Dans la voiture banalisée qui l’amène au centre de rétention administrative (Cra) du Mesnil-Amelot (77), Fodé fond en larmes. Il se « remémore la guerre et la violence au Mali », raconte-t-il. Fodé prie « pour ne pas y retourner ». Quatre policiers l’encadrent : « Un à l’avant, deux à l’arrière ». D’une voix émue, il raconte :
« Je leur posais des questions sur le Cra, je sanglotais, j’avais peur. J’ai fini par arrêter de parler, j’étais en état de choc. »
Fodé a 30 ans. Il est étudiant en sociologie à l’université de Clermont-Ferrand (63). Arrivé en France le 15 août 2014, il est parti du Mali afin d’avoir « une vie meilleure », le jeune étudiant « a fui le premier coup d’État » de son pays. Le 10 mai, il est convoqué au commissariat pour une « vérification d’identité », sur demande de la préfecture de Bobigny (93). Fodé est en situation irrégulière. Il est placé en garde à vue pendant 48 heures, avant d’être conduit au Cra du Mesnil-Amelot.
Fodé a « énormément de lacunes » à la fac, explique d’un ton un peu gêné l’étudiant en sociologie. Selon la préfecture, « il ne progresse pas assez dans son cursus scolaire ». Il a en effet redoublé deux fois sa première année de licence. Pas facile pour ce jeune malien de rattraper son retard scolaire et de subvenir à ses besoins. En plus de ses études, il bossait comme agent de sécurité à Clermont-Ferrand.
Tout juste après le décès de son père, au début de l’année 2022, Fodé reçoit une première obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui pousse son employeur à le mettre à la porte. Pour l’étudiant, c’est un coup de massue. Mais il n’abandonne pas pour autant. En janvier, il décide de se rendre à Paris. Il rejoint alors son frère au foyer du Gros Saule à Aulnay-sous-Bois (93). Il projette de bosser quelques mois avant de reprendre ses études, dit-il. C’est « pour cela » qu’il est « venu en France ». Pourtant, le sort va en décider autrement. Au début du mois de mai 2022, il reçoit une seconde OQTF assortie d’une interdiction de retour sur le territoire (IRTF). Quelques jours plus tard, le 11 mai, il est placé en centre de rétention. 48 heures après son arrivée au Cra, il est convoqué au tribunal pénal de Paris qui refuse sa libération. Un premier recours est rejeté par le tribunal de Montreuil (93). Son avocate décide de faire appel. Aujourd’hui, Fodé est toujours incarcéré en centre de rétention, en attente de la décision. Si le tribunal rejette le second recours, il sera expulsé sans délai vers le Mali.
Mamoudou vit actuellement dans un foyer à Vitry-sur-Seine. Âgé de 20 ans, il a, tout comme Fodé, fui le Mali. / Crédits : Lucie Mamouni
Mobilisation
Fodé n’est pas le seul étudiant à vivre avec la peur d’être expulsé. Le 17 mai 2023, quelques dizaines de personnes se sont réunies sur le parvis de la préfecture du Val-de-Marne, à Créteil (94). Étudiants, professeurs et militants sont venus soutenir Maciré, Mamoudou et Abdoul. Ces jeunes lycéens étrangers, val-de-marnais, ont tous les trois reçu une OQTF au printemps.
« Les OQTF contre les lycéens et étudiants se sont multipliées dans le département », dénonce Pablo, syndicaliste à Réseau d’éducation sans frontières 94. Au milieu des tam-tams et des banderoles des collectifs de sans-papiers de la Poste, les étudiants étrangers du Val-de-Marne prennent à leur tour la parole, pour raconter leurs histoires. Tous les trois espèrent un titre de séjour qui leur permettrait de poursuivre leurs études sereinement. Mais du côté de la préfecture, on les soupçonne de mentir sur leur situation : ils ne seraient pas vraiment étudiants. Ou de profiter de la situation : ils ne suivraient des cours que pour obtenir des papiers.
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Maciré, jeune malien vêtu d’un ensemble jogging blanc et vert prend la parole. C’est sur un ton timide qu’il raconte son histoire. Cet élève de 20 ans, en bac pro transport au lycée Saint-Exupéry de Créteil, est soupçonné de fraude. En France depuis cinq ans, il est sous le coup d’une OQTF et d’une IRTF, pendant une durée d’un an, après une demande de titre de séjour déposée à la préfecture de Créteil, en mars. La sous-préfecture de l’Haÿ-les-Roses (94) prétend que son passeport est un faux, au prétexte d’un doute sur sa date de naissance et du fait que ses « coordonnées n’étaient pas les mêmes que celles du regroupement familial », raconte Maciré.
Maciré a 20 ans, et effectue un bac pro transport à Créteil. En France depuis cinq ans, il est sous le coup d'une OQTF et d’une IRTF. / Crédits : Lucie Mamouni
Devant le portail de la préfecture, il y a aussi Mamoudou. Il vit actuellement dans un foyer à Vitry-sur-Seine (94). Ce jeune malien de 20 ans, habillé d’un K-way noir et blanc, a, tout comme Fodé, fui le Mali, après le second coup d’État en 2020. Ému, Mamoudou prend la parole devant le bâtiment de la préfecture. Il explique qu’il a « envoyé tous les documents », mais pour les étudiants sans-papiers, « c’est très compliqué d’avoir des rendez-vous pour le renouvellement, tout se fait en ligne », et Mamoudou « n’a jamais de réponse ».
En France depuis presque quatre ans, le lycéen scolarisé à Vitry-sur-Seine, n’aurait pas reçu son certificat de scolarisation à temps pour le joindre à sa demande de titre de séjour, déposée auprès de la préfecture en juillet. Il n’y aurait donc, selon cette dernière, « aucune preuve de sa scolarité en France ». Pour l’étudiant, ce ne sont que « des prétextes pour nous empêcher d’étudier ». Car s’il n’avait pas encore son certificat de scolarité, il avait la confirmation de son établissement et l’attestation de l’école stipulant son inscription dans l’établissement l’année prochaine.
Les soupçons de fraude ne sont pas les seuls motifs de ces OQTF et la réussite des études ne suffit pas. Afin d’obtenir un titre de séjour, les jeunes doivent prouver à la préfecture qu’ils ont une attache en France. Et pour Merveille, absente au rassemblement, la route est encore longue. Cette jeune étudiante de 18 ans en administration et échanges internationaux à l’université de Créteil, a fui le Congo en 2019 et la maltraitance de son père. À son arrivée en France, elle fait une demande de titre de séjour et reçoit un récépissé quelques mois plus tard, le 25 janvier 2020. Or une semaine après, Merveille se voit notifier d’une OQTF. Pour la préfecture, elle ne serait pas rentrée légalement en France et n’y aurait pas d’attaches. Sa mère habite pourtant ici, mais la préfecture n’en tient pas compte : elle est en situation irrégulière. Merveille explique :
« À tout moment, elle peut être expulsée. »
Pour ces étudiants, impossible de vivre dignement
Difficile pour ces étudiants de mener sereinement leurs études. Ils vivent en permanence dans la peur de l’expulsion. « J’ai peur dès que je vois la police », admet Abdoul, les yeux tournés vers le sol. L’étudiant est arrivé en France en 2018. Élève en bac pro commerce à Vincennes (94), il est présent au rassemblement devant la préfecture de Créteil. Le 5 octobre dernier, il est contrôlé par la police municipale à la gare de Nogent-sur-Marne (94). Sur lui, il n’a qu’une carte d’identité guinéenne. Alors Abdoul est conduit au commissariat où il reçoit une OQTF, sans délai avec IRTF. C’est-à-dire qu’il doit quitter le territoire français au bout d’un mois. S’il ne le fait pas, il sera en infraction.
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Cette peur, Merveille la connaît aussi. Une peur « constante » que « la police l’attende en bas de chez elle », et « de ne plus pouvoir aller à l’école ». Cette angoisse la pousse à développer des réflexes presque de survie, comme le fait de « ne jamais sortir sans sa carte Navigo afin d’éviter les contrôles des contrôleurs de la RATP ». Car « ils pourraient appeler la police », raconte Merveille, en sanglotant au téléphone.
Abdoul est élève en bac pro commerce à Vincennes. Le 5 octobre dernier, après un contrôle de police, il s'est vu remettre une OQTF, sans délai avec IRTF. Il doit quitter le territoire français au bout d'un mois et s'il ne le fait pas, il sera en infraction. / Crédits : Lucie Mamouni
Selon l’avocate spécialisée dans le droit des étrangers, maître Fatou Babou, les étudiants qui sont sous le coup d’une OQTF après un contrôle de police, « n’ont plus de droits en France ». Ils n’ont ni « aide financière, ni le droit de travailler et donc n’ont pas accès à l’alternance ». « Un cercle vicieux pour ces étudiants », soupire l’avocate. Ils sont contraints de vivre dans des conditions très précaires et finissent souvent par abandonner leurs études.
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