant la fin. Je l’ai vraiment très mal vécu. » Elle coïncide avec la fin d’amitiés qu’il pensait inébranlables. Les tensions s’intensifient. Vicelow, impulsif, a parfois provoqué pour crever l’abcès :
« J’étais une grande gueule, prêt à être piquante pour que les gens réagissent. Je ne supportais pas les non-dits. C’est toujours le cœur qui parle, mais je ne dis pas que le cœur a raison. »
Un membre a quitté le groupe, et deux, puis trois. Sans annonce, dans un silence pesant, le Saïan Supa Crew a disparu. Vicelow fait partie de ceux qui ne sont pas partis. « J’étais matrixé par le Saïan. Ma personnalité était basée là-dessus, qu’est-ce que je fais ? Les moments les plus durs de ma vie, je les ai vécus à ce moment-là. »
« Le coaching commence toujours avec un scanning de la personnalité de l’artiste. Pour comprendre quels sont ses besoins », raconte Vicelow. / Crédits : 73shot
De nouvelles victoires
Il retrouve le public quelques années plus tard, avec sa mixtape en solo Blue Tape. Il fait appel à des amis danseurs, pour compléter son show et partager la scène, encore. De fil en aiguille, Vicelow retombe dans sa première passion : la danse. Il se souvient de son enfance à Bondy (93). Dans sa chambre, il décortique méticuleusement les shows de Michael et Janet Jackson. « Je me butais à ça ! Quand il chantait, qu’ils dansaient, les jeux de regard, le décor, les lumières. Quand t’as ça comme référence, tu ne peux que viser haut. » Dans la fratrie de sept, les grands frères dansent. À 10 ans, ils le font monter sur scène pendant leur spectacle de modern jazz. Sa vraie première fois. « J’étais paniqué. »
Fin 2008, il crée I Love This Dance, un concept de battles qui devient des soirées, puis un festival. Lui ne danse pas, mais endosse le costume de maître de cérémonie. L’événement prend de l’ampleur et Vicelow se laisse embarquer par le challenge :
« Ça a changé ma vie : je me suis rendu compte que de nouvelles réussites dans de nouveaux milieux étaient possibles. »
Dix éditions plus tard, la marque a supplanté son nom. Son exposition n’a rien à voir avec l’époque du Saïan. En parallèle, on lui propose ses premiers mentorings, épisodiques à l’époque : Set&Match en 2012, Panama Bende en 2016, Isha en 2017, L’ordre du Périph en 2018, Koba la D en 2019 « Il n’a d’ailleurs pas été très intéressé par le coaching, son backeur en a plus profité… ». Jusqu’en 2020, où il décide de se consacrer pleinement à ce nouveau métier :
« J’ai fermé ma parenthèse : mes cahiers, mes micros, je les ai mis dans une boîte que j’ai rangée dans un tiroir. Et j’ai soufflé. »
Vicelow n’aime d’ailleurs pas le terme de coaching scénique. Trop restrictif. Il préfère le titre de « live mentor ». / Crédits : Pauline Bajzak
Sérum de jouvence
47Ter, Meryl, Bekar, Timal, Kanoë, Tuerie, Zola, Made in Paris, Zamdane, le name dropping est trop long pour être exhaustif. Une cinquantaine de mentorings plus tard, Vicelow le répète et l’affirme :
« Je me sens beaucoup plus épanoui en donnant aux autres. En tant qu’artiste, j’étais refermé sur moi-même, sur mon nombril. »
Souvent, les jeunes qu’il accompagne ne connaissent pas l’étendue de sa carrière. « Ça peut pincer un peu, c’est clair. Mais le travail que je fais sur les coachings et mon ego rend une meilleure version de moi. » Il n’a qu’un mot à la bouche : « transmission ». « J’y vois un lien avec la banlieue : dans les MJC, il y avait des grands, on a eu ce truc générationnel de pouvoir suivre et apprendre d’eux. Aujourd’hui, je suis devenu un tonton et j’aime transmettre de cette façon. »
Ses expériences l’ont apaisé. Il ne s’interdit pas de rouvrir le tiroir, et de reprendre le micro. Mais pour le moment, Vicelow voudrait continuer à élargir son métier et proposer des directions artistiques, des scénographies, monter des spectacles. Il l’a déjà fait :
« Toute cette new gén’ est un sérum de jouvence. J’ai les nouveaux flows en premier, des discussions hyper enrichissantes avec eux. Je suis fière de transmettre et de continuer à grandir. »
Illustration de Une de Caroline Varon
(1) Une tournure a été modifiée, pour plus de clarté ou pour ne pas nuire à l’intimité d’un artiste, à la demande de Vicelow.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER