Le groupe Altice est-il bien géré ? En 2021, Patrick Drahi a achevé le retrait de son groupe du marché boursier d’Amsterdam. L’empire lui appartient désormais, presque en totalité. Les investissements sont-ils au rendez-vous ? Les revenus sont-ils suffisants ? Son endettement suffisamment réduit – Patrick Drahi parle de 50 milliards ? Qui pour juger de cela à part Patrick Drahi ? Qui pour « sanctionner » une gestion qui ne serait pas optimale ? « Le marché », avec tous ses défauts, permet parfois de remettre l’église au milieu du village. Dans son grand plan de 2020-2021, Patrick Drahi a séparé Altice USA du groupe Altice et l’a laissé coté sur le marché de New York. Que pensent les investisseurs de ce titre ? Pas forcément du bien, vu l’évolution de l’action qui a perdu près de 90% de sa valeur depuis 2017. Cela n’empêche pas le patron de la boîte d’encaisser des millions…
#DRAHILEAKS
Patrick Drahi est un homme d’affaires puissant. 11e fortune française bien que domicilié en Suisse, il est à la tête du groupe Altice. Un empire tentaculaire qui réunit notamment des entreprises de télécom (SFR, Cablevision…), des médias (BFM TV, RMC…) ou de commerce d’art (Sotheby’s)…
Courant août, le groupe de hackers russes Hive a mis en ligne dans un recoin caché d’Internet des centaines de milliers de documents piratés à Altice après avoir échoué à faire chanter l’homme d’affaires. Reflets, Blast et StreetPress se sont associés pour explorer ces leaks.
Les documents mettent en lumière un groupe industriel complexe, implanté dans des pays très souples en matière fiscale et très endetté. Ils donnent incidemment à voir le train de vie faramineux d’une famille aussi discrète que riche. Bien loin de la fin de l’abondance annoncée par Emmanuel Macron.
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Altice USA est dirigé par Dexter Goei : entré chez Altice en 2009 après une quinzaine d’années passées chez J.P. Morgan et Morgan Stanley, il a été propulsé à la tête de l’entreprise américaine par Patrick Drahi, en juin 2016. Il avait supervisé l’entrée d’Altice sur le marché outre-Atlantique avec l’acquisition de Cablevision Systems Corporation et de Suddenlink Communications.
La méthode Drahi, consistant à acquérir des entreprises via des achats à effet de levier (LBO), n’est pas forcément une réussite de l’autre côté de l’océan. Le LBO consiste à reprendre des sociétés, de préférence en difficulté, via un endettement massif, avant de les utiliser pour faire remonter un maximum de dividendes vers la holding qui a piloté le LBO, de vendre des actifs et de procéder à des coupes massives dans les charges de personnel. Bref, on se paye sur la bête.
La performance, en tant que patron, de Dexter Goei, telle que perçue par les investisseurs sur le New York Stock Exchange, n’est pas optimale. Depuis le 14 mai 2021, le titre s’effondre, littéralement. Il est passé de près de 38 dollars à 4,67 dollars. Depuis 2017, il a perdu 88 %. Qui dit mieux – ou plutôt pire ?
Depuis le 14 mai 2021, le titre s’effondre, littéralement. Il est passé de près de 38 dollars à 4,67 dollars. Depuis 2017, il a perdu 88 %. Qui dit mieux – ou plutôt pire ? / Crédits : Google
Un patron très très bien payé
En septembre dernier, Altice USA a recruté un nouveau Chief executive officer (CEO ou directeur général). Dexter Goei conserve le titre de « président exécutif ». L’homme, très proche de Patrick Drahi, a eu ces mots dans un communiqué marquant la fin de son mandat de CEO :
« Diriger Altice USA a été l’expérience la plus enrichissante de ma carrière ».
On peut le prendre au mot. Car si l’on en croit des documents des #DrahiLeaks, la rémunération de Dexter Goei n’est pas du tout en rapport avec la performance boursière d’Altice USA., qui a perdu 88 % depuis 2017 et 71 % sur un an au 14 décembre 2022… Remontons à la maison-mère au Luxembourg : en 2018 par exemple, il engrange un package global de 30.626.759 euros selon la valeur à date des actions qui lui sont offertes. En 2017, le total était de 52.258 millions.
Rémunération de Dexter Groei en 2017. / Crédits : Drahileaks
Rémunération de Dexter Goei en 2018. / Crédits : Drahileaks
L’un de ses contrats de travail, rédigé en 2014 pour un poste de chief executive officer (il a ce titre pour plusieurs entreprises au fil de sa carrière dans le groupe), prévoyait 300.000 euros de rémunération sur douze mois et un bonus maximum de 1,2 million, cette fois indexé sur les performances. Ce package s’entend hors rémunérations en titres.
Altice Europe, c’est pareil ?
Pour le patron d’Altice USA, l’argent coule à flots, même si la performance du titre en bourse est très mauvaise. Est-ce pareil dans le reste du groupe Altice ? En novembre 2017, à l’occasion de la nomination de Dexter Goei à la tête d’Altice USA, Les Echos écrivaient : « Patrick Drahi aime décidément les records, qui alignent à la fois ceux de l’endettement, de la perte de valeur (son action a baissé d’un tiers en huit jours) et du nombre de patrons virés ». En novembre 2017, le titre de la maison-mère Altice qui était alors toujours coté à Amsterdam était très fortement malmené. En quelques mois, la capitalisation boursière avait été diminuée de moitié, traduisant une perte de confiance des investisseurs, comme le relevait le Figaro.
Comme l’indiquait en septembre 2020 le magazine Capital, la gestion de l’empire Drahi n’était pas très appréciée de certains investisseurs. L’Institutional Shareholder Services (ISS), qui conseille les grands groupes d’investissement et leur indique comment voter lors des conseils d’administration des sociétés dans lesquelles ils investissent, attribuait la pire note possible à Altice en matière de risques de gouvernance. Elle relevait que « les pratiques de rémunération d’Altice Europe sont moins bonnes que les pratiques standard du marché et soulèvent de nombreuses inquiétudes ». ISS regrettait que les « stock-options et actions gratuites ne soient pas toujours soumis à des conditions de performance, et a surtout jugé “excessifs” les émoluments accordés », précisait Capital. Vraiment ?
Contactés, Patrick Drahi et Dexter Goei n’ont pas répondu à nos questions.
Illustration de Une par Caroline Varon, enquête d’Antoine Champagne.
« Je n’aime pas payer des salaires, je paie le moins possible », avait lancé publiquement Patrick Drahi. Nous si ! Plusieurs journalistes se consacrent depuis des semaines, à temps plein, à cette enquête. Et ce n’est pas fini : nous n’avons pas prévu de lâcher le morceau. De nombreux autres articles paraîtront sur StreetPress, Reflets et Blast.
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