« Je suis dégoûté que la mairie m’ait viré. J’aimais mon boulot », glisse Jessy Bamby. Le Dionysien de 32 ans a appris que son contrat ne serait pas renouvelé un mois après avoir porté plainte contre la police. Il affirme avoir été agressé au gaz lacrymogène le 21 mai 2021 sur son lieu de travail par quatre agents de la police nationale. Il était animateur socio-culturel à l’antenne jeunesse du quartier Pierre Sémard, à Saint-Denis (93) depuis trois ans, en CDD.
L’ancien salarié de la municipalité dénonce le harcèlement qu’il a subi par une brigade de la police nationale et le manque de soutien de son employeur :
« Comme si la mairie ne voulait pas se mettre la police à dos. »
Jessy Bamby s’est depuis reconverti en ambulancier, puis s’est inscrit à Pôle emploi. StreetPress a pu consulter sa plainte pour « violence sur une personne chargée de mission de service public » et « dénonciation calomnieuse », et s’est entretenu avec deux témoins de l’agression.
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L’anim’ adoré des jeunes, honni de quatre flics
Trois ados papotent autour du baby-foot, dans le local de l’antenne jeunesse de la maison de quartier Pierre Sémard, au nord de la ville. Jessy les salue et se marre avec eux. Depuis son embauche en juillet 2018, le trentenaire blagueur est devenu une personnalité du coin et s’est affairé à créer du lien avec les familles locales : il a notamment organisé un tournoi de foot inter-quartiers sponsorisé par la marque Nike ; il a aussi fabriqué une piscine artisanale en bois et matériaux recyclés avec les jeunes de sa structure. « Avant de perdre mon taf, j’étais en train de négocier un chantier jeunes avec Bouygues et des partenaires de Plaine commune [Établissement public territorial qui regroupe neuf villes de Seine-Saint-Denis, NDLR] », rembobine l’ancien contractuel. Le projet consistait à financer le permis de conduire de Dionysiens en échange de leur participation à la rénovation du terrain de foot synthétique.
« J’ai connu Jessy gamin. Comme une bonne partie du personnel à la jeunesse, ce sont souvent des jeunes du territoire qui ont eux-mêmes bénéficié des services », témoigne par téléphone Bertie Ernault, directeur du service jeunesse de la mairie de Saint-Denis de 2005 à 2020. L’ancien cadre a quitté la ville en raison de désaccords politiques avec la nouvelle municipalité. « C’était un bon élément, toujours disponible et dynamique, très apprécié de ses collègues », assure son ancien supérieur.
Selon lui, les travailleurs de l’antenne jeunesse Pierre Sémard avaient l’habitude de collaborer avec les forces de l’ordre locales, entre autres pour gérer la sécurité du bal des collégiens ou du festival de hip-hop. « Je voyais mes collègues de la police municipale à peu près tous les 15 jours pour échanger », explique Bertie Ernault. « J’ai moi-même participé à une réunion entre les policiers et les jeunes de ma structure afin d’améliorer nos relations et de développer la citoyenneté », affirme Jessy Bamby dans sa plainte.
Jessy Bamby est devenu une personnalité du coin et s’est affairé à créer du lien avec les familles du quartier : il a notamment organisé un tournoi de foot inter-quartiers sponsorisé par Nike ; il a aussi fabriqué une piscine artisanale en bois et matériaux recyclés avec les jeunes de sa structure. / Crédits : DR
Le harcèlement et la rumeur
« Ils peuvent me contrôler cinq fois dans la semaine et puis plus rien pendant un mois. Lorsque je suis en voiture, je suis palpé et ma voiture est fouillée », détaille l’ex-anim’ dans son procès-verbal. Il pointe quatre agents de la police nationale qui, à partir de 2019, se mettent à lui coller des amendes à répétition. Injustifiées, selon le contractuel, qui dénonce un harcèlement avec un coût conséquent. Il a par exemple dû payer 481 euros pour trois contraventions liées à des stationnements gênants en l’espace de trois jours en avril 2019. StreetPress a pu consulter les amendes.
Pendant la crise sanitaire, en mars 2020, les agents lui mettent une amende pour non-respect du confinement alors qu’il est en mission de prévention sur les gestes barrières, muni d’une autorisation signée. Ce que confirme son supérieur Bertie Ernault. Le lendemain, Jessy distribue des paniers-repas avec un bénévole de l’association PraTTique lorsqu’ils l’interpellent à nouveau. « Ils nous disent que nos “attestations sont illégales” et que nous ne sommes “que des dealers” », déclare Jessy.
« Je ne suis pas un dealer ! », dément ce dernier. Les agents vont pourtant jusqu’à prévenir les responsables de Jessy de ses prétendues activités illégales. Le directeur du service jeunesse Bertie Ernault doit intervenir pour protéger sa réputation. Le 5 mai 2020, Bertie Ernault fait transférer le casier judiciaire vierge de son agent à Jan Sliwa, le directeur général adjoint (DGA), toujours en poste à la mairie de Saint-Denis. « Je te remercie de bien vouloir trouver ci-joint l’extrait du casier judiciaire de Jessy Bamby », écrit la directrice adjointe Ressources de la Direction de la Jeunesse dans l’échange de mails, en envoyant le document au DGA. Jan Sliwa répond :
« Sujet clôturé. Comme quoi, faut pas toujours écouter les flics… »
Des moqueries au mégaphone
Le 25 juin 2020, l’humiliation monte d’un cran. En fin d’après-midi, alors que l’animateur jeunesse se trouve devant la maison de quartier avec une adolescente. Les agents de la police nationale auraient utilisé leur mégaphone pour crier depuis leur véhicule :
« Bamby, Bamby, qu’il est mignon le Bamby et la dealeuse ! »
Informé dès le lendemain de l’incident par Bertie Ernault, John Gnahore, ancien chef de la police municipale de Saint-Denis, réagit par mail : « De tels agissements, s’ils sont avérés et je ne doute pas du fait qu’un autre collègue et toi en ayez été témoins, ternissent en effet le respect et la considération que l’on puisse avoir des forces de l’ordre dont les missions sont de nous protéger, nous assister et nous secourir. […] L’humiliation, la calomnie, la violence verbale n’ont pas leurs places dans cette société et encore moins dans nos quartiers ». Le délégué sécurité de la ville d’alors, assure à son collège qu’il fera remonter l’information au commissaire.
Pour Jessy Bamby, le harcèlement et la rumeur sont de moins en moins supportables. « J’essayais de les calculer le moins possible », raconte l’animateur, et d’ajouter :
« Mais t’imagines, dès que t’es dans la rue, tu te fais épingler par les keufs. Ils n’arrêtent pas de t’insulter… C’est chiant. Et puis, même si c’est faux, les gens te voient autrement. »
Coups de lacrymo sur son lieu de travail
Jusqu’au jour où, un an plus tard, les policiers moqueurs vont plus loin. Le vendredi 21 mai 2021, il est 15h30 quand Jessy Bamby se dirige vers l’antenne pour lancer un foot avec les jeunes. Il voit les quatre agents interpeller violemment un adolescent contre le mur de sa structure. En le reconnaissant, un des policiers coiffé de dreadlocks aurait lancé : « Oh, y a Bamby ! ».Jessy affirme dans son audition avoir demandé aux agents de ne pas scander son nom sur son lieu de travail, « surtout en présence des jeunes ». Un deuxième policier lui aurait répondu d’un provocateur : « Ok, on a compris petit Bamby. » « Je ne suis pas un clown », aurait rétorqué Jessy. Le troisième policier aurait demandé à l’anim’ de dégager en le bousculant. Ce que Jessy Bamby refuse. Le premier policier à dreadlocks serait alors allé chercher sa bombe lacrymogène dans le coffre de sa voiture banalisée. Il aurait gazé Jessy Bamby au visage une première fois, alors qu’il portait son masque sanitaire, puis une seconde fois après qu’il l’ait retiré. Les quatre policiers seraient ensuite repartis, sans mettre de contravention, avant de repasser trente minutes plus tard au volant de leur véhicule. « Pour me narguer », prétend Jessy Bamby.
Diawara F., 23 ans, était en service civique à l’antenne jeunesse. « Ils ont commencé à entourer Jessy et lui ont mis un coup de gazeuse », raconte le témoin à StreetPress. « J’ai voulu filmer mais ils sont venus me contrôler pour m’en empêcher. Ils savaient qu’ils faisaient une bavure. » Hassina B., 60 ans, agent d’accueil à la maison de quartier Pierre Sémard, a été « choquée » par la scène qu’elle a vue à travers la baie vitrée du bâtiment. « Quatre agents ont arrêté un gamin et lui ont mis des balayettes. Puis, j’ai vu Jessy traverser la rue pour aller au travail. Je n’ai pas entendu ce qu’ils se sont dits. Il y en a un qui est revenu de sa voiture avec une bonbonne et qui a aspergé Jessy », décrit la fonctionnaire à StreetPress, qui a aidé son collègue en lui apportant du lait et des mouchoirs. « L’attitude de Jessy ne donnait pas lieu à ça ! J’appelle ça de l’abus de pouvoir. » Mahamadou C., directeur de l’espace jeunesse à l’époque, dans son bureau au moment des faits, a déclaré dans un rapport circonstancié à la mairie : « Monsieur Bamby s’est réfugié avec difficulté à l’intérieur de la Maison de Quartier Pierre Sémard en criant afin de trouver de l’aide et ensuite, s’est rincé durant de nombreuses minutes le visage qui était très rouge et gonflé. » Ses blessures à l’œil et à l’oreille, suite aux brûlures ont été attestées par un médecin et reconnues comme accident de travail.
Le 27 mai 2021, Jessy Bamby porte plainte à la préfecture de police pour « violence sur une personne chargée de mission de service public » et « dénonciation calomnieuse ». Il transmet la plaque d’immatriculation de l’équipage et les numéros de téléphone des témoins. Le 16 mars 2023, sa plainte a été classée sans suite par manque de preuve. Son conseil, maître Gandon, affirme :
« C’est assez scandaleux parce que le dossier dort depuis deux ans et on a fait de multiples relances sans réponse. »
Ses avocats ont demandé une copie des actes d’enquête. Selon nos informations, ni Diawara F., ni Hassina B. n’ont été contactés par les enquêteurs.
Le 25 mai 2021, Jessy Bamby écrit un mail au maire pour lui demander la « protection fonctionnelle ». 18 jours après, le maire signe finalement un courrier accordant la protection fonctionnelle, reconnaissant ainsi l’agression subie. / Crédits : Lina Rhrissi
Protection fonctionnelle pour du beurre
« Mon responsable a prévenu tout le monde et pourtant, je n’ai reçu aucun message de la mairie ou d’un élu… » Le 25 mai 2021, Jessy Bamby écrit un mail au maire Mathieu Hanotin pour lui demander la « protection fonctionnelle ». C’est un droit destiné à protéger les agents publics contre les attaques ou les mises en cause pénales dont ils peuvent être l’objet dans le cadre l’exercice de leurs fonctions. Quand elle est accordée, l’administration est censée prendre des mesures pour faire cesser les agressions dont est victime l’agent. Dans son courrier, Jessy Bamby écrit :
« La montée en violence de leurs actes […] me fait craindre pour mon intégrité physique, d’autant que ces personnes dépositaires de la loi, sont armées d’armes de poing. […] À présent, j’ai peur la nuit à Saint-Denis ».
La réponse de la mairie se fait attendre. Le 1er juin 2021, Amel Dahmani, secrétaire du syndicat Sud, appuie par courrier la demande de l’agent. Le 8 juin 2021, soit 18 jours après l’agression, le maire Mathieu Hanotin signe finalement un courrier accordant la protection fonctionnelle au salarié, reconnaissant ainsi l’agression subie.
« J’ai étudié avec attention votre courrier du 25 mai 2021 par lequel vous sollicitez le bénéfice de la protection fonctionnelle de la commune à la suite des violences (gaz lacrymogènes) dont vous avez été victime le 21 mai 2021 de la part d’agents de la police nationale et ce, dans le cadre de vos fonctions d’animateur. Compte tenu de la situation, je vous accorde cette protection », écrit le maire dans un courrier que StreetPress a pu consulter. (1)
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Fin de contrat
Quelques jours après le courrier, un responsable passe à la maison de quartier Pierre Sémard. Il annonce la mauvaise nouvelle à Jessy : son contrat, qui se termine le 31 juillet 2021, ne sera tout compte fait pas renouvelé. Sauf que Jessy vient de passer la première étape de son brevet d’aptitude aux fonctions de directeur (BAFD), une formation financée par la mairie qui devait l’amener à devenir responsable d’une antenne jeunesse ou d’un centre de loisirs. « Ils ont ruiné ma vie », souffle le Dionysien.
« Il est d’usage qu’à l’issue d’une première partie de formation réussie, on permette à l’agent de valider la deuxième partie en le positionnant sur un poste adéquat », a dénoncé le syndicat Sud dans un tract de soutien à Jessy Bamby. Selon l’organisation syndicale, un poste était justement disponible pour lui.
Le hic, c’est que le socialiste Mathieu Hanotin, élu en juillet 2020 après une campagne axée sur la sécurité, cajole les forces de l’ordre. Ce n’est pas la première fois que ses équipes mettent fin au contrat d’un agent en conflit avec des policiers. Dans une précédente enquête, StreetPress vous racontait le cas de Samah Sakouhi, femme de ménage mise à la porte à cause d’un rapport pour outrage de la police municipale après qu’elle ait porté plainte contre des agents qui l’auraient agressée le 1er mai 2021.
Concernant Jessy Bamby, l’ancien directeur du service jeunesse Bertie Ernault estime que la municipalité s’est servie du prétexte d’un contrat à durée déterminée pour se séparer de l’agent gênant sans être légalement attaquable. « Mais il y avait des engagements sur son devenir ! », s’insurge celui qui a été fonctionnaire dans la ville pendant 41 ans :
« En rompant son contrat, ils adressent un signal fort à la police : “Quels que soient vos agissements, on ne va pas vous punir et, en plus, vous avez carte blanche.” »
Contactée par StreetPress, la mairie de Saint-Denis a répondu qu’elle ne commentait pas « les situations individuelles de ses agents ou de ses anciens agents ».
(1) Concernant la protection fonctionnelle, la mairie de Saint-Denis a répondu à StreetPress : « La municipalité accompagne ses agents lorsqu’ils sont amenés, pour des actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions, à devoir entamer des procédures judiciaires dans le cadre du dispositif de protection fonctionnelle. Elle n’a pas vocation à se substituer à leur propre responsabilité à agir en leur nom. » Le 1er décembre 2022, plus d’un an après sa plainte, la mairie a bien remboursé les frais judiciaires de Jessy Bamby s’élevant à 3.033 euros.
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